Temples, colère et tyrannie : histoire particulière du roi de Judée Hérode le Grand
Ce souverain du Ie siècle avant notre ère, qui a fait de la politique à Rome, reconstruit la Judée et tué ses parents par paranoïa, fait l'objet d'un ouvrage du Pr. Martin Goodman
D’impressionnants projets architecturaux et une grande cruauté, telle est l’histoire du complexe roi de Judée passé à la postérité sous le nom d’Hérode le Grand.
D’un côté, il a reconstruit le Second Temple de Jérusalem d’une manière proprement éblouissante, caractéristique de son règne au Ie siècle avant notre ère en tant que client de l’Empire romain. De l’autre, ce tyran a fait un très grand nombre de victimes, à commencer par des membres de sa famille comme sa deuxième épouse ou trois de ses fils. Le professeur émérite de l’Université d’Oxford Martin Goodman dresse de cet homme un portrait dans un ouvrage publié récemment : Herod the Great: Jewish King in a Roman World (« Hérode le Grand : Un roi juif dans un monde romain »).
« Il voulait vraiment, vraiment être adoré », a expliqué Goodman au Times of Israel via Zoom. « Il voulait être aimé. Cela a commencé à mal tourner pour lui lorsqu’il a laissé ses émotions prendre le dessus – comme ce fut le cas dans sa propre famille – et qu’elles n’étaient pas réciproques. »
Au moment où de nombreux chrétiens, de par le monde, célèbrent le Vendredi saint, le samedi saint et Pâques ce week-end, il convient de rappeler qu’Hérode occupe une place de choix dans la Bible chrétienne en raison du massacre des Innocents perpétré après la naissance de Jésus. Selon l’Évangile de Matthieu, Hérode a donné l’ordre de massacrer tous les garçons de Bethléem âgés de deux ans et moins après que les Mages lui ont dit que le roi des Juifs était né.
« C’est pour cela que les gens se souviennent d’Hérode », a rappelé Goodman – qui se demande dans le livre si cet événement a réellement eu lieu.
Hérode a été une figure récurrente des cours d’histoire dispensés par Goodman pendant des dizaines d’années, ce qui a d’ailleurs donné lieu à la série Jewish Lives de Yale University Press, exemple de parfaite adéquation entre un auteur et son sujet. Le livre relate une période mouvementée pour Rome et Jérusalem – dans la première, les guerres civiles aboutissent à la naissance de l’Empire romain et dans la seconde, au déclin de la dynastie hasmonaienne fondée par Juda Maccabée.
Goodman est un grand spécialiste de l’histoire juive et romaine, et cela se voit dans ce livre écrit avec soin, et dont les premières ébauches sont manuscrites. Il commence avec un Hérode en proie à la malchance, loin de Judée, qui cherche à s’attacher le soutien de Marc Antoine et du Sénat à Rome. L’auteur tisse un récit convaincant à partir de sources anciennes – inscriptions, pièces de monnaie et récits de deux historiens qui ont beaucoup écrit sur la vie d’Hérode. Le premier est son courtisan – non juif – Nicolas de Damas, et dans les décennies qui ont suivi la mort d’Hérode et la chute de Jérusalem, en 70 de notre ère, le général juif devenu historien Flavius Joseph.
« Il y a énormément de choses à son sujet », a assuré Goodman. « C’est pourquoi nous en savons tant sur sa vie. Nous en savons plus sur lui que sur tout autre Juif de l’antiquité. »
Cet étranger on ne peut plus normal – son père descendait des convertis iduméens au judaïsme et sa mère était une arabe d’origine probablement nabatéenne – aura traité avec les hommes et femmes les plus influents et puissants de son époque, à commencer par les deux membres d’un célèbre couple – Antoine et la reine Cléopâtre d’Égypte -. Le livre ne nous épargne pas, bien au contraire, les rumeurs les plus brûlantes sur Hérode et Cléopâtre, ni les questions plus prosaïques comme celle de savoir qui a pu contrôler les bosquets de beaumes de Jéricho et d’Eïn Gedi. Hérode a systématiquement choisi le mauvais côté dans les luttes de pouvoir romaines – y compris l’assassin de César Cassius – jusqu’à ce qu’il finisse par faire le bon choix, en se liant d’amitié avec le grand-neveu de César et héritier adoptif Octavien, l’empereur Auguste.
“S’entendre avec Augustus était très important pour rester au pouvoir », a rappelé Goodman. « [Hérode] était doué, vraiment doué, pour ça. »
Certains de ses projets architecturaux portent d’ailleurs le nom de l’empereur, comme à Césarée. Le roi a également établi des temples pour le culte de Rome et d’Auguste et organisé des compétitions sportives de style romain et des combats de gladiateurs à Jérusalem. Pour s’attirer les faveurs des sujets grecs, il accorde même son patronage à un événement sportif plus éloigné encore de chez lui – les Jeux Olympiques.
Plutôt bien inspiré dans sa manière de régner sur un État pluriel soumis à un empire puissant, Hérode était tout sauf impartial dans sa vie personnelle. Il a exécuté sa femme Mariamme, une princesse hasmonaienne, qu’il soupçonnait de trahison. Une dizaine d’années plus tard, il commença à soupçonner leurs deux fils Alexandre et Aristobule de comploter contre lui. Une série d’enquêtes dans les cours romaines s’en suivit, et si Auguste parvint, un temps, à réconcilier le roi paranoïaque avec ses fils, ces derniers firent l’objet d’un jugement et furent exécutés.
