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Tel Aviv: Lors d’une prière collective, les anti-refonte prônent un « autre judaïsme »

L'événement né de heurts entre laïcs et religieux et d'une manifestation contre le ministre d'extrême-droite, Itamar Ben Gvir, marque un mélange inhabituel de foi et de politique

Hila Galili manifestant lors d'un rassemblement de prière contre le gouvernement, à Tel Aviv, en Israël, le 29 septembre 2023. (Crédit : Tomer Neuberg/Flash90)
Hila Galili manifestant lors d'un rassemblement de prière contre le gouvernement, à Tel Aviv, en Israël, le 29 septembre 2023. (Crédit : Tomer Neuberg/Flash90)

Portant un diadème de strass sur un niqab blanc orné de versets bibliques en hébreu, Hila Galili a fait sensation sur la place Habima de Tel Aviv jeudi.

Galili a porté cette tenue – avec des cordes autour des poignets et une ceinture sur laquelle la phrase « Une femme de valeur, qui peut trouver » était écrite – lors d’un rassemblement à thématique libérale afin « de mettre en garde contre le fait qu’Israël devienne une théocratie », a-t-elle expliqué à tous ceux qui le lui ont demandé. Une adaptation spécifique à la Torah des tenues inspirées par « La Servante écarlate » que les militantes féministes ont portées lors de manifestations contre le conservatisme en Israël et dans d’autres pays.

Mais contrairement à de nombreux rassemblements de gauche qui ont eu lieu en Israël ces derniers mois, celui auquel Galili a participé jeudi n’avait pas pour but de promouvoir la laïcité ou de limiter la religion. Il s’agissait plutôt d’un rassemblement politique et d’un office de prière juif, dirigé par un rabbin qui a soufflé dans un shofar –  la corne de bélier que l’on souffle pendant Rosh HaShana et le mois qui le précède – sous les applaudissements de centaines de participants.

De nombreuses personnes présentes lors de ce rassemblement – probablement la plus grande manifestation religieuse à ce jour contre le gouvernement de droite – se sont félicités de l’intégration du judaïsme libéral dans le mouvement de protestation. Mais il a également suscité un malaise chez certains participants laïcs ayant une aversion pour le judaïsme institutionnalisé, soulignant la manière dont ce sentiment pourrait constituer un obstacle à l’établissement d’une réponse religieuse solide aux actions du gouvernement.

Des Israéliens participant à un rassemblement sur la place Habima, la pancarte centrale indiquant : « Aimez la religion, détestez le Grand-Rabbinat », à Tel Aviv, le 28 septembre 2023. (Crédit : Tomer Neuberg/Flash90)

L’événement, où les drapeaux LGBTQ et les slogans anti-gouvernement occupaient une place importante, dénonçait une « récupération du judaïsme » par la droite conservatrice, a déclaré l’un des organisateurs, Yaya Fink, un militant du parti nationaliste-religieux Avoda.

Galia Sadan, la rabbin réformée de la congrégation Beit Daniel de Tel Aviv qui a dirigé la prière, a déclaré que le rassemblement avait pour but de montrer « un autre type de judaïsme » qui s’accorde avec les valeurs laïques de gauche qui alimentent les manifestations contre le gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu.

L’événement de jeudi a été organisé en réponse à un autre rassemblement de protestation annoncé, puis annulé, par le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir (Otzma Yehudit), qui avait exhorté ses partisans à organiser un office de prière séparé par sexe sur le Kikar Dizengoff de Tel Aviv, jeudi, au mépris de l’interdiction de placer une mehitzah – une sorte de cloison ou de barrière utilisée pendant les prières pour séparer les hommes des femmes, conformément à la halakha – la loi juive orthodoxe – dans les lieux publics.

À LIRE : La prière annuelle de Kippour teste les limites du libéralisme vanté par Tel Aviv

Des manifestants s’emportant face à Israel Zeira, fondateur de l’organisation juive orthodoxe Rosh Yehudi, qui a mis en place une cloison séparant les hommes des femmes lors des prières publiques de Yom Kippour, Kikar Dizengoff, à Tel Aviv, le 24 septembre 2023. (Crédit : Tomer Neuberg/Flash 90)

Cette initiative a fait suite à une altercation au sujet de la prière séparée qui a dégénéré en conflit national et qui a lancé un nouveau dialogue sur le caractère religieux d’Israël.

Dimanche et lundi, des habitants laïcs de Tel Aviv avaient empêché des fidèles orthodoxes de prier pour Yom Kippour avec une mehitzah sur le Kikar Dizengoff. Ben Gvir, un politicien d’extrême-droite, avait cherché à faire part de son mécontentement suite à ces heurts en annonçant la tenue d’une prière séparée.

À la suite de l’annonce de Ben Gvir, plusieurs groupes d’activistes avaient déclaré qu’ils organiseraient jeudi une prière sans séparation de sexe pour rivaliser avec le rassemblement de Ben Gvir. Craignant des affrontements violents entre les deux groupes, Ben Gvir avait annulé son projet. Les groupes de protestation avaient alors déplacé leur manifestation de prière du Kikar Dizengoff à Habima.

Mais certains partisans du mouvement de protestation auraient préféré que la prière n’entre jamais en ligne de compte.

