Trump tiendra-t-il sa promesse contre les manifestations anti-Israël sur les campus ?
Le président-élu a promis de vaincre la "révolution radicale", d'expulser du pays les militants qui ne sont pas citoyens américains et de réduire le financement des campus qui autorisent cet activisme
JTA – Des parents juifs du comté de Montgomery, dans le Maryland, n’ont aucune idée de la manière dont se déroule l’enquête sur l’antisémitisme menée par leur district scolaire.
Cela fait plus de neuf mois que le département américain de l’Éducation a ouvert une enquête concernant des allégations de brimades antisémites, y compris lors de manifestations d’étudiants pro-palestiniens, dans ce district de la banlieue du Maryland, en vertu du Titre VI des droits civiques.
(Le Titre VI de la loi sur les droits civiques de 1964 est une clause qui interdit toute discrimination fondée sur la race, la couleur ou l’origine nationale dans les programmes ou activités bénéficiant d’une aide financière fédérale.)
Cette affaire fait partie de la centaine d’enquêtes ouvertes par le Bureau des droits civiques du département dans les établissements d’enseignement supérieur et les écoles primaires, dans le cadre des efforts très médiatisés de l’administration Biden pour lutter contre la montée de l’antisémitisme et de l’islamophobie sur les campus depuis le début de la guerre à Gaza, un conflit déclenché par l’attaque sans précédent du Hamas contre Israël le 7 octobre de l’année dernière, au cours de laquelle le groupe terroriste a tué quelque 1 200 personnes et en a pris 251 en otage.
Pourtant, selon les archives du département, l’écrasante majorité de ces cas n’ont pas encore été traités, y compris un cas concernant les écoles publiques du comté de Montgomery. Les parents activistes qui ont initialement tiré la sonnette d’alarme dans le district disent qu’ils n’ont eu aucune nouvelle.
« S’il y a une enquête, elle ne semble certainement pas susciter beaucoup d’inquiétude », a déclaré Margery Smelkinson, l’un des parents juifs, à la Jewish Telegraphic Agency la semaine dernière. « Le processus est complètement opaque et il est difficile de ne pas arriver à la conclusion que rien n’est fait. »
Le groupe de Smelkinson, l’Alliance juive du Maryland, a tenté de déposer sa propre plainte, en partenariat avec l’organisation de droite Zionist Organization of America (ZOA). La plainte initiale a été déposée par un militant conservateur sans lien avec le district et à l’insu du groupe, sur la base d’un article écrit par Smelkinson et un autre parent. En revanche, la plainte déposée par les parents qui vivaient réellement sur place était, selon elle, « beaucoup plus détaillée ».
Pourtant, le Bureau des droits civiques n’a pas voulu ouvrir la sienne, parce que la plainte moins détaillée était antérieure – ce qui prouve, selon elle, que le département ne fait que le « strict minimum ».
Comment Trump compte-t-il limiter les manifestations sur les campus ?
Les détracteurs de la gestion des plaintes pour antisémitisme par le Bureau des droits civiques espèrent que cela changera au cours du second mandat du futur président américain Donald Trump, qui a proposé une révision radicale de la politique éducative des États-Unis, y compris la fermeture pure et simple du département de l’Éducation. Il souhaite également utiliser une loi contre les manifestants pro-palestiniens, non citoyens, sur les campus, et a menacé de les expulser.
Si Trump décidait de fermer le département de l’Éducation, le département de la Justice serait probablement chargé des questions relatives aux droits civiques sur les campus, y compris du Titre VI. La nomination de Trump au poste de procureur général, Pam Bondi, a adopté une ligne dure à l’égard des manifestants pro-palestiniens sur les campus.
D’autres promesses de campagne, notamment la menace de bloquer les dotations et les accréditations des universités si elles ne mettent pas un frein à ce que Trump appelle « les maniaques et les fous marxistes », ont déclenché la sonnette d’alarme chez de nombreux membres de l’éducation et défenseurs de la liberté académique. Ils s’inquiètent de sa candidate au poste de secrétaire à l’Éducation, Linda McMahon, qui a très peu d’expérience dans le domaine de l’éducation, et notent que des États favorables à Trump, comme le Texas et l’Oklahoma, s’engagent plus ouvertement en faveur de l’introduction de programmes d’enseignement inspirés de la Bible dans les écoles publiques.
