Steve Kalfa adapte “Le Mendiant de Jérusalem” d’Élie Wiesel en Israël
Après l'engouement suscité par “Le chandelier enterré”, le comédien et metteur en scène souhaite continuer à développer le théâtre juif. Entretien
La scène francophone israélienne a de beaux jours devant elle. En témoigne l’enthousiasme et la belle énergie de Steve Kalfa, comédien et metteur en scène amoureux du théâtre juif et qui a choisi d’adapter à la scène « Le Mendiant de Jérusalem » d’Élie Wiesel.
Un bel hommage à la Ville sainte à l’occasion du cinquantième anniversaire de sa réunification, mais aussi à son auteur, Prix Nobel de la Paix disparu il y a un an.
Steve Kalfa s’est confié au Times of Israël sur cette nouvelle création comme sur l’émergence d’une scène francophone israélienne de plus en plus vivante. De quoi réjouir un public friand d’histoire et de théâtre…
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Le Times of IsraëlBonjour Steve Kalfa. Après la présentation du « Chandelier enterré » adapté de l’œuvre de Stefan Zweig l’année dernière, vous revenez en Israël avec une nouvelle pièce adaptée de l’œuvre d’Élie Wiesel cette fois, Le Mendiant de Jérusalem, Prix Médicis 1968. Dans quel état d’esprit êtes-vous alors que vous allez présenter prochainement cette nouvelle création au public israélien ?
Steve Kalfa : D’abord, c’est formidable de jouer au théâtre en Israël. Je vis ici et cela fait des années que je ne jouais plus sur scène en France, étant shomer shabbat [respectueux des règles de Shabbat]. Le fait de m’être établi ici m’a permis de rejouer au théâtre, ce qui est extraordinaire.
Et puis ensuite c’est très particulier parce que la pièce est adaptée d’un roman d’Élie Wiesel, Le Mendiant de Jérusalem. J’ai demandé les droits d’adaptation pour monter la pièce exactement durant la période où il est décédé.
Je n’avais pas du tout réalisé ça à ce moment-là et je n’avais même pas réalisé que cette année serait le 50e anniversaire de la guerre des Six Jours et de la réunification de Jérusalem. Je ne m’en suis rendu compte qu’après…
Ce sont donc des circonstances assez incroyables et évidemment très émouvantes. Le 2 juillet est la date civile de l’année du décès de l’auteur, et nous jouerons à cette date-là à Jérusalem ! Le sujet central et le point de départ du roman d’Élie Wiesel et du spectacle est donc la guerre des Six Jours.
Il a écrit ce livre en français ici, en Israël, juste après le conflit. Il est venu juste avant cette guerre et était alors très inquiet de la situation dans laquelle se trouvait le pays à ce moment-là : complètement isolé, et avec 100 millions d’Arabes qui voulait l’éliminer de la carte. C’était le slogan officiel, « Les Juifs à la mer ».
Élie Wiesel voyait un parallèle avec ce qu’il avait vécu et le dit d’ailleurs dans l’introduction que j’ai gardée dans l’adaptation. Il voyait le parallèle avec ce qu’il avait enduré vingt-cinq ans plus tôt en Europe. Et puis il y a eu la guerre des Six Jours et ce qui s’est passé, et là, il écrit un livre, immédiatement après la résolution du conflit. Il obtiendra le Prix Médicis en France pour ce livre en 1968.
Vous êtes acteur et metteur en scène. Est-ce qu’il y avait un artiste dans la famille avant vous ?
Il n’y avait absolument aucun artiste ! Pour tout vous dire, mes parents viennent du fin fond de l’Algérie et ils n’ont pas pu aller à l’école. Ils ont dû travailler très jeunes. Jusqu’à la fin de sa vie, mon père lisait en déchiffrant, comme un enfant qui apprend à lire.
J’étais le seul garçon, et, quand ils sont arrivés en France, ils étaient déjà très avides du monde extérieur et de la culture auquel ils n’avaient pas eu accès. Ils ont donc acheté des revues de cinéma et ils ont cherché mon futur prénom. Ils voulaient m’appeler comme un acteur américain connu de l’époque ! Il y avait Steve Reeves, un grand costaud qui jouait dans les péplums et c’est comme ça que j’ai été prénommé !
En fait, quand on me demandait ce que je voulais faire plus tard, ils répondaient à ma place « il sera acteur ! » Ils avaient cette envie-là parce que pour eux, encore une fois, cela compensait toute la culture qu’il n’avaient pas reçus. Ils m’ont inscrit à l’époque au Cours Simon où il y avait une formation pour les lycéens.
A dix-sept ans j’ai eu mon bac et comme je me suis toujours entendu dire que je voulais faire acteur, je me suis posé la question : est-ce que c’était vraiment ça que je voulais ? Du coup, j’ai tout fait, j’ai étudié le droit à l’université et au bout de quatre ans j’ai su enfin que je voulais être acteur. J’ai suivi ma route et depuis je n’ai jamais fait un autre métier.
Vous avez donc adapté, mis en scène et allez interpréter le rôle principal de la pièce. Comment procède t-on quand il faut porter toutes ces casquettes pour faire aboutir un projet ? Et d’où vous vient le recul face à votre travail alors que vous êtes seul aux commandes ?
C’est une question importante que vous posez là. Ça peut paraître un peu bizarre mais quand je travaille j’essaie d’accepter d’être le plus possible devant une page vide : pas uniquement quand je suis seul en scène, mais aussi quand je dirige des comédiens.
