Sortie du livre « Les Juifs de France, une tache aveugle dans le récit national »
22 spécialistes – archéologues, historiens, sociologues... – éclairent l’histoire juive et l'apport, inestimable mais souvent oublié, de la communauté à l'identité française
Présents dès l’Empire romain sur ce qui est aujourd’hui le territoire français, les Juifs restent souvent relégués « dans un angle mort de l’historiographie » de l’histoire du pays, une « tache aveugle » du récit national, « particulièrement manifeste dans les manuels scolaires, de la IIIe République à nos jours ».
« Pourquoi les expulsions médiévales ne sont-elles presque jamais mentionnées à partir de l’époque moderne ? Lorsqu’on évoque les Juifs, pourquoi est-ce le plus souvent sous l’angle des persécutions qu’ils eurent à subir et rarement pour l’originalité de leurs contributions ? En quoi l’écriture de cette histoire est-elle encore tributaire de modèles
archaïques ? Comment l’aborder de l’École à l’Université ? Quelles perspectives l’archéologie ouvre-t-elle à la connaissance de la présence juive ? Quel rôle les musées et le patrimoine peuvent-ils jouer ? »
Dans Les Juifs, une tache aveugle dans le récit national, 22 spécialistes – archéologues, historiens, sociologues, conservateurs, enseignants… – réunis par Paul Salmona, directeur du musée d’Art et d’Histoire du judaïsme de Paris, et Claire Soussen, professeur à l’université du Littoral et directrice de la Nouvelle Gallia judaica, tentent d’éclairer ces questions qui, au-delà de l’histoire juive, « renvoient à la place des minorités dans la nation française ».
L’ouvrage, publié au début du mois aux éditions Albin Michel, s’inscrit dans le prolongement d’un colloque organisé par le mahJ en janvier 2019 à l’occasion de son 20e anniversaire.
Des extraits du livre – l’avant-propos de Dominique Schnapper, présidente du mahJ, et l’introduction de Paul Salmona – ont été mis en ligne.
« La connaissance de l’histoire des Juifs n’est pas une ‘question juive’, car elle touche à l’idée même de la France », écrit notamment Paul Salmona. « L’oubli des Juifs contribue à maintenir un imaginaire amnésique, qui méconnaît la diversité de ses composantes. Il en résulte une image biaisée de la nation comme un corps homogène, chrétien dans son essence. Ce récit abolit les évolutions historiques dans la longue durée (la France a été païenne – et très marginalement juive – avant d’être chrétienne), interdit une vision pluriculturelle de l’identité de la France, pourtant particulièrement composite, et réduit l’histoire européenne à ses ‘racines chrétiennes’ en faisant le lit d’idéologues qui prétendaient inscrire cette notion anhistorique dans le traité européen au mépris de la neutralité républicaine. Il ne s’agit évidemment pas ici de nier la marque profonde du christianisme sur l’Europe occidentale – et la prééminence du catholicisme depuis le XVIIe siècle en France – mais de relever que ces traits culturels et religieux ne sont pas exclusifs, et n’appartiennent pas de manière ontologique à la nation. »
« Au-delà de la prise de conscience individuelle de nombreux chercheurs (archéologues, historiens, sociologues, conservateurs, responsables du patrimoine), les pouvoirs publics devraient jouer un rôle essentiel pour inscrire ce domaine dans les axes de la recherche universitaire et dans les programmes scolaires, mais aussi les intégrer dans les objectifs des responsables patrimoniaux et dans le calendrier des commémorations nationales », ajoute-t-il.