Israël en guerre - Jour 624

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Toute l’histoire que renferme un vieux cliché d’un hôtel de luxe de Tel Aviv

Les arrière-grands-parents aisés avaient acheté un bâtiment de la rue Nachmani en 1937 ; près de 70 ans plus tard, il est devenu le premier hôtel boutique de la ville, le Norman

  • Nachmani 23, autrefois et maintenant. (Crédit: Ronna Mink)
    Nachmani 23, autrefois et maintenant. (Crédit: Ronna Mink)
  • La façade de la boutique de l'hôtel Norman à Tel Aviv, qui accueillait autrefois la famille élargie de Karen Chernick. (Crédit : Jessica Steinberg)
    La façade de la boutique de l'hôtel Norman à Tel Aviv, qui accueillait autrefois la famille élargie de Karen Chernick. (Crédit : Jessica Steinberg)

Pendant des années, Ronna Mink a gardé une copie d’une photo de visages inconnus dans son iPhone.

Quand son oncle Sy âgé de 90 ans lui a offert sa collection d’albums de famille il y a près de dix ans, elle a numérisé les photos sur son téléphone. L’une d’elles était un cliché en noir et blanc d’une visite de famille à Tel Aviv en 1949.

Sur celle-ci, l’arrière-grand-mère de Ronna Mink, Ettel Shaffran, se tient aux côtés de ses enfants adultes et de son petit-fils sur un balcon en forme d’arc d’un bâtiment qu’elle possédait, duquel flottait fièrement un drapeau israélien marquant la récente déclaration d’Indépendance d’Israël.

Elle ne se sépare jamais de ces photos, et alors qu’elle s’apprêtait à se rendre à Tel Aviv en février dernier pour voir des visages bien connus – ceux de son beau-fils (mon mari), le mien et celui de nos deux enfants – elle s’est souvenue de ce portrait.

Ettel Schaffran avec des membres de sa famille sur le balcon de son appartement du 23 Nachmanu en 1949. (Crédit: Ronna Mink)

Comme les gens sur cette photo, elle pensait que le bâtiment, que ses arrière-grands-parents avaient acheté dans les années 1930, avait disparu depuis longtemps.

« Je ne pensais même pas que le bâtiment tiendrait encore debout, alors je n’ai pas eu l’idée d’aller vérifier », m’a alors expliqué Ronna. « Je me suis juste dit que c’était il y a si longtemps, et que les choses avaient été détruites et reconstruites. »

Mais au bout du cinquième jour de son voyage d’une semaine, après avoir passé des heures à observer des balcons identiques avec des rambardes en fer forgé dans tout Tel Aviv, elle était curieuse d’en savoir plus sur la maison de vacance sioniste dont l’oncle Sy lui avait parlé quand il lui a remis l’album. Ce soir-là, elle l’appelle à Miami pour lui demander l’adresse, juste pour voir.

« Nachami 23 », répond Seymour (Sy) Hecker à l’autre bout du fil, et, alors que Ronna répéte à haute voix l’adresse pour que tous les curieux présents puissent bien l’entendre, tout le monde reconnaît immédiatement l’adresse.

La façade de la boutique de l’hôtel Norman à Tel Aviv, qui accueillait autrefois la famille élargie de Karen Chernick. (Crédit : Jessica Steinberg)

Cela fait des années que mon époux et moi-même admirons cette résidence d’appartements italienne de trois étages, installée face à la place du Roi Albert, même avant qu’elle ne soit méticuleusement restaurée et ne devienne, en 2014, l’un des premiers hôtels-boutiques de luxe – Le Norman.

Nachmani 23, autrefois et maintenant. (Crédit: Ronna Mink)

Le Norman avait fait la une des journaux lors de son ouverture, en raison de son chic sans précédent et de la restauration longue de huit ans qu’il avait fallu pour les deux immeubles historiques voisins – Nachmani 23 et 25 – que comprend désormais l’hôtel.

Plusieurs articles écrits à l’époque avaient fait référence au Nachmani 23 sous le nom de ‘Beit Schaffran’ (Maison Schaffran), en omettant néanmoins d’en expliquer le nom alors que cette famille avait été la plus longue propriétaire de ce bâtiment vieux de presque un siècle – après l’avoir acheté en 1937 et revendu en 1979.

On sait peu de choses de la famille Schaffran, propriétaires étrangers et discrets. En conséquence, la plupart des liens unissant la famille au Nachmani 23 restent un mystère dans l’histoire locale.

