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Si les fake news font la Une dans les médias, elles ont des racines antisémites

De Martin Luther à Facebook, le concept des "médias menteurs" est enraciné dans une haine antijuive vieille de plusieurs siècles, avance la journaliste britannique Charlotte Henry

Photo d'illustration : Un supporter de Trump brandit un tee-shirt où il est écrit 'You Are Fake News' avant un rassemblement du président Donald Trump à Rochester, dans le Minnesota. (Crédit : AP Photo/Jim Mone, File)
Photo d'illustration : Un supporter de Trump brandit un tee-shirt où il est écrit 'You Are Fake News' avant un rassemblement du président Donald Trump à Rochester, dans le Minnesota. (Crédit : AP Photo/Jim Mone, File)

LONDRES — Pensez « Infox » et c’est toute une gamme d’images – sites de « l’alt-right » et d’extrême gauche, robots russes et algorithmes numériques ainsi que des clichés de jeunes Macédoniens produisant en série des contenus post-vérités à répandre sur Facebook – qui peuvent vous jaillir à l’esprit.

Mais l’exemple d’un seul théologien allemand du 16ème siècle, affirme la journaliste britannique Charlotte Henry, suffit à faire la démonstration comme quoi les Infox ne sont pas une nouveauté. Lui aussi, suggère-t-elle, avait fait la démonstration très claire que l’antisémitisme a été de tous temps la source originale de Fake news.

Le nouveau livre de Henry, Not Buying It: The Facts Behind Fake News, est un récit scrupuleusement étudié et à l’écriture solide qui décrit un phénomène qui a commencé à faire la Une des médias dans les semaines qui ont suivi le référendum du Brexit, en 2016, et l’élection du président Donald Trump à la Maison-Blanche, six mois plus tard.

Les Fake news, écrit-elle, sont une information délibérément partagée même en ayant conscience qu’elle sont fausses ou en soupçonnant son caractère mensonger pour un gain politique ou économique.

« C’est un sujet fascinant et c’est fascinant aujourd’hui, dit Henry. C’est presque l’un des sujets les plus pertinents à traiter à l’heure actuelle parce que les questions qui évoluent autour des Infox et de la post-vérité sont parmi les plus pressantes et les plus omniprésentes dans la politique, dans le débat public, dans les médias et dans la technologie. »

« Les Infox et la post-vérité ont une influence dans toutes ces choses qui sont centrales dans une grande partie de nos vies aujourd’hui », ajoute-t-elle.

La journaliste britannique Charlotte Henry. (Autorisation)

Mais même si Henry estime que l’impact qu’ont eu les Fake news sur le Brexit, l’élection de Trump, la crise de l’antisémitisme au sein du parti britannique du Labour ou le mouvement anti-vaccin est important, elle désire toutefois souligner que ce problème n’est pas nécessairement nouveau.

« Il a été exacerbé par la technologie – ce serait naïf de croire le contraire – mais cela fait des décennies, voire des siècles que nous assistons à ce phénomène », clame-t-elle.

« La haine des Juifs sur la base du complot et de la falsification remonte en fait à il y a des siècles, lorsque les Romains avaient tenté d’établir le christianisme comme unique religion venant remplacer le judaïsme », affirme-t-elle.

Au 14ème siècle, les Juifs avaient été blâmés par les populations pour une épidémie de peste bubonique sur la base de mensonges qui avaient été propagés à dessein.

200 ans plus tard, Luther, fondateur du protestantisme, avait fait revivre et popularisé la calomnie du sang apparue à l’époque médiévale. Dans son livre écrit en 1545, Les Juifs et leurs mensonges, Luther avait suggéré que des Juifs étaient assoiffés de sang chrétien et qu’ils devaient être assassinés. Les chrétiens, avait-il écrit, doivent « se protéger des Juifs sachant que partout où se trouvent leurs synagogues ne se trouve rien d’autre qu’une antre du diable où ne se chantent que la gloire d’eux-mêmes, la tromperie, les mensonges, le blasphème et la profanation du divin ».

