Shoah : Les grèves anti-nazis aux Pays-Bas occultées par la collaboration
Il y a 80 ans, plus de 200 000 ouvriers néerlandais ont participé à une manifestation contre la première déportation de masse des citoyens juifs lors de l’occupation allemande
Il y a quatre-vingt ans, les Pays-Bas devenaient le premier et le seul pays occupé à organiser une manifestation à l’échelle nationale pour protester contre les persécutions menées à l’encontre des citoyens juifs.
“La grève de février”, fut la première manifestation publique de cette ampleur contre l’agression allemande en Europe.
Le souvenir de cet événement a évolué au fur et à mesure des années dans le narratif néerlandais, passant du récit sur la Résistance à celui de la Shoah des 100 000 Juifs Néerlandais déportés et assassinés.
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A l’époque de cette grève, Les Pays-Bas étaient déjà occupés depuis neuf mois par les Allemands. Le Pogrom mené par les Allemands dans le quartier Jodenbuurt d’Amsterdam où 425 hommes juifs ont été arrêtés et déportés en a été le déclencheur.
Après une réunion nocturne, les organisateurs de la grève ont distribué des tracts dans les usines, demandant aux travailleurs de « montrer leur solidarité avec les citoyens juifs qui ont été tant attaqués ». Au cri de ralliement « Fermons Amsterdam pour un jour », le mouvement s’est répandu dans différentes villes, paralysant de facto le pays.
Même si la grève de février n’a pas mis un frein aux plans allemands contre les juifs, elle a été le ferment de la résistance hollandaise qui a su montrer sa solidarité durant ces journées de protestation.
L’historien hollandais, Bas Kortholt a expliqué au Times of Israël que les récents événements aux Etats-Unis comportait des similarités avec le mouvement d’il y a 80 ans.
Il est toujours difficile de comparer des événements historiques, explique Kortholt, chercheur de longue date pour le musée du camp de transit de Westerbork.
« Mais si vous comparez par exemple les protestations du ‘Black Lives Matter’ l’été dernier, vous verrez qu’elles ont toutes deux des fonctions symboliques puissantes, explique Kortholt, qui est également membre de la délégation néerlandaise à l’Alliance internationale de la mémoire de l’Holocauste (IHRA).
“Ces deux évènements ont inspiré la prise de parole et l’affirmation de l’opinion à une large échelle », explique Kortholt.
« Bloquez tout Amsterdam »
La protestation des Néerlandais contre les persécutions des juifs par les nazis s’est déroulée à la fin de l’année 1940, lorsque les étudiants de Leiden et d’autres villes se sont opposés à l’expulsion des Juifs de la Fonction publique, y compris dans les universités.
Au début de 1941, « NSB », l’organisation néerlandaise pro-nazie a envoyé des bandes de « défense » dans les quartiers juifs pour terroriser la population. La communauté juive s’est alors organisée afin d’assurer sa protection contre la version hollandaise des « chemises brunes » allemandes.
Début février, les combattants juifs et les groupes NSB se sont retrouvés dans une « bataille rangée ». Hendrik Koot, membre du NSB fut mortellement blessé.
Cette altercation parmi d’autres, a amené les Allemands à encercler le quartier juif de fils barbelés. Les ponts des canaux furent relevés et des points de contrôle installés pour empêcher l’entrée des non-Juifs.
Le 23 février, les occupants nazis de la ville ont lancé leur premier pogrom. Durant deux jours de violence, 425 hommes juifs, entre 20 et 35 ans, ont été arrêtés et déportés. On ne compte que deux survivants parmi eux. Tous les autres sont morts à Mauthausen ou Buchenwald.
Lorsque les intentions allemandes contre les juifs sont devenues encore plus claires, le Parti Communiste hollandais interdit a organisé une grève. Le 24 février au soir, une réunion a eu lieu dans le quartier Jordaan avec des communistes et des représentants syndicaux. Il fut décidé que la prochaine manifestation bloquerait l’ensemble d’Amsterdam pour une journée.
Les premiers à faire grève le matin d’après furent les chauffeurs de tram, afin de paralyser la circulation.
Les Allemands furent pris au dépourvu par cette grève qui bientôt se répandit dans d’autres villes au-delà d’Amsterdam. Par peur d’autres déportations, le Conseil juif d’Amsterdam, mis en place par les nazis, supplia les communistes de cesser la grève.
Lors de la deuxième journée de grève, les Allemands répliquèrent avec des fusils et des grenades. Au troisième jour, on comptait neuf morts et des centaines de blessés tandis que le mouvement était étouffé.
« Une tâche chargée d’épreuves »
Une semaine plus tard, les nazis exécutèrent 18 Hollandais résistants sur des dunes de sables dont les meneurs de la grève. Le maire d’Amsterdam, le conseil municipal et les employés municipaux jugés déloyaux ont été démis de leurs fonctions.
Ces exécutions ont affecté de manière significative le moral de la population. Par exemple, une « carte poème », appelée « La chanson des dix-huit morts » fut publiée et vendue pour recueillir des fonds pour les enfants cachés juifs. Cette chanson avait été écrite par Jan Campert, mort à Neuengamme pour crime de soutien aux juifs.
“Je savais que la mission que j’avais commencée était difficile, mais le cœur ne peut fléchir et ne doit pas fuir le danger, » écrivit Campert. « Car avant que la main du maudit transgresseur ne l’assombrisse, le cœur chérissait partout la terre de liberté. »
Des « cartes de poèmes » aux exemples d’une résistance armée postérieures, la Grève de février resta un symbole puissant durant toute la guerre, y compris durant la famine « Hiver de la faim », lorsque les Allemands affamèrent des régions entières des Pays-Bas.
« En ce sens aussi, la grève est importante » affirme Kortholt. « Les effets de la grève furent durables, et non seulement en 1941, mais elle devint le symbole de la Résistance pendant et après la guerre. »
En 1952, la statue du « Docker » fut inaugurée pour commémorer la grève. Cette statue réalisée par l’ancien résistant sculpteur Mari Andriessen représente un ouvrier gréviste anonyme d’âge moyen et corpulent.
Elle est située face à la Synagogue portugaise où se déroula le raid de Jodenbuurt. Cette statue a la même fonction que la maison d’Anne Franck située à l’autre bout de la ville. De chaque côté, la valeur de la résistance durant la guerre est ainsi affirmée.
« Durant les années 50/60, la narration se centrait principalement sur la grève comme symbole le plus connu pour la mémoire de la Guerre », explique Kortholt
“Anne Frank et Auschwitz”
Au début des années 1970, la mémoire de la guerre au Pays-Bas a donné plus de place à la Shoah. En plus de la Résistance, les gens ont commencé à aborder le rôle de la collaboration, et comment la bureaucratie du pays a permis d’assassiner cinq juifs néerlandais sur sept.
« Au début des années 1970, la perspective de la mémoire de la guerre s’est décalée vers l’Holocauste », dit Kortholt. « Aujourd’hui, le public, en particulier le public jeune, connaît mieux Anne Frank et Auschwitz tandis que la grève et les autres formes de résistantes s’estompent. »
Durant la Deuxième Guerre mondiale, les soutiens aux nazis furent nombreux. L’organisation pro-nazie NSB comptait 101 000 membres à son apogée en 1944. Certains parmi eux participèrent aux rafles des juifs cachés, y compris des « chasseurs de primes » payés par les Allemands.
« Il sera intéressant de voir si le souvenir des manifestations de Black Lives Matter ou des événements à Washington [au Capitole], emprunteront un chemin semblable que le souvenir de la grève », a déclaré Kortholt.
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