Thomas Walther, la deuxième vie d’un chasseur de nazis
L'avocat estime qu'il n'y avait "aucune limite d'âge pour les victimes," pourquoi y en aurait-il pour les coupables ?
Né sous le IIIe Reich, Thomas Walther a attendu la fin de sa carrière de juge pour se lancer sur les traces des derniers nazis. Devenu avocat, il s’efforce de les conduire « jusqu’au bout » devant la justice allemande.
Face à la presse, le petit homme de 71 ans au crâne nimbé de pâles cheveux mi-longs s’efface derrière les récits de ses clients, survivants ou proches des victimes de la Shoah, n’ajoutant que de discrètes précisions.
Mais sans ce « retraité franc-tireur de la magistrature bavaroise », comme le surnommait en 2012 le Jerusalem Post, le procès de l’ancien comptable d’Auschwitz Oskar Gröning, qui s’ouvre mardi à Lunebourg (nord), n’aurait jamais eu lieu.
« C’est lui qui a provoqué le coup de théâtre légal » permettant de poursuivre « les moindres rouages » de l’extermination nazie, résumait le quotidien israélien.
Fraîchement nommé à l’Office d’enquête sur les crimes du nazisme de Ludwigsbourg (sud-ouest), en 2006, Thomas Walther avait monté l’accusation contre John Demjanjuk, ancien gardien du camp de Sobibor, sans preuve d’un geste criminel précis.
Son argumentation, basée sur l’idée que Sobibor était une « usine de mort » engageant chaque participant, avait abouti à la condamnation en 2011 de Demjanjuk pour « complicité de 27 900 meurtres aggravés ».
‘Comme des chats’
Cette décision retentissante, alors que l’Allemagne semblait en finir avec les procès nazis, avait ouvert la voie à une salve de procédures contre d’anciens SS naguère épargnés, dont Oskar Gröning, jugé jusqu’en juillet.
Interrogé par le New York Times sur l’opportunité de traquer des vieillards pour des faits commis il y a 70 ans, Walther refusait l’oubli judiciaire pour de tels crimes, rappelant qu’il n’y avait « aucune limite d’âge pour les victimes ».
Dans le procès Demjanjuk, « la plus âgée avait 98 ans. La plus jeune avait trois semaines et demi. Les bébés étaient tués comme des chats », soulignait l’avocat en 2009, claquant son poing contre sa main pour mimer l’écrasement de petits crânes.
Né en 1943, hanté par l’ampleur des massacres perpétrés quand il faisait ses premiers pas, Thomas Walther attribue son engagement à son père Rudolf, qui lui a appris « à agir justement au lieu de parler », racontait-il fin mars au quotidien Die Welt.
En novembre 1938, pendant le pogrom surnommé la « Nuit de Cristal », ce patron d’une entreprise de construction d’Erfurt (centre) avait caché deux familles juives chez lui, avant de les aider à quitter l’Allemagne.
‘Une leçon d’histoire’
Walther fils a gardé de l’épisode un stylo-plume, envoyé en remerciement du Paraguay par l’une de ces familles, et le sentiment viscéral « que le passé nazi était une injure à (ses) convictions les plus profondes », confiait-il en 2013 au Allgemeine Zeitung.
Etudiant en droit dans les années 1960, Walther appartient à la génération informée du fonctionnement d’Auschwitz par les procès conduits à Francfort (ouest) entre 1963 et 1965.
Dépeignant Auschwitz « comme une entreprise collective », l’accusation n’avait pas su convaincre les juges, mais son travail minutieux avait éclairé l’opinion et alimenté le travail des historiens, qui ont conforté cette analyse.
Devenu procureur puis juge d’instance en Bavière, loin des procès du nazisme, Walther a attendu de frôler la retraite pour se frotter au sujet. « Ses collègues ont cru qu’il débloquait », raconte le Süddeutsche Zeitung, mais l’ancien juge a poursuivi en rejoignant le barreau, à 66 ans, quand « sa dernière fille est partie à la fac ».
Depuis qu’il arpente le monde pour rechercher à ses frais témoins et survivants, d’Israël au Canada, le nouvel avocat rêve de soulager ces familles « de l’ombre » qu’elles portent de génération en génération, en leur « rendant justice », dit-il à l’agence DPA.
« Il ne s’agit pas seulement d’attraper les méchants. C’est aussi une occasion de prouver que notre système judiciaire a failli, ce qui est désormais évident », expliquait-il au Jerusalem Post, espérant voir chaque procès livrer « une leçon d’histoire ».