Les Juifs, continuait Luther, ne sont rien d’autre que « des voleurs et des bandits qui ne mangent quotidiennement et ne portent d’autre vêtements que ce qu’ils ont volé, que ce qu’ils n’ont chapardés en utilisant les moyens fournis par leur maudite usure ».

« À moins que j’ai raté quelque chose », dit Henry, « cela ressemble bien à de la propagande antisémite et, si on se réfère à sa définition d’aujourd’hui, à une Infox – et Luther l’a fait, on peut le dire, pour poursuivre ses propres desseins politiques. »

Une photo prise le 28 octobre 2016 montre une statue en bronze du théologien allemand Martin Luther aux abords du Marktkirche à Hanovre, en Allemagne. (Crédit : AFP PHOTO / dpa / Holger Hollemann)

Luther, bien sûr, n’avait pas de réseaux sociaux à disposition pour propager sa haine antijuive. Les nazis non plus, mais ils bénéficiaient néanmoins de nouvelles formes de communication de masse pour disséminer largement leurs propres Fake news antisémites. Et, de manière peu surprenante, ils avaient d’ailleurs procédé à une réédition de l’ouvrage de Luther.

Peut-être la forme contemporaine la plus pernicieuse de l’Infox détaillée par Henry est le négationnisme de la Shoah. Elle cite la bataille (gagnée) pour diffamation qui avait opposé l’historienne Deborah Lipstadt, en l’an 2000, et le négationniste David Irving (procès qui a inspiré le récent film « Denial ») ainsi que les affirmations de l’universitaire français Robert Faurisson, qui avait clamé que la Shoah était un « mensonge massif » et le journal d’Anne Frank une « contrefaçon ».

Comme Henry le met en évidence, les médias semblent parfois confus ou peu sûrs de la manière d’appréhender de tels mensonges. Lipstadt, par exemple, refuse toujours toute apparition à la télévision avec des négationnistes, amenant les producteurs à fréquemment demander : ‘Ne doit-on pas entendre leurs idées, leurs opinions et leurs points de vue ?’

La réponse apportée par Lipstadt, écrit Henry, est que « à juste titre, il n’y a aucun point de vue sur la Shoah – simplement des faits et une fiction antisémite ».

Deborah Lipstadt, à droite, professeur d’études juives modernes et d’études de la Shoah à l’université Emory d’Atlanta, en Géorgie, avec Anthony Forbes Watson, responsable de l’édition chez Penguin, arrivent au tribunal lors du procès pour diffamation qui l’oppose à David Irving, un négationniste, le 11 janvier 2000. (Crédit : AP Photo/Max Nash)

Une référence « rusée » au jargon des nazis

Au-delà d’exemples aussi grotesques et manifestes, il y a un lien de proximité qui existe entre la haine antijuive et les Fake news.

« L’imagerie classique antisémite apparaît encore et encore dans les Infox modernes », clame Henry.

Au cours du référendum du Brexit, par exemple, les activistes en faveur du départ de l’Union européenne avaient dévoilé une affiche où était écrit « Point de rupture – l’UE nous a tous trahis ! » et montrant des gens faisant la queue à une frontière. L’image – des réfugiés agglutinés à la frontière entre la Croatie et la Slovaquie et non, comme c’était sous-entendu, des migrants économiques tentant d’entrer en Europe – avait été âprement critiquée à ce moment-là, notamment par certains partisans éminents du Brexit. Comme Henry le suggère, l’affiche présentait « une ressemblance effrayante » avec un film réalisé à l’époque nazie qui montrait les Juifs d’Europe de l’est – « des parasites sapant leurs pays hôtes », comme le disait le commentaire – se tenant les uns derrière les autres à une frontière.

