Un épisode d’Eretz Nehederet soulève un vif débat sur la liberté d’expression
Dans le contexte des violations du confinement, le sketch sur le rabbin Chaim Kanievsky “irrespectueux et offensant” pour certains, courageux pour d’autres

Une émission de télévision satirique populaire a suscité l’indignation mercredi avec son illustration d’un rabbin ultra-orthodoxe influent, des politiciens et des membres du public qualifiant le sketch d’irrespectueux et offensant pour la communauté religieuse.
Cependant, nombreux sont ceux qui ont salué le « courage » du sketch de l’émission à succès « Eretz Nehederet » (Une terre merveilleuse), pour avoir confronté le problème dans le contexte des tensions avec la communauté haredi, dues au mépris de certains de ses membres face aux efforts de confinement contre le coronavirus.
La semaine dernière a été marquée par de violentes émeutes, des affrontements avec la police essayant de faire respecter le confinement, et une révolte générale, malgré un taux d’infection nettement plus élevé dans les communautés ultra-orthodoxes.
Le sketch d’ « Eretz Nehederet » cible le rabbin Chaim Kanievsky, considéré comme le plus grand sage ashkénaze haredi vivant, et la relation qu’il entretient avec le Premier ministre Benjamin Netanyahu, critiqué pour sa trop grande déférence à l’égard du rabbin.

Le sketch s’ouvre avec le présentateur Eyal Kitzis qui doit accueillir le Premier ministre d’Israël dans son émission, mais au lieu de Netanyahu, apparaît un acteur représentant Kanievsky, 93 ans, accompagné d’un autre acteur qui joue son petit-fils, Yaacov (Yanki), lequel agit comme porte-parole et substitut du rabbin.
Le sketch représente Kanievsky marmonnant dans sa barbe en yiddish de manière incohérente, tandis que son petit-fils lui pose des questions et interprète ses réponses dans un hébreu à l’accent ashkénaze exagéré.
Un peu plus tard, Netanyahu se présente, demandant au rabbin la permission avant de faire quoi que ce soit : participer à l’émission, s’asseoir, ou prendre une gorgée d’eau.
Une brève tentative de Netanyahu pour affirmer son autorité est immédiatement interrompue par Kanievsky, qui suggère que les partis ultra-orthodoxes soutiendraient le rival de Netanyahu, Gideon Saar, lors des prochaines élections, ce qui amène rapidement Netanyahu à leur promettre de l’argent sans condition.

Le sketch est une parodie de la situation actuelle, où Netanyahu a dû plusieurs fois supplier les ultra-orthodoxes de respecter les règles de confinement et de fermer les écoles, souvent pour un résultat limité. Les critiques ont accusé Netanyahu de complaisance envers le public haredi afin de ne pas irriter ses partenaires ultra-orthodoxes de la coalition.
Bien que ce portrait soit en grande partie une critique de Netanyahu, il a suscité l’indignation des cercles ultra-orthodoxes et des politiciens religieux.
« Le rabbin de renom Chaim Kanievsky est le rabbin et le guide spirituel de nombreux juifs en Israël et dans le monde. Créer une imitation blessante et désobligeante de lui est profondément blessant pour les sentiments religieux », a écrit la ministre des Affaires de la Diaspora Omer Yankelevich (Kakhol lavan), la première femme ministre ultra-orthodoxe.
Le député Bezalel Smotrich de l’Union nationale a protesté contre « l’atteinte à l’honneur du rabbin Chaim Kanievsky ».

« Ces satiristes ne se moquent pas seulement du rabbin mais de toute la communauté traditionaliste, religieuse et ultra-orthodoxe qui vénère les sages d’Israël », a-t-il tweeté.
La Douzième chaîne, qui diffuse « Eretz Nehederet », a déclaré que le numéro de téléphone du présentateur Kitzis avait été largement diffusé sur les médias sociaux, les gens étant invités à le « harceler personnellement ».
Un autre des petits-fils de Kanievsky, Aryeh, a dit à la Douzième chaîne de télévision que ce portrait ne les avait pas amusés.
« Cela fait vraiment mal à beaucoup de gens. Mon grand-père est un guide spirituel pour des centaines de milliers de personnes qui ne font pas un geste sans lui. Pour eux, c’est difficile », a-t-il déclaré.
Cependant, beaucoup d’autres ont défendu l’émission et la représentation comme un phare important de la liberté d’expression et un miroir de la société israélienne.
« Si un spectacle satirique doit réfléchir à deux fois avant d’imiter un rabbin, aussi grand et respecté soit-il, alors nous devons réexaminer les niveaux de liberté d’expression dans notre pays », a écrit le député Yesh Atid Yoel Razvozov.
D’autres ont comparé l’incident aux caricatures du prophète Mahomet en France.
« Le niveau de courage d’Eretz Nehederet ce soir : Charlie Hebdo », a écrit la vedette des médias sociaux Raz Tsipris.
Cette comédie à sketchs d’actualité est connue depuis longtemps pour mettre sur le grill des politiciens israéliens et d’autres personnalités, ainsi que pour se moquer d’autres vaches sacrées.
Ce n’est pas la première fois que « Eretz Nehederet » suscite la colère des communautés religieuses.
En 2018, l’émission a été accusée d’antisémitisme pour avoir utilisé des tefilin (phylactères) pour recréer la coiffure caractéristique de Netta Barzilai, gagnante du concours Eurovision de la chanson en Israël, sur la tête de Naftali Bennett, alors ministre de l’Education.
En 2016, les plus hautes autorités rabbiniques du pays ont condamné une publicité montrant les acteurs debout autour d’un rouleau de la Torah ouvert dans une synagogue.
Un sketch de 2008 montrait une famille israélienne célébrant une bar mitzvah dans une synagogue – un geste qui a déclenché un tollé similaire.
De plus, en 2018, Netanyahu a critiqué l’émission pour un passage qui, selon lui, banalisait la Shoah.