Mais certains parents juifs, s’ils ne se réjouissent pas vraiment de tous ces changements, voient une opportunité dans le programme de Trump en matière d’éducation. C’est sous sa première administration, soulignent-ils, que le département a élargi certaines dispositions prévues par le Titre VI pour les Juifs, comme indiqué dans un décret de 2019 sur l’antisémitisme.
« On ne peut que supposer que cette question sera prise plus au sérieux sous son administration », a déclaré Smelkinson.
Le département de l’Éducation a refusé de commenter cet article. Mais ses hauts fonctionnaires, dont son actuel secrétaire, Miguel Cardona, et Catherine Lhamon, qui supervise le Bureau des droits civiques, ont déclaré l’année dernière à JTA qu’ils accordaient une grande priorité à la lutte contre l’antisémitisme sur les campus au sein de leur département, par le biais du Titre VI.
Les grands groupes juifs invoquent le Titre VI pour lutter contre l’antisémitisme
Les principaux groupes juifs ont suivi cet exemple et invoqué la loi. L’American Jewish Committee (AJC) a organisé des séminaires en ligne avec Lhamon, et l’Anti-Defamation League (ADL) et d’autres organisations se sont jointes à certaines plaintes pour droits civiques. Même des Juifs et des groupes juifs plus conservateurs, dont ZOA, d’anciens fonctionnaires de l’administration Trump et des organisations d’étudiants orthodoxes, ont fait confiance à l’intention de Biden de lutter contre l’antisémitisme sur les campus et ont encouragé leurs réseaux à inonder le département de plaintes relatives au Titre VI.
D’après certains indicateurs, la situation s’est déjà améliorée pour les Juifs sur les campus. Une nouvelle étude de l’université de Harvard a révélé que le nombre de manifestations pro-palestiniennes sur les campus – un terrain propice aux accusations d’antisémitisme – s’est effondré depuis le début du semestre pour atteindre moins d’un tiers du total du semestre dernier. Cela s’explique en partie par une application plus stricte des règles relatives aux manifestations par les écoles, et l’ouverture d’une enquête fédérale ou d’une action en justice est beaucoup plus probable à l’heure actuelle que dans les mois qui ont suivi le 7 octobre 2023.
Toutefois, en ce qui concerne le Titre VI, en dépit d’une multitude d’enquêtes ouvertes dans de grands établissements d’enseignement, peu de dossiers ouverts pendant le mandat de Biden ont été menés à terme.
Un petit nombre d’enquêtes liées à Israël ouvertes depuis le 7 octobre se sont conclues par des accords de résolution formels, ou par l’engagement des écoles à prendre des mesures spécifiques pour mieux lutter contre l’antisémitisme. Il s’agit notamment de l’université du Michigan et de l’université de la ville de New York, qui ont toutes deux accepté d’améliorer leur formation sur l’antisémitisme, de l’université Brown, qui a déclaré qu’elle repenserait la manière dont elle gère les manifestations sur le campus, et du collège Muhlenberg, qui a promis de prendre des mesures à l’encontre d’un professeur juif antisioniste permanent qui avait été accusé de harceler des étudiants juifs et pro-Israël. (L’accord de Muhlenberg a été conclu quelques jours après que la professeure en question a annoncé qu’elle avait été licenciée en raison de ses prises de position.)
Certaines écoles, dans le cadre de leurs accords de résolution, ont embauché des coordinateurs du Titre VI afin de répondre plus efficacement aux plaintes futures. Ces postes pourraient bientôt être imposés par la loi, comme dans le Maryland, où un législateur a présenté la semaine dernière un projet de loi visant à obliger tous les établissements d’enseignement supérieur de l’État à se doter d’un tel personnel.
L’université de New York, qui a volontairement créé un tel poste, a également apporté un changement audacieux à sa politique en matière de harcèlement en déclarant que le fait de cibler les « sionistes » pouvait constituer une violation de cette politique. Ces changements ont suscité des critiques de la part des progressistes, qui affirment que le Titre VI a eu un effet dissuasif sur les discours et les cours pro-palestiniens sur les campus.
