Shanghai, refuge des Juifs d’Europe persécutés, se rappelle son passé
Feng Shan Ho le consul général de Chine à Vienne à la veille de la Seconde Guerre mondiale, a permis à plusieurs milliers de Juifs de trouver refuge à Shanghai
« Shanghai a sauvé nos vies », lance Judy Kolb en se remémorant son enfance de jeune réfugiée juive européenne dans la métropole chinoise, 70 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Comme elle, près de 20 000 Juifs ont débarqué dans les années 1930-1940 dans le port de la cosmopolite cité de l’Est de la Chine. Leur ultime refuge face aux persécutions grandissantes dans une Europe gagnée par l’antisémitisme.
La Chine célèbre en grande pompe ces dernières semaines sa victoire de la guerre de 1937-1945 contre le Japon, des commémorations qui ont culminé avec un grand défilé militaire le 3 septembre dernier au bord de la place Tiananmen à Pékin.
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Shanghai, elle, tient à rappeler sa contribution dans la protection des Juifs européens. Un café juif reconstruit, une exposition, une comédie musicale et un parc mettent actuellement en lumière cet épisode de la guerre peu connu en Europe.
« Shanghai est la seule ville où les étrangers pouvaient entrer sans visa, et même sans passeport. La seule ville qui a ouvert sa porte », explique Pan Guang, doyen du Centre des études juives de Shanghai.
L’armée impériale japonaise, alliée de l’Allemagne nazie, a pris la ville en 1941, relocalisant ensuite les Juifs dans un « ghetto » du district de Hongkou, dans le nord de la ville, où ils ont vécu avec la population locale.
Malgré l’exiguïté de leurs logements et les mauvais traitements des Japonais, les Juifs de Shanghai ont échappé à l’extermination systématique pourtant réclamée par les nazis.
Au Musée des réfugiés juifs de Shanghai, une exposition retrace actuellement, avec de nombreux témoignages, leur singulière histoire.
De l’autre côté de la rue, un café viennois à la façade de briques vient d’ouvrir ses portes : c’est la réplique du « Cheval blanc », un établissement jadis situé à 100 mètres de là et où aimaient se retrouver les Juifs déracinés.
Démoli en 2009 pour permettre l’élargissement de la rue, le café d’origine a été reconstruit selon les plans et la décoration sino-occidentale de l’époque.
« L’impression est excellente. C’est comme rentrer à la maison », explique Ron Klinger, 74 ans, au journal Shanghai Daily.
Fils d’un des fondateurs de ce café, il a passé son enfance dans l’établissement, ouvert en 1939 et où ses parents se sont rencontrés. Ses grands-parents l’ont tenu jusqu’en 1949, avant de plier bagage pour l’Australie.
‘Assis dans un café, il délivrait les visas’
Le Parti communiste qui célèbre aujourd’hui ces réfugiés n’était à Shanghai, à l’époque de l’arrivée des Juifs, qu’un mouvement clandestin, étranger à cette opération d’accueil.
Avant la prise de la ville par les Japonais, la cité était découpée en trois zones : la Concession française, la Concession internationale dominée par les Britanniques et la zone chinoise contrôlée par le Kuomintang (KMT), le parti alors au pouvoir, ennemi des communistes mais leur allié de circonstance face à l’occupant japonais.
C’est Feng Shan Ho, le consul général de Chine à Vienne à la veille de la Seconde Guerre mondiale, qui a permis à plusieurs milliers de Juifs de trouver refuge à Shanghai.
Il leur a fourni des visas leur permettant de quitter l’Autriche, annexée en 1938 par l’Allemagne nazie.
« Il était assis dans un café près de son consulat, demandait aux Juifs de venir et leur délivrait les visas. Ces personnes n’avaient pas besoin de visa pour venir à Shanghai, mais il leur en donnait pour pouvoir s’échapper » d’Autriche, explique M. Pan.
M. Ho, le consul, a ensuite fui à Taiwan lorsque le KMT a perdu la guerre civile chinoise face à l’armée communiste de Mao Tsé-toung en 1949.
Il a reçu en 2000, trois ans après sa mort, le titre de « Juste parmi les nations », distinction de l’Etat d’Israël honorant ceux qui sont venus en aide aux Juifs persécutés.
Une ‘Liste de Schindler’ pour Shanghai ?
Aujourd’hui à Shanghai, l’heure est au souvenir. Le Musée des réfugiés juifs de la ville, qui inclut une ancienne synagogue, espère obtenir l’inscription de ses collections au programme « Mémoire du monde » de l’Unesco, qui vise à préserver le patrimoine documentaire mondial.
Début septembre, un parc commémoratif de 300 mètres carrés a en outre officiellement été inauguré.
Il remplace quatre anciens cimetières juifs de Shanghai aujourd’hui disparus, dont certains démolis durant la chaotique période de la Révolution culturelle (1966-1976).
La première de la nouvelle comédie musicale « Les Juifs à Shanghai », coproduction sino-israélienne qui raconte l’histoire d’amour entre un Juif et une Chinoise, a eu lieu il y a quelques semaines et la pièce sera rejouée fin octobre, pour cinq autres représentations.
M. Pan, également professeur à l’Académie des Sciences sociales de Shanghai, rêve cependant d’un impact encore plus grand pour l’histoire des réfugiés juifs.
Il cite l’exemple du long métrage multi-oscarisé de Steven Spielberg de 1993 sur l’industriel allemand Oskar Schindler, qui avait sauvé plus d’un millier de Juifs.
« J’ai cinq scénarios sur ma table, mais je ne les trouve pas bons. Toujours des histoires d’amour… ou alors des films d’action », a déploré lors d’un colloque M. Pan, avant d’ajouter, ambitieux : « Nous attendons quelque chose comme ‘La Liste de Schindler' ».
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