Tout-à-l’égout, routes asphaltées, restaurants : Bagdad s’offre un lifting
A travers la métropole de 9 M d'habitants, les travaux de réhabilitation s'enchaînent pour apporter eau et électricité dans les quartiers informels - mais ça n'arrive pas chez tout le monde
Routes asphaltées, tout-à-l’égout, restaurants et hôtels de luxe : grâce à une relative stabilité après des décennies de conflits, Bagdad, la capitale de l’Irak, s’offre un lifting, une des priorités du gouvernement qui veut utiliser cette vitrine pour démontrer son efficacité.
A travers la métropole de neuf millions d’habitants, les travaux de réhabilitation s’enchaînent pour apporter eau et électricité dans les quartiers informels, privés d’infrastructures, construire des ponts et réaménager avenues et trottoirs.
La fragile stabilité retrouvée depuis la défaite du groupe jihadiste Etat islamique, en 2017, permet aussi l’ouverture de centres commerciaux, cafés et restaurants, dans un Irak habitué à faire la une des journaux pour des guerres ou des attentats.
Sur les bords du Tigre, le complexe des Mille et une nuits offre 12 restaurants, plusieurs salles de fêtes, des boutiques et un bowling : en ce soir de week-end, ils sont quelques dizaines, venus en famille ou entre amis, à faire tomber des quilles et fumer le narguilé.
Construit dans le parc d’un ancien palais de Saddam Hussein, le complexe a été inauguré fin 2022, lancé par « de jeunes investisseurs qui s’intéressent au tourisme » et aux loisirs, explique son directeur exécutif, Falah Hassan.
« L’Irak est une terre fertile pour les investissements », ajoute-t-il. Même s’il reconnaît certains « obstacles » comme « la situation sécuritaire » ou la « bureaucratie ».
« Il faut s’adresser à mille guichets avant d’obtenir une seule autorisation », déplore-t-il.
« Corruption systémique »
La Banque mondiale estimait fin juillet que « le climat d’investissement en Irak demeurait médiocre », citant « l’absence de législation favorable aux entreprises, un environnement sécuritaire instable, des inefficacités administratives et une corruption systémique ».
Une réalité que les autorités s’engagent à changer, cherchant à attirer les investisseurs, notamment du Golfe.
Fin août, le Premier ministre Mohamed Chia al-Soudani assistait au coup d’envoi de la construction du luxueux hôtel et complexe résidentiel Rixos, premier investissement qatari à Bagdad.
« Du Premier ministre au plus petit fonctionnaire, nous serons aux côtés de l’investisseur, du secteur privé, pour réaliser des projets à Bagdad et dans les provinces », promettait-il.
Plus récemment à la tribune de l’ONU, M. Soudani rappelait que « la première de nos priorités est la lutte contre l’épidémie de la corruption ».
« Ces dernières années, l’élite politique irakienne et ses partenaires en affaires ont préféré investir leur fortune dans des projets locaux, refuge pour des gains mal acquis », souligne l’analyste Hayder Al-Shakeri sur le site internet du think-tank IRIS, de l’Université américaine d’Irak-Souleimaniyeh.
Il évoque « des complexes résidentiels haut de gamme, des centres commerciaux, des universités privées ».
Toujours est-il que les autorités défendent une politique de modernisation des infrastructures. Ainsi pour les budgets 2023-2025, les dépenses d’investissement se montent annuellement à 37 milliards de dollars, soit trois fois le montant effectif de 2022 selon le rapport de la Banque mondiale.
Des largesses rendues possibles par la manne pétrolière et de colossales réserves en devises étrangères, atteignant plus de 100 milliards de dollars.
« Jusqu’à quand ? »
Rassemblant ministères, entreprises publiques et les services du génie de l’armée et des anciens paramilitaires du Hachd al-Chaabi, une cellule spéciale œuvre à réhabiliter les quartiers informels « privés de services depuis plus de 20 ans », explique à l’AFP l’ingénieur Abdel Razzak Abd Mhessein.
Ses équipes sont à la tâche dans les ruelles terreuses du quartier de Koufa, en périphérie de Bagdad. Un bulldozer creuse la chaussée pour installer des canalisations, tandis qu’un camion benne évacue les gravats.
« Nous avons un budget d’environ 200 milliards de dinars (150 millions de dollars) pour des travaux d’infrastructures : eau, tout-à-l’égout… », ajoute l’ingénieur Abd Mhessein, dirigeant la cellule de Bagdad.
« Il y a plus de 1 093 quartiers informels à Bagdad et un plan a été préparé pour y effectuer progressivement des travaux », ajoute-t-il.
Au sein de l’opinion publique, l’accueil est mitigé.
« C’est ce dont nous rêvions, des routes asphaltées et des services », s’enthousiasme Abou Ali Al-Bahadli, un journalier de 55 ans. « Avant on ne pouvait pas sortir quand il pleuvait, la chaussée était boueuse, les égouts débordaient. »
Un voisin est plus circonspect : malgré les travaux, sa rue est toujours privée d’électricité et d’eau courante. « Dites-moi quel responsable accepterait de rester une heure seulement sans eau », assène Ahmed Radi, un fonctionnaire de 45 ans.
« Quand vont-ils installer des trottoirs ? Des caniveaux pour l’eau de pluie ? », plaide-t-il. « On rentre du travail fatigué. Il n’y a pas d’eau, pas d’électricité. Jusqu’à quand ? »