Certaines affaires relatives au Titre VI, antérieures de plusieurs années au 7 octobre, dont une à l’université de l’Illinois, ont également été officiellement conclues au cours des mois qui ont suivi le regain d’attention accordé au ministère.
La semaine dernière, l’ADL et le groupe juridique juif Brandeis Center for Human Rights Under Law ont annoncé une autre résolution, concernant cette fois l’Occidental College de Los Angeles – où, selon la plainte déposée en avril, des étudiants juifs et israéliens ont été accostés par des manifestants sur le campus qui ont parfois proféré des insultes antisémites. La plainte accusait également l’université de ne pas avoir protégé les étudiants juifs en accédant à certaines demandes des manifestants pro-palestiniens qui, peu après le 7 octobre, avaient occupé un bâtiment sur le campus.
Définition de l’antisémitisme de l’IHRA
En réponse, l’école a accepté de « prendre en considération » la définition de l’antisémitisme de l’Association internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA), qui, selon certaines voix progressistes, étouffe toute critique légitime d’Israël. (L’accord de résolution comprend une mise en garde selon laquelle l’IHRA ne sera utilisée « que lorsqu’elle sera utile en tant que ‘preuve d’intention discriminatoire’ »).
L’université a également déclaré qu’elle intégrerait en tant qu’exemples certaines attaques anti-Israël dans sa formation sur les préjugés et le harcèlement (y compris « l’application d’un test décisif ‘non sioniste’ pour la participation à toute activité de l’Occidental College »).
D’autres accords prévoient la nomination d’un directeur de la vie étudiante juive (et d’un directeur de la vie étudiante musulmane) et l’organisation de conférences et d’ateliers sur « les liens entre l’identité juive, Israël et le sionisme ».
Des accords comme celui conclu à l’Occidental College pourraient être considérés comme une victoire pour de nombreux groupes juifs pro-Israël qui ont promu la définition de l’IHRA pendant des années (elle a été incluse dans le décret de 2019 de Trump), ainsi qu’un signe de la façon dont l’application du Titre VI semble s’aligner de plus en plus étroitement sur leurs objectifs de longue date pour contrôler les discussions sur Israël sur les campus.
Mais pour chaque résolution, il y en a beaucoup d’autres dans le retard accumulé par le département. De nombreuses affaires relevant du Titre VI et concernant des écoles de premier plan restent actives, notamment trois à l’université de Columbia, une à Harvard, deux à Cornell et d’autres dans de grands districts scolaires publics à New York, San Francisco, Chicago et Oakland. Le département a également continué à ouvrir de nouveaux dossiers chaque semaine, bien qu’à un rythme plus lent qu’au plus fort de l’hiver dernier.
(Le bureau des droits civiques ne communique par sur les enquêtes en cours, notamment si une affaire implique des allégations d’antisémitisme ou d’autres violations des droits civiques, mais JTA a vérifié de manière indépendante que beaucoup, sinon toutes celles énumérées ci-dessus, concernent des questions liées à Israël.)
Pour Kenneth Marcus, fondateur du Brandeis Center et ancien fonctionnaire de Trump, les projets du président élu en matière d’éducation – même ses espoirs de démanteler le ministère – devraient être bien accueillis par les Juifs.
« Il n’est pas tout à fait clair que la création du département de l’Éducation était si bonne pour l’éducation, et il n’est donc pas plus clair que sa fermeture serait mauvaise », a déclaré à JTA Marcus, qui a dirigé le Bureau des droits civiques du département lors du premier mandat de Trump. Il a ajouté que Trump avait manifesté un intérêt particulier au sujet de l’antisémitisme sur les campus, notamment en promettant d’expulser les manifestants pro-palestiniens des campus, et que le bilan de sa première administration devrait réconforter les Juifs : « Aucun président au cours de notre vie n’a fait plus pour lutter contre l’antisémitisme sur les campus d’un point de vue politique que le président Trump. »
D’autres acteurs juifs importants dans le domaine du Titre VI ont déclaré qu’ils croyaient toujours en l’efficacité de la loi pour lutter contre l’antisémitisme sur les campus.