Les soutiens de Trump aux Etats-Unis comme les partisans du Brexit les plus radicaux ont également occasionnellement utilisé un langage inspiré par les nazis pour attaquer les médias. Les nazis s’étaient appropriés cette expression de « Lugenpresse » ou « presse menteuse », pour discréditer les médias. Une phrase qui avait été également scandée par l’alt-right lors des rassemblements de campagne du président américain en 2016 et qui était apparue sur une pancarte brandie par un manifestant lors d’un rassemblement pro-Brexit, deux ans plus tard. Comme l’écrit Henry dans son ouvrage, « Hitler, semble-t-il, avait inventé le manuel de la post-vérité bien avant que nous sachions seulement de quoi il s’agit ».

Photo d’illustration : Le groupe nationaliste d’extrême-droite allemand Pegida brandit un panneau décriant la ‘lugenpresse,’ ou ‘presse menteuse’. (Crédit : CC-SA/Flickr/Opposition 24)

Se rappelant avoir aperçu l’image récemment, Henry dit : « C’était terrifiant de voir cette image de quelqu’un, lors d’un défilé pro-Brexit, portant un panneau où il était écrit ‘Lugenpresse’. Mon sang s’est refroidi. Ce n’était pas seulement un panneau stupide et désinvolte. C’était une déclaration contre les médias et contre, selon eux, ‘l’élite libérale’ – et il y a un élément antisémite là-dedans. »

Est-elle surprise de la manière dont un tel langage est parvenu à intégrer le discours politique ? Henry répond que « les Juifs britanniques se sentent très en sécurité et heureux ici ».

« Mais je pense que nous, au sein de la communauté juive, sommes conscients de ce que l’antisémitisme n’est jamais très éloigné de la surface, nous en avons toujours légèrement conscience », explique-t-elle.

Il y a aussi, ajoute-t-elle, un « élément de trollage » dans le discours post-vérité, « qui veut être un peu offensif et mettre les gens mal à l’aise ».

Dans le livre, elle cite les paroles du leader nationaliste blanc Richard Spencer qui, face à un journaliste qui l’interroge sur l’utilisation du mot « lugenpresse », répond avec impudence : « C’est typique de l’alt-right. Sérieux, ironique… Et avec une référence rusée à la clé. »

« Disons-le clairement », écrit Henry : « Cette ‘référence rusée’ est une référence aux nazis. »

Terrifiant des deux côtés de l’échiquier politique

Mais Henry n’examine pas seulement les Infox de l’extrême-droite. Elle s’inquiète tout autant de leur prévalence à l’extrême-gauche.

« Même si aucune des deux parties ne l’appréciera, je regroupe délibérément ensemble l’extrême-gauche et l’alt-right », écrit-elle dans son livre. « Leurs attaques contre les médias, les institutions politiques et la dite ‘élite’ ont bien plus en commun qu’aucun des deux ne voudra jamais l’admettre ».

Pablo Iglesias Turrión fait campagne pour le parti d’extrême-gauche Podemos à Madrid, en Espagne, durant les élections européennes de 2014. (Crédit : CC BY-SA Wikimedia commons/Asqueladd)

L’antisémitisme fournit également un fil commun, pense Henry.

« L’alt-right moderne utilise l’antisémitisme dans le cadre de sa vision post-vérité et utilise ces tropes antisémites classiques », explique-t-elle. « L’antisémitisme de gauche utilise une fois encore ces tropes et rejette ceux qui tentent de leur demander des comptes pour leur utilisation. »

Trump et le leader de l’opposition britannique Jeremy Corbyn, à la tête du Labour, ont encouragé « des éléments très révoltants au sein de leurs mouvements », maintient-elle.

Mais les similarités vont au-delà de la question de l’antisémitisme, note-t-elle. Les médias américains de l’alt-right, comme Infowars, ont leurs équivalents britanniques d’extrême-gauche comme The Canary et Skwawkbox. Des deux côtés de l’Atlantique, ces sites internet font se propager largement des théories du complot avec parfois des conséquences potentiellement fatales.

