Un audacieux marin a-t-il fait naufrage au large des côtes israéliennes il y a 2 400 ans ?
Des fragments de deux cruches à double anse ont été découverts en mer près de Tel Achziv en 2016. Des chercheurs viennent de déchiffrer l'inscription gravée sur l'un d'entre eux

Pendant des millénaires, en des temps où les navires naviguaient le long de la côte orientale de la Méditerranée avec à bord leur précieuse cargaison, les marins les plus habiles ont su que la zone située au large des côtes nord d’Israël présentait des difficultés de navigation, entre récifs et petites îles à soigneusement éviter.
La rarissime inscription phénicienne, déchiffrée il y a peu sur une cruche à deux anses, nous donne une idée de ce que fut l’un de ces voyages en mer, qui s’est soldé par un naufrage, il y a de cela approximativement 2 400 ans.
Cette inscription a été découverte sur un fragment d’amphore découvert il y a de cela huit ans, sous les eaux, près de Tel Achziv, peut-être de la main d’un marin inventif. Elle a, pour la première fois, fait l’objet d’une publication la semaine passée dans la revue CARMEL : Studies in Archaeological Sciences and Conservation.
« Tel Achziv est situé au sud de la frontière du Liban moderne : ce fut un port important, en territoire phénicien, tout au long de l’âge de fer », explique par téléphone au Times of Israel le professeur Assaf Yasur-Landau, membre de l’Institut Léon Recanati d’études maritimes et de l’École d’archéologie et de cultures maritimes de l’Université de Haïfa.
Yasur-Landau est le co-auteur de cet article, avec notamment Jacob Sharvit, de l’Autorité des antiquités d’Israël, qui a découvert les fragments d’amphores sous l’eau, et le professeur Christopher A. Rollston, de l’Université George Washington.
L’âge de fer s’étend entre 1200 et 586 av.notre ère, en des temps où les Babyloniens avaient conquis Jérusalem et rasé le Premier Temple.
Yasur-Landau rappelle que l’ancienne ville d’Achziv a également été détruite pendant la campagne militaire menée par le souverain babylonien Nabuchodonosor, avant d’être reconstruite.

« La ville est mentionnée dans une source grecque du IVe siècle, le Périple du Pseudo-Scylax, un traité géographique qui raconte un voyage en mer en Méditerranée et dit qu’Achziv est une colonie située au bord d’une rivière, entre Tyr et Akko », poursuit Yasur-Landau. « La rivière est sans doute le Nahal Kziv, qui se jette dans la mer à proximité. »
Cette partie de la côte israélienne comporte un récif et de petites îles à environ 1 à 1,5 kilomètre du rivage, ce qui rend la zone particulièrement propice aux naufrages.
« On peut facilement se figurer que les marins avaient du mal à repérer les obstacles, dans l’obscurité ou par mauvais temps, et à les éviter », ajoute Yasur-Landau.

Pareille poterie a été découverte en deux endroits autour des îles.
« Nous parlons d’amphores avec un corps allongé et pointu, très recherchées pour le transport maritime car elles étaient faciles à stocker », souligne Yasur-Landau. « Sur l’une d’elles, nous avons remarqué une inscription – deux lignes gravées dans l’argile. » Selon le chercheur, le déchiffrage de cette inscription s’est avéré particulièrement ardu.

« Seule une partie de l’inscription est encore visible », précise Yasur-Landau. « Nous avons eu besoin d’un équipement spécial pour le photographier avec le bon éclairage – le Musée d’Israël y a pourvu – et nous avons contacté le professeur Rollston, l’un des experts mondiaux du paléo-hébreu et du phénicien. »
Rollston a pu reconnaitre un assez grand nombre de lettres pour lire « des Sydoniens ». Sidon était une importante ville côtière phénicienne.
« Des inscriptions similaires mentionnant la ville de Sidon ont déjà été découvertes, mais c’est la première fois qu’une telle inscription est découverte sous l’eau », poursuit Yasur-Landau.
Ces fragments ont par ailleurs subi des tests pétrographiques, qui ont analysé les caractéristiques minéralogiques et chimiques de l’argile afin d’en identifier l’origine. L’argile des amphores provient d’une région située entre Tyr et Sidon.

« Les résultats pétrographiques sont cohérents avec l’inscription », assure Yasur-Landau. « Ils nous montrent que même si nous ne savons pas si les amphores appartenaient à la même cargaison, elles présentaient un lien car elles étaient faites d’un argile venant de la même région. »
Selon le chercheur, il n’était pas rare d’écrire sur les amphores pour marquer ce qu’elles contenaient, qui en était le propriétaire ou encore quelle était leur destination. Mais ces inscriptions étaient souvent faites à l’encre et n’ont pas survécu à l’épreuve du temps.

L’inscription trouvée près de Tel Achziv a été gravée sur l’amphore à l’aide d’un outil en fer tranchant.
La mauvaise calligraphie de cette inscription a permis à Rollston d’établir qu’il ne s’agissait pas de l’œuvre d’un scribe professionnel mais d’une personne partiellement alphabétisée. Nombre de marchands avaient des compétences limitées en lecture et écriture dans la seconde moitié du premier millénaire avant notre ère.
« De nombreuses inscriptions sont l’oeuvre de scribes hautement qualifiés : avec ce genre d’inscriptions, la morphologie des lettres est assez cohérente, la position des lettres suit les normes standard de l’époque et l’espacement entre les lettres est assez précis et standard », explique Rollston au Times of Israel par courriel.
« Avec cette inscription-là, le calibre de l’inscription renvoie plutôt à une personne partiellement alphabétisée, quelqu’un qui n’avait pas suivi des années de rigoureuse formation comme scribe », ajoute-t-il. « À certains égards, cela rend cette inscription encore plus intéressante, car elle ne provient pas des échelons supérieurs de la société. Il se peut que ce soit là l’oeuvre d’un marin un peu audacieux.
Selon Yasur-Landau, l’amphore revêtue de cette inscription présentait une autre caractéristique très spéciale.

« Nous avons identifié de la résine à l’intérieur », poursuit Yasur-Landau. « Les matériaux organiques ne survivent normalement pas plus de deux millénaires, mais dans ce cas, la résine a été conservée par le sable qui recouvrait l’artefact. »
« On utilisait à l’époque la résine pour imperméabiliser les amphores », ajoute-t-il. « Nous pouvons en déduire que le récipient a probablement été utilisé pour transporter du vin. »
On ne connaitra sans doute jamais le nom du marin partiellement alphabétisé qui a décidé de laisser sa marque sur cette amphore de vin, mais son écriture est parvenue jusqu’à nous et elle pourrait fournir aux chercheurs d’autres informations.
Selon Rollston, il est possible que, les progrès de la technologie aidant, les spécialistes soient en mesure de déchiffrer le reste de l’inscription.
« Les technologies d’imagerie des inscriptions ne cessent de progresser : des inscriptions auparavant indéchiffrables peuvent désormais l’être avec un bon niveau de certitude », explique Rollston. « Nous espérons que le reste de cette inscription livrera un jour ses secrets. »

Yasur-Landau estime, pour sa part, que cette découverte prouve l’importance de l’archéologie maritime.
« Seul un petit pourcentage de chercheurs travaillent dans le domaine de l’archéologie sous-marine », conclut-il. « Cet artefact est la preuve de l’immense potentiel des découvertes en mer et de l’éclairage qu’elles donnent sur les phénomènes historiques et économiques en Israël. »
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