Des dollars de l’ère de la prohibition pour s’acheter une maison d’hiver à Tel Aviv

Si l’alcool n’avait pas été prohibé aux Etats-Unis pendant les années 20, peut-être que la famille Schaffran n’aurait jamais pu se payer le voyage de New York à Tel Aviv en 1937 – sans même parler d’acheter en souvenir un bâtiment tout entier.

« Mon grand-père avait un magasin de produits alimentaires à Buffalo, et il avait gagné une somme substantielle », explique Donny Hecker au sujet de son grand-père, Sam Schaffran. « Il était dans quelque chose de, disons… ‘non-casher’. Il achetait des cargaisons entières de sucre, un ingrédient nécessaire pour la production de liqueurs par les contrebandiers. C’était quelqu’un de très futé comme l’étaient de nombreux Juifs à ce moment-là. »

Alors, quand une bonne opportunité commerciale s’est présentée pendant le voyage, Sam et Ettel ont su la saisir. Quelqu’un avait parlé au couple d’un immeuble à vendre dans un secteur de choix de Tel Aviv, situé entre le Boulevard Rothschild et ses arbres et la rue Allenby, artère très commerçante, à cinq minutes à pied de la Grande synagogue de la ville (ils étaient orthodoxes). Les Schaffran ont demandé à leur fille aînée, Molly, de transférer l’argent de Buffalo. Leur projet était d’utiliser l’appartement en coin du premier étage comme une maison de vacances pour fuir les hivers rigoureux de l’Etat de New York, et de louer les autres appartements.

Une vue de coin de Nachmani 23 de l’album de famille Schaffran. (Crédit : Ronna Mink)

Ils auraient payé 25 000 dollars pour l’ensemble du bâtiment. Aujourd’hui, la suite Corner au Norman – l’espace où se trouvait autrefois l’appartement des Schaffran – coûte 1 400 euros la nuit (et ce n’est pas la chambre la plus chère de l’hôtel).

Shimon Rubinstein, un concierge vivant sur place, s’occupait du bâtiment et collectait les loyers.

« Notre contact avec les propriétaires, selon mes souvenirs, passait toujours par Shimon », s’est souvenue Ami Ginigar, dont la famille louait l’appartement situé directement au-dessus de celui des Schaffran à partir des années 1940, et l’une des dernières locataires survivantes du 23 Nachmani.

23 Nachmani

Sam Schaffran avait le sens des affaires, le bâtiment était un bon investissement. Selon des recherches menées par Yoav Messer, l’architecte dont le cabinet a restauré le 23 Nachmani, il a été dessiné par l’architecte Moshe Cherner en 1925. (Le précédent projet de Cherner était un élégant hôtel de la rue Bialik, rapidement devenu la première mairie de Tel Aviv, et le bâtiment accueille maintenant le Musée Beit Hair). Pour cette seule année, environ 900 immeubles résidentiels ont été construits dans une ville de Tel Aviv en plein développement, au sommet de la quatrième vague d’alyah.

Les façades du Norman au 23 et 25 Nachmani. (Crédit : Sivan Askayo)

Quand les Schaffran sont devenus propriétaires, ils y ont apporté d’importantes améliorations, ajoutant des salles de bains, changeant le revêtement du sol et en commandant deux peintures murales pour l’entrée du bâtiment.

« C’était très beau », se souvient Seymour Hecker. « Quand on passait par l’escalier principal, il y avait une belle image de Jérusalem que mon grand-père avait peinte sur le mur. »

L’une d’elles représentait le mur Occidental et l’autre, le tombeau de Rachel – deux thèmes récurrents des peintures murales dans les années 1920 à Tel Aviv. Aujourd’hui, les peintures murales restaurées du 23 Nachmani sont les dernières illustrations de ce thème qui existent.

Jérusalem était particulièrement importante pour Ettel Schaffran, qui était très religieuse.

« Elle était plus que pratiquante », a déclaré Donny Hecker. « Elle transportait ses propres plats et sa propre argenterie, même dans la maison de ma mère, qui était strictement casher. Ma mère avait trois cuisines dans sa maison : lait, viande et Pessah. Cela vous donne une idée de leur niveau de sévérité. » (On a du mal à imaginer ce qu’Ettel Schaffran penserait des calamars et des cheeseburgers maintenant servis au restaurant maison du Norman).

Au-delà de la nourriture rigoureusement casher, elle semble tout simplement avoir été stricte de manière générale.

« J’ai entendu beaucoup de choses à son sujet, et ce n’était pas très chaleureux à son égard, je dois bien vous le dire », confie Ronna. Des cousins lui ont dit qu’ils avaient toujours peur d’Ettel Schaffran.

Les enfants qui vivaient au 23 Nachmani savaient aussi se tenir à distance d’elle.