Photo d’illustration : Une femme déguisée en statue de la Liberté se tient à côté de la baudruche ‘Bébé Trump’ lors d’une manifestation contre la visite du président américain Donald Trump sur la place du Parlement, au centre de Londres, le 4 juin 2019. (Crédit : AP Photo/Matt Dunham)

Infowars, par exemple, avait mis en avant l’information selon laquelle Hillary Clinton gérait un réseau de pédophilie depuis le sous-sol d’un restaurant de Washington (pizzéria fréquemment citée dans des courriels de campagne de Clinton qui avaient fuité, parce que sa formule à emporter était prisée par les personnels de la candidate surchargés de travail). Un mois après la défaite de l’ex-secrétaire d’Etat, un homme armé était entré dans l’établissement déclarant qu’il se trouvait là pour enquêter sur la question.

De la même manière, quand Corbyn avait été défié à la tête du parti Travailliste, au mois de juillet 2016, des sites internet d’extrême-gauche avaient détecté une conspiration. En son cœur, avaient-ils clamé, se trouvait une firme de relations publiques de Londres dont le personnel comptait un certain nombre d’individus qui avaient travaillé, dans le passé, pour l’ancien Premier ministre Tony Blair.

L’information de cette conspiration avait été renforcée quand elle avait été reprise par un leader syndical pro-Corbyn lors de l’émission politique phare de la BBC, un dimanche matin. Peu de temps après, un partenaire de la firme et ex-candidat du Labour avait reçu des menaces de mort l’avertissant qu’il connaîtrait le même sort que Jo Cox, une législatrice qui avait été récemment assassinée.

Photo d’illustration : Des fleurs entourent une photo de Jo Cox pendant une veillée sur la Parliament Square de Londres, en Angleterre, le 16 juin 2016. (Crédit :JTA/Dan Kitwood/Getty Images)

Les journalistes des médias dits mainstream — accusés par les partisans de Trump et de Corbyn d’être les vrais auteurs des Infox – se trouvent eux aussi menacés. Les femmes ont été prises pour cible en particulier. Comme le note Henry, au cours de la campagne des élections générales, les journalistes qui avaient interpelé Corbyn dans des interviews ont reçu « une tirade de violences en ligne ». La BBC a été tellement inquiète qu’elle avait fait appel à un garde du corps pour protéger sa rédactrice politique lorsqu’elle s’était rendue à la conférence du Labour, quelques mois après les élections.

Henry croit également que – même s’ils ne sont sûrement pas les seuls responsables de la crise de l’antisémitisme qui a fracturé le parti Travailliste sous l’autorité de Corbyn – les sites d’extrême-gauche ont été « un rouage important dans la machine » en reprenant à tout va la théorie selon laquelle le problème avait été inventé de toute pièces par les ennemis du parti et leurs alliés dans les médias.

La manière dont le Labour a attaqué d’anciens employés qui étaient apparus comme des lanceurs d’alerte dans un programme de la BBC exposant l’antisémitisme dans le parti, au début de l’été, a été elle aussi « très Trumpienne », explique-t-elle. « La formation a totalement rejeté le problème d’un revers de la main » et s’en est prise à ceux qui l’avaient dénoncée.

Les réseaux sociaux ne sont pas malgré tout les seuls responsables de la prévalence des Fake news, croit Henry. La polarisation politique et l’effondrement du centre libéral, accompagnés par une perte de confiance dans les institutions – médias et politiciens – ont également tenu un rôle crucial.

« Si la confiance n’était pas déclinante, ces idéologies politiques populistes n’auraient pas une telle importance et s’il n’y avait pas de technologie, ces idéologies ne seraient pas en mesure de se répandre si aisément », dit-elle.

Henry prescrit un certain nombre de palliatifs. Une plus grande connaissance des médias, des efforts de reconstruction de la confiance dans les institutions publiques, la transparence journalistique – associés au passage à l’action face aux Infox sur les réseaux sociaux. Tout cela a un rôle à jouer.

Mais, comme l’établit clairement son livre, les racines des Fake news – intimement entremêlées qu’elles sont avec la haine la plus ancienne du monde – sont profondes.

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