Des Israéliens laïcs et religieux lors d’un office de prière controversé sur le Kikar Dizengoff, à Tel Aviv, le 24 septembre 2023. (Crédit : Tomer Neuberg/Flash90)

« Quelle idiotie », a écrit sur Facebook Naomi Alon, journaliste d’investigation, à propos de la décision des militants d’organiser un rassemblement de prière. « Au lieu de rejeter l’idée de la prière dans les espaces publics et d’exiger la séparation de la religion et de l’État, ils vont prouver qu’ils sont plus saints que Ben Gvir. »

Tuvi Pollack, écrivain et podcasteur qui soutient le mouvement de protestation, a également rejeté le tournant vers la religion. « Il n’y a pas de Dieu et il n’y en a jamais eu », a-t-il écrit sur X – anciennement Twitter. « Je suis scandalisé qu’ils m’entraînent, ainsi que tout le pays, dans cette folie. Et ils sont soi-disant des nôtres, des gens qui ne sont pas moins laïcs que moi. »

Natan Daskal, 71 ans, professeur de neurobiologie moléculaire à l’Université de Tel Aviv, a assisté au rassemblement de prière malgré son ambivalence à l’égard de la religion.

« Je suis laïc. Je suis juif parce qu’ils me détestaient parce que j’étais né juif », a déclaré Daskal, né dans l’ex-Union soviétique. Lorsqu’il lui a été demandé s’il se sentait lié émotionnellement ou spirituellement à la prière pour l’État d’Israël qui était dirigée par Sadan, il a répondu « pour moi, il s’agit davantage d’un acte politique ».

Des Juifs orthodoxes priant tandis que des activistes protestent contre la séparation des sexes dans l’espace public lors d’un office de prière public à l’occasion de Yom Kippour, sur le Kikar Dizengoff, à Tel Aviv, le 25 septembre 2023. (Crédit : Itaï Ron/Flash90)

« J’essaie de ne pas résister à la religion, alors que l’on m’a inculqué la résistance à la religion depuis l’enfance. Il y a de nombreuses raisons [de résister] à la religion en général, à son clergé et à son establishment en Israël et dans le monde », a ajouté Daskal.

Daskal, qui vit à Ramat HaSharon, dans le centre d’Israël, a noté que la moitié de sa famille était devenue pieusement religieuse. Il a appris à « accepter les bonnes choses de la religion ainsi que les mauvaises ».

Galili, la militante à la tiare et au niqab version juive, a déclaré ne pas s’opposer à la religion. Mais, son ex-mari l’ayant forcée à divorcer devant un tribunal familial religieux plutôt que laïc, elle a des « problèmes avec la coercition religieuse ».

« Je ne pense pas qu’il soit juste que ce pays ait deux systèmes judiciaires concurrents », a déclaré Galili, faisant référence à ce que l’on appelle la « course aux autorités » du système judiciaire israélien, dans laquelle le conjoint qui demande le divorce en premier peut déterminer si la procédure se déroule devant un tribunal civil des affaires familiales ou un tribunal rabbinique reconnu par l’État. Nombreux sont ceux qui considèrent que cette procédure est biaisée à l’encontre des femmes.

La rabbin Galia Sadan soufflant le shofar sur la place Habima, à Tel Aviv, en Israël, le 28 septembre 20223. (Crédit : Tomer Neuberg/Flash90)

Des juges rabbiniques ont récemment interrogé Galili sur ses activités sexuelles, ce qui lui a donné l’impression d’être « harcelée », a-t-elle déclaré. Mais Galili, designer et artiste qui a créé une vingtaine d’installations artistiques lors de rassemblements de protestation, a pu s’identifier à la prière, à la sonnerie du shofar et aux hymnes religieux chantés lors du rassemblement.

« Il y a une certaine résonance. Certainement pour beaucoup de gens qui croient en Dieu, mais aussi pour ceux qui n’y croient pas. Nous sommes tous juifs, en fin de compte, nous avons tous grandi avec cet héritage dans une certaine mesure », a-t-elle déclaré.

Sadan, rabbin réformée, a commencé son discours en admettant que « dans une tradition vieille de 3 500 ans, il y a des voix racistes, discriminatoires, excluantes et, malheureusement, il y a des hommes et des femmes qui choisissent de faire entendre ces voix avant toutes les autres ».

Mais « il existe un autre type de judaïsme » que la variante orthodoxe défendue par le parti Likud de Netanyahu et ses partenaires de la coalition religieuse, a assuré la rabbin Sadan. « Un judaïsme inclusif et tolérant, fondé sur la dignité humaine et sur la dé-mo-cratie », a-t-elle crié, reprenant un slogan des manifestants anti-gouvernement. Des centaines de participants ont répondu à son appel en le répétant pendant de longues minutes.

Le rabbin Bezalel Cohen. (Autorisation)

Le rassemblement a également accueilli un orateur haredi, le rabbin Bezalel Cohen, fondateur de la yeshiva Chachmeï Lev de Jérusalem, qui promeut actuellement un projet visant à éduquer les Juifs ultra-orthodoxes aux valeurs démocratiques. Il a été le seul orateur à critiquer les actions des laïques qui ont perturbé les prières séparées par sexe sur le Kikar Dizengoff le jour de Yom Kippour.

« Nous vivons une période très difficile, marquée par une grande division », a déclaré Cohen. « Cette division nous a amenés à un point où nous avons vu des choses très difficiles à Yom Kippour. Nous sommes venus ici pour nous rassembler, mais la paix exige un travail acharné et des concessions. »

« Nous pouvons faire de notre mieux et demander à Dieu tout-puissant de nous aider à atteindre nos objectifs », a-t-il ajouté.

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