À ce moment de l’histoire, Hérode avait fait revenir d’exil son fils aîné Antipater pour qu’il lui succède. C’était avant de commencer à avoir des doutes à son sujet lui aussi. Bien qu’Hérode ait regretté la mort de Mariamme et de leurs fils, il ordonne l’exécution d’Antipater, un peu avant de mourir lui-même de maladie. Dans ses dernières années, il pratique la polygamie et vit avec neuf épouses, pratique qu’il justifie en la rattachant à la coutume juive.
Le livre s’attarde sur la judéité d’Hérode, en citant notamment une remarque d’Auguste au sujet de ce qui devait être son alimentation casher : « Il valait mieux être le cochon d’Hérode que son fils. » Répondant à une affirmation selon laquelle Hérode était à moitié Juif, Goodman examine le côté iduméen de sa famille : les Iduméens étaient un peuple dont le nom provient de l’Edom biblique et qui avait pour l’essentiel adopté le judaïsme. En tant que roi, Hérode se disait Juif.
« Il disait à ses sujets juifs qu’il était l’un d’eux », a expliqué Goodman. « Leurs ancêtres, dit-il, n’étaient pas assez bons pour construire le Temple. Il allait faire mieux que les Hasmonaiens. »
Au cours de la période évoquée dans cet ouvrage, les Hasmonaiens sont affligés. À la mort de la reine Shlomzion, qui avait apporté la stabilité, sa mort est suivie d’une guerre civile, au cours de laquelle le royaume devient un État client romain. Plutôt riche, le père d’Hérode, Antipater, y voit l’occasion de se mettre en avant et de se lier d’amitié avec le fils de Shlomzion, Hyrcanus, puis avec les Romains. La situation se corse lorsque les Parthes rivaux entrent dans la danse, mais Hérode réussit à passer à Rome et à se faire sacrer roi de Judée.
« Cela a pu se passer […] parce que le monde romain était en proie au chaos le plus total », a souligné Goodman. « Il a perdu le contrôle de la Judée et de l’ensemble du Levant au profit de l’État parthe basé dans l’Iran moderne. » La mission d’Hérode, a-t-il ajouté, consiste à « récupérer le royaume au nom de Rome ». « En pratique, il ne pouvait le faire qu’avec l’aide de légionnaires romains. »
C’est précisément ce que fera Hérode, ce qui renforcera un règne impitoyable. À la recherche d’un mariage plus interessant, il répudie sa première femme Doris et épouse Mariamme, dont il est très amoureux. Pour autant, l’union s’avère désastreuse pour Mariamme et sa famille. Il fait exécuter Hyrcanus, qui n’est pas seulement son grand-père, mais aussi un ancien grand prêtre et son mentor. Lorsque vient le moment de nommer son jeune frère grand prêtre, l’adolescent est retrouvé mort dans des circonstances suspectes. Soupçonnant Mariamme de déloyauté, il la fait elle aussi exécuter. Sa mère, qui le trahit, est également tuée.
Tout en massacrant ses proches, Hérode mène à bien d’importants projets de construction en Judée, à commencer par la reconstruction du temple.
« C’est un exploit architectural incroyable du vivant-même d’Hérode », a affirmé Goodman. « On peut toujours voir, au [mur Occidental], au niveau des fouilles du mur du sud, beaucoup de vestiges du temple d’Hérode. » Et, a-t-il dit, « une nouvelle forme d’architecture juive apparaît à partir de cette époque, le grand bâtiment de Hébron, le Tombeau des Patriarches, la grotte de Machpelah ».
Pourtant, a expliqué Goodman, « la plupart de ses bâtiments sont des palais et des forteresses », comme à Massada, Jéricho. « Et le grand palais de Jérusalem où se trouve maintenant la porte de Jaffa […] Tous ces grands bâtiments n’ont rien de proprement juif. Ils sont à sa gloire. En termes d’architecture, ce sont plutôt des édifices grecs romains et hellénistiques que des édifices juifs. »
Une tentative de fusion se révèle désastreuse – une sculpture d’aigle royal honorant Auguste dans le Temple. Lorsque la population croit, à tort, que le roi est mort, des hommes la détruisent. Le roi, bien vivant, châtiera et fera immoler par le feu certains des auteurs.
Était-il inévitable qu’à la mort de ce roi sanguinaire, en l’an 4 avant notre ère, son royaume sombre dans une guerre impliquant les trois fils survivants, les autorités romaines et plusieurs aventuriers, qui a fait des milliers de morts ? Le nom d’Hérode a été associé à la cruauté, notamment du fait du massacre des Innocents.
Goodman se demande si le massacre des Innocents a réellement eu lieu, car Matthieu est le seul Évangile qui le mentionne. L’image d’Hérode, roi cruel, persiste dans le christianisme, notamment dans les œuvres d’art, pièces de théâtre, hymnes et chants de Noël, et ce au fil des siècles.
Le massacre des Innocents « fascinera les chrétiens des siècles suivants », estime Goodman. « Cette image d’un Hérode cruel, en particulier envers les enfants, se nourrit également de ce qu’il a fait à ses fils, histoires issues des traditions chrétiennes et païennes ultérieures. » Dans le premier cas, rajoute-t-il, « si un roi était méchant, on finissait par l’appeler ‘Hérode' ».
Quid du verdict sur le véritable Hérode ?
« Il avait certainement ses défauts », confie Goodman. « En fin de compte, c’est une figure impressionnante et loin d’être parfaite. »
« Il avait certainement ses défauts », a répondu Goodman. « En fin de compte, c’est un personnage impressionnant, même si loin d’être parfait. »
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