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Tensions en Méditerranée orientale: Chypre, « maillon faible » dans le viseur turc

Si une action militaire turque contre l'île est peu envisageable, Ankara pourrait augmenter la pression sur Nicosie pour la dissuader de continuer ses explorations d'hydrocarbures

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu (D), son homologue grec Kyriakos Mitsotakis (C) et le Président chypriote Nikos Anastasiadis se serrent la main à Athènes le 2 janvier 2020, avant la signature d'un accord pour le projet de gazoduc EastMed destiné à acheminer le gaz de la Méditerranée orientale vers l'Europe. (Aris Messins/AFP)
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu (D), son homologue grec Kyriakos Mitsotakis (C) et le Président chypriote Nikos Anastasiadis se serrent la main à Athènes le 2 janvier 2020, avant la signature d'un accord pour le projet de gazoduc EastMed destiné à acheminer le gaz de la Méditerranée orientale vers l'Europe. (Aris Messins/AFP)

Déterminée à conforter son influence en Méditerranée orientale, où les ressources en hydrocarbures attisent les tensions, la Turquie pourrait augmenter la pression sur Chypre, qu’elle considère comme le maillon faible d’une alliance régionale opposée aux ambitions d’Ankara, estiment des analystes.

Le raidissement entre Ankara et Nicosie intervient au moment où la Turquie multiplie les démonstrations de force sur chaque rive de la Méditerranée, soufflant le chaud et le froid dans les conflits en Syrie et en Libye.

Face aux revendications d’Ankara sur les gisements énergétiques de la région, Chypre, la Grèce et Israël ont signé début janvier un accord sur le gazoduc EastMed.

Et les tensions provoquées par la découverte ces dernières années de gigantesques gisements gaziers en Méditerranée orientale sont particulièrement vives entre la Turquie et Chypre, dont le tiers nord est occupé par l’armée turque depuis 1974.

Si une action militaire turque contre l’île voisine est peu envisageable, selon des analystes, Ankara pourrait toutefois chercher à augmenter la pression sur Nicosie pour la dissuader de continuer ses explorations d’hydrocarbures.

« La Turquie ne reculera pas car c’est devenu une question de prestige national », estime Hubert Faustmann, professeur à l’Université de Nicosie et directeur de l’antenne chypriote de la fondation allemande Friedrich-Ebert.

Selon lui, Ankara « ne perdra pas cette confrontation car elle est prête à aller plus loin que tous les autres pays ».

« Capacité de saboter »

Fin novembre, la Turquie a notamment signé un accord controversé de délimitation maritime avec le Gouvernement d’union nationale libyen (GNA), dans l’optique de faire valoir ses droits sur de vastes zones en Méditerranée orientale.

Cet accord, ainsi qu’un accord de coopération militaire entre Tripoli et la Turquie, ont été jugés « nuls et non avenus » par Chypre, l’Egypte, la France et la Grèce.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan s’exprime lors d’une conférence de presse conjointe avec son homologue russe Vladimir Poutine à la suite de leurs entretiens dans la station balnéaire de Sotchi, le 22 octobre 2019. (Sergei Chirikov/Pool/AFP)

Mais le président turc Recep Tayyip Erdogan a assuré le 16 janvier que son pays allait commencer « dès que possible » à faire des forages dans ces zones contestées et riches en hydrocarbures.

« La stratégie de la Turquie est de créer des zones grises et des territoires disputés dans les zones économiques exclusives (ZEE) revendiquées par Chypre et la Grèce », avance M. Faustmann, qui estime qu’Ankara a la « capacité de saboter » les exploitations d’hydrocarbures de ses rivaux régionaux.

D’après lui, l’accord turco-libyen devrait au minimum retarder la construction du gazoduc EastMed, car celui-ci est censé traverser des zones maritimes revendiquées par Ankara.

« Le gazoduc ne verra en toute vraisemblance jamais le jour », estime M. Faustmann, selon lequel « l’ironie est que le meilleur débouché du gaz chypriote » serait « son exportation en Turquie ».

Pas coûteux, mais efficace

L’objectif d’EastMed est de faire de Chypre, Israël et la Grèce un maillon important de la chaîne d’approvisionnement énergétique de l’Europe.

Mais « en augmentant la pression » sur Chypre, « la Turquie garde la clé du futur d’EastMed », confirme Cyril Widdershoven, analyste du secteur énergétique et fondateur du cabinet de consultants Verocy.

La Turquie « peut bloquer tout accord actuellement en vigueur sur l’exploitation offshore » en augmentant sa présence militaire, navale ou aérienne à Chypre-Nord (RTCN, reconnue uniquement par Ankara), poursuit-il.

« De telles décisions ne sont pas vraiment coûteuses », mais efficaces, selon lui.

La Turquie s’oppose à toute exploration et exploitation d’hydrocarbures qui excluraient le tiers nord de l’île, où vivent les Chypriotes-turcs.

Ces derniers mois, Ankara a envoyé des navires de forage au large de Chypre, malgré des avertissements de Washington et de l’Union européenne (UE), dont est membre Nicosie. En décembre, elle a aussi déployé un premier drone armé à Chypre-Nord et, selon des médias turcs, a pour projet d’y construire une base navale.

Début novembre, l’UE a de son côté franchi une nouvelle étape vers l’imposition de sanctions contre la Turquie pour ses forages illégaux, en adoptant formellement un cadre juridique pour cibler les personnes ou les entités impliquées.

Reste que, d’après Charles Ellinas, expert au centre de réflexion Atlantic Council, la situation ne risque pas de dégénérer en confrontation militaire.

« La Turquie n’ira pas jusqu’à engager des actions militaires à Chypre, elle n’a rien à y gagner », estime-t-il. « Jusqu’ici, elle est parvenue à ses fins sans ça ».

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