« Le Titre VI a été, et continue d’être, un outil vital et efficace pour lutter contre l’antisémitisme et protéger les étudiants juifs des environnements hostiles et/ou du harcèlement omniprésent », a déclaré à JTA Laura Shaw Frank, directrice du Centre de plaidoyer pour l’éducation de l’AJC. « Nous sommes convaincus que les enquêtes se poursuivront sous la future administration Trump et nous exhortons à signaler tout incident d’antisémitisme. »
« Quel que soit l’avenir du département de l’Éducation, il restera nécessaire de faire respecter le Titre VI », a déclaré à JTA le rabbin David Markowitz, vice-président exécutif du groupe Olami, qui fédère les jeunes juifs orthodoxes dans les campus, dans un communiqué. « Une autre instance devra assumer cette responsabilité ou travailler avec les États pour lutter contre l’antisémitisme sur les campus.»
Depuis le 7 octobre, Olami a joué un rôle actif dans la défense d’une application fédérale plus stricte du titre VI. Au printemps dernier, le groupe a organisé une conférence de presse au Capitole pour demander des changements dans le système de signalement. Lors de cette conférence, l’un des principaux défenseurs d’Olami au Congrès était la représentante républicaine Nancy Mace, de Caroline du Sud, qui a présenté la semaine dernière un projet de loi visant à empêcher un représentant transgenre nouvellement élu d’utiliser les toilettes des femmes au Capitole.
Tous les militants conservateurs contre l’antisémitisme sur les campus ne sont pas mécontents de la manière dont l’administration Biden a traité la question.
« Je n’ai que du respect pour la façon dont le Bureau des droits civiques a traité mes plaintes liées au Titre VI », a déclaré Zachary Marschall, rédacteur en chef du site universitaire conservateur Campus Reform, qui a souvent déposé des plaintes pour antisémitisme liées au Titre VI. « Le personnel reste ouvert à la communication et s’engage à faire son travail. »
Marschall a déposé des dizaines de plaintes dans des campus à travers le pays, parfois sur la base de publications sur les réseaux sociaux ; des Juifs et des responsables de plusieurs de ces campus ont critiqué son approche en la qualifiant d’ingérence. Mais, selon lui, les enquêteurs fédéraux les ont prises au sérieux. La résolution de Brown découle de sa propre plainte, et une autre de ses plaintes, à l’université Temple, est également en train de négocier une résolution, a-t-il dit.
Sans se prononcer sur les conséquences que pourrait avoir l’élection de Trump sur la lutte contre l’antisémitisme sur les campus, Marschall a déclaré que le problème « est maintenant un processus ascendant qui implique principalement les administrateurs des universités, les forces de l’ordre et les procureurs », plutôt que le gouvernement fédéral.
Pour Marcus, la possibilité que l’application du Titre VI soit confiée au département de la Justice est un développement positif : un mandat du département de la Justice pour lutter contre l’antisémitisme sur les campus, dit-il, entraînerait probablement davantage de poursuites fédérales contre les écoles. Depuis qu’il a quitté l’administration Trump, le Brandeis Center a intenté des procès et déposé des plaintes au nom du Titre VI contre des écoles pour antisémitisme présumé, dans certains cas en partenariat avec l’ADL.
(Les poursuites judiciaires, si elles aboutissent à un procès ou à un arrangement, peuvent être des outils plus puissants pour obliger les établissements à rendre des comptes que les accords conclus par le département de l’Éducation, qui ne peut que faire miroiter un financement fédéral comme moyen de pression. Mais les procès sont également plus coûteux et prennent plus de temps que le dépôt d’une plainte en vertu du titre VI, ce qui les rend moins réalistes pour les personnes qui ne sont pas liées à des groupes tels que le Brandeis Center.)
Si d’autres Juifs ont été frustrés par le Titre VI, ils devraient, selon Marcus, continuer à déposer des plaintes.
« Ce serait le pire moment pour cesser de déposer des plaintes auprès de l’OCR », a-t-il déclaré. « Nous ne cesserons certainement pas de déposer des plaintes auprès de l’OCR de sitôt. Après tout, une nouvelle administration arrive au pouvoir. »
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