Je ne viens pas avec des idées très définies, même si je sais où je veux aller. J’ai une direction, j’ai un point de vue, et j’essaie d’avoir un éclairage sur le texte. Mais ensuite, à l’intérieur, j’essaie d’être le plus libre et le plus ouvert possible. En fait, j’essaie de me laisser « attraper » par le texte.
C’est le texte qui commande, c’est les situations écrites par l’auteur qui me dirigent. Je tâche de me laisser faire et après il faut être le plus rigoureux et le plus honnête possible ; décider très simplement si j’ai la sensation que ça marche ou pas, si c’est vraiment ça que je veux dire…
J’essaie de provoquer des images du point de vue du spectateur, ce qui était déjà le cas avec le « Chandelier enterré ». C’était un pari, parce que très vite j’ai su que je ne voulais aucune musique, aucun éclairage et qu’il n’y aurait que le texte et l’acteur. Autour de moi on me disait que j’étais fou et qu’il était impossible de faire un truc pareil !
Mais je voulais que ce texte-là arrive de manière brute. Et les spectateurs, du coup, ont été actifs durant le spectacle. C’était leur propre imagination qui était sollicitée. Pour « Le Mendiant de Jérusalem » le public sera aussi sollicité mais ici la musique aura une part très importante, et il y aura également un travail avec la lumière. A cela s’ajoute certaines projections vidéos. Tout ça est nécessaire par rapport à la nature même du texte et à ce qu’il véhicule.
Dans la pièce, la guerre des Six Jours et la bataille de Jérusalem sont bien sûr au centre du récit. Pouvez-vous m’en résumer l’histoire avec vos propres mots ?
Ce qui est extraordinaire c’est que, d’une certaine manière, il n’y a pas d’histoire apparente. Élie Wiesel a écrit son œuvre de façon très particulière : le point de départ, c’est la guerre des Six Jours, mais il fait des allers-retours permanents entre les lieux et les époques.
Il y a un personnage principal, qui s’appelle David, qui nous fait traverser ces différents lieux et ces différentes périodes et qui raconte les faits très directement, à la première personne. Ce personnage-là a certainement vécu la Shoah, il se retrouve en Israël après ce conflit et il va faire le lien entre les différents grands événements de l’histoire du peuple juif.
Encore une fois, on traverse ces différentes époques et on passe d’un endroit à un autre sans qu’il y ait de lien apparent. Pourtant il en existe un, et c’est justement l’histoire de ce peuple. Cette histoire a un sens et une direction, même si on n’est pas forcément capable de la lire, parce que nous vivons cette histoire et que nous sommes immergés dans son quotidien.
A travers l’écriture d’Élie Wiesel, on se rend compte que les différents événements sont liés les uns aux autres. C’est un extraordinaire voyage, parce qu’il écrit ça comme une sorte de conte hassidique. Il y a des moments très réalistes, avec des personnages ayant réellement existé, et puis tout à coup on passe à des personnages complètement imaginaires, des personnages de comédie, grotesques ou bouleversants, qui se tiennent devant le Kotel après la guerre.
Il y a aussi des scènes avant le conflit, avec le chef d’Etat-major pendant la préparation de la guerre, ou une scène avec des Juifs dans les Carpates qui vont être bientôt persécutés. Il y a ces allers-retours là en permanence, où on passe du merveilleux au réalisme le plus terrible, à la drôlerie, ou à la scène la plus bouleversante. C’est un spectacle qui est, je l’espère, foisonnant d’allers-retours dans les émotions.
Quels sont vos prochains projets ? Avez-vous déjà une nouvelle pièce en préparation ?
« Le Mendiant de Jérusalem » est déjà demandé pour le mois de novembre au Centre Rachi et il y aura certainement une tournée qui sera organisée aux États-Unis pour le printemps 2018. Je veux continuer à développer un théâtre juif, comme toute cette période d’avant-guerre qui était très florissante.
Le théâtre yiddish en particulier faisait partie des plus grandes scènes d’Europe mais ce théâtre-là a été décimé. Cela a fait partie des horreurs qui ont eu lieu pendant la Shoah. Je veux vraiment remettre à jour ce théâtre-là, car je trouve incroyable l’histoire du peuple juif. C’est une épopée folle et pas forcément réaliste, elle n’est pas rationnelle et dépasse la raison.
Il y a là une matière artistique extraordinaire. Ce qui ne veut pas dire que j’abandonne ce qui continue d’être mes grandes passions artistiques et théâtrales, comme Molière et Shakespeare, que j’adore.
Un festival francophone de théâtre serait-il à l’étude en Israël ?
C’est une idée sur laquelle on a travaillé à plusieurs reprises. On n’a pas réussi encore à la mettre sur pied, pour des raisons financières essentiellement. Ensuite, je pense que ce n’est pas forcément la meilleure idée que de faire un festival en langue française en important des spectacles de France. Ils ont bien évidemment leur place, mais je pense qu’il faut qu’il y ait des événements qui soient initiés depuis Israël.
Comme « Le Chandelier enterré », qui a démarré ici et qui a ensuite été demandé en France. « Le Mendiant de Jérusalem » a été conçu en Israël entièrement et la pièce sera jouée à l’étranger ensuite. Je pense qu’il faut développer ça de plus en plus. Cela implique qu’il y est réellement des artistes professionnels ici et qu’on soit suffisamment nombreux.
Mais le public francophone reste encore limité par rapport au coût des projets. C’est une équation qui est compliqué à résoudre mais on va y arriver !
Le Mendiant de Jérusalem
Lundi 26 juin, 20h, Collège Académique de Netanya
Dimanche 2 juillet, 20h, Théâtre Beit Shmouel, Jérusalem
Réservations : 058 500 75 13
Tournée israélienne prévue à partir du 15 octobre
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