« Quand nous jouions dans la cour et que nous faisions du bruit, elle nous menaçait qu’un trou allait s’ouvrir et que nous tomberions dedans », a déclaré Ginigar, 60 ans plus tard, qui s’est souvenue avoir chahuté avec des enfants du voisinage dans le verger derrière le bâtiment en forme de L. Et nous partions en courant – nous avions peur d’elle, et peur de ce que nos parents diraient s’ils savaient que nous l’avions dérangée. »

Ettel et Sam Schaffran à Tel Aviv, dans les années 1930. (Crédit Ronna Mink)

La sévérité d’Ettel Schaffran faisait peut-être partie de sa personnalité. Ou peut-être avait-elle été endurcie par la vie. Elle a perdu son premier mari, Sam, âgé d’une cinquantaine d’années, quand les deux passaient l’hiver seuls à Tel Aviv.

« Mon grand-père descendait la rue Herzl [en 1939] pour aller acheter des billets pour rentrer aux Etats-Unis parce que la guerre avait éclaté », explique Seymour Hecker.

« Il se rendait là où il devait les acheter, et il a fait une attaque. Il a vécu quelques mois, et il a été enterré au mont des Oliviers de Jérusalem. » Elle a quitté Tel Aviv veuve, et n’y est pas revenue pendant 10 ans.

D’ailleurs, sa première visite a été immortalisée sur le cliché que garde Ronna dans son iPhone. Du haut du balcon, troisième en partant de la droite, Ettel Schaffran regarde vers la rue, entourée de ses enfants et de l’un de ses petits-enfants (Sy). À ses côtés, Rabbi Abraham Bender, son deuxième mari.

Quelques années plus tard, Ettel Schaffran et Rabbi Bender ont emménagé définitivement au 23 Nachmani, abandonnant sa famille de Buffalo au profit d’une vie en Terre sainte.

« Une fois les enfants devenus grands, ce que j’ai toujours entendu, c’est qu’à ce moment-là, elle se sentait à l’aise à l’idée de laisser tout le monde et de s’installer en Israël pour finir sa vie », rapporte Donny Hecker.

Ettel Schaffran est décédée en 1975, octogénaire. Ses enfants revendirent l’immeuble quelques années plus tard.

De nouveau les bienvenus chez l’arrière-grand-mère

Ronna Mink fut la première descendante des Schaffran à pénétrer dans le 23 Nachmani depuis sa vente en 1979. l’Oncle Sy nous ayant révélé l’adresse par téléphone, nous nous sommes rendues à pied au Norman le lendemain matin avec excitation, montrant au réceptionniste la photo présente sur l’iPhone, telle une sorte de laissez-passer vintage.

Un responsable nous a gentiment conduites à la Corner Suite, nous suggérant même l’endroit où poser notre appareil photo sur la place du Roi Albert pour recréer la composition du cliché de 1949. Ronna Mink se mit à l’emplacement-même où se trouvait son arrière-grand-mère, observant du haut du balcon un tout autre Tel Aviv.

La baie vitrée de la suite du Norman. (Crédit : le Norman)

« C’est quelque chose que je n’aurais jamais imaginé », s’émeut Ronna. « Je n’aurais jamais cru que l’on se tiendrait là un jour, je n’avais jamais rêvé que cela pouvait être possible. »

Dans le même temps, Ettel Schaffran a laissé un autre héritage de l’autre côté de l’Atlantique. Inspirée par son expérience, Ronna a créé un groupe Facebook où les descendants des neuf enfants d’Ettel et Sam Schaffran, répartis aux quatre coins de l’Amérique du Nord, peuvent se retrouver sous un même toit virtuel.

« J’ai atteint des gens dont j’ignorais l’existence, et ils sont très en joie », explique Ronna. « J’ai l’impression que grâce à une photo, tout un univers de gens que je ne connaissais pas s’est développé, et nous avons tous une histoire commune. Et je ne l’aurais pas su. Vous savez qu’il existe des gens, mais une fois que vous êtes en contact avec eux – ça devient bien plus réel. Ça a été très grisant. »

Y aura-t-il une réunion de famille l’année prochaine au Norman ?

À mon avis évidemment partial, l’austère balabusta [maîtresse de maison], qui a laissé ses enfants pour faire de cette ville lointaine son foyer, mérite au demeurant une reconnaissance pour avoir transmis l’histoire de cette immeuble. Peut-être par un cocktail à son nom au très populaire Library Bar de l’hôtel, aux notes aigres et amères pour correspondre à sa célèbre réputation.

À ta santé, Ettel.

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