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Un film sur un héros exécuté par les nazis accusé de promouvoir le nationalisme chrétien

Bonhoeffer : Pastor. Spy. Assassin. retrace le destin d’un pasteur martyrisé pour ses convictions, mais ses critiques, dont sa famille, y voient un message politique caché

Un extrait de « Bonhoeffer : Pasteur, espion, assassin ». (Crédit : Autorisation)
Un extrait de « Bonhoeffer : Pasteur, espion, assassin ». (Crédit : Autorisation)

Près de 80 ans après son exécution dans les derniers soubresauts de la Seconde Guerre mondiale, Dietrich Bonhoeffer revient sous les projecteurs. Mais la manière dont le pasteur allemand et critique virulent d’Hitler est présenté au public contemporain suscite des controverses.

Bonhoeffer a payé de sa vie son opposition au régime nazi : il a été exécuté en avril 1945, à l’âge de 39 ans. Auteur de 34 ouvrages, il a profondément marqué le champ de la théologie, mais ce sont ses activités clandestines contre la tyrannie nazie qui lui valent aujourd’hui une nouvelle popularité.

Paradoxalement, nombre de ses récents admirateurs se situent à l’extrême droite, ce qui inquiète ses descendants et plusieurs universitaires. Ils dénoncent notamment l’appropriation de son héritage par Eric Metaxas, un auteur conservateur, qui lui a consacré un ouvrage en 2011, Bonhoeffer : Pasteur, Martyr, Prophète, Espion. Depuis, Metaxas n’a cessé d’invoquer son nom pour s’opposer aux politiques « woke » des démocrates.

Quand Angel Studios a annoncé la sortie d’un film intitulé Bonhoeffer: Pastor. Spy. Assassin, la ressemblance avec le titre du livre de Metaxas a accentué les réticences de la famille Bonhoeffer et de plusieurs spécialistes.

Sorti en salle le 22 novembre et désormais disponible en streaming, le film propose une mise en scène percutante de Dietrich Bonhoeffer, incarné par Jonas Dassler. Todd Komarnicki en assure la réalisation, la production et le scénario. (Il est également connu pour avoir produit la comédie culte de Will Ferrell, Elf en 2003, régulièrement rediffusée pendant les fêtes.)

Distribué par Angel Studios, à l’origine des succès chrétiens The Chosen et Sound of Freedom, le film privilégie l’action aux discours, mettant en avant les engagements clandestins de Bonhoeffer plutôt que ses écrits théologiques.

« Des années de discours, de sermons et d’engagement n’ont pas suffi à contenir la marée… Il a dû puiser un courage plus grand encore et se dresser contre les ténèbres », a confié Todd Komarnicki au Times of Israel lors d’un entretien téléphonique. « Il faut parfois affronter le diable de face. »

L’une des scènes clés du film illustre ce basculement. Habitué à prêcher devant des foules dans des églises baignées de lumière filtrée par des vitraux, Bonhoeffer se retrouve dans un cadre radicalement différent : un lieu de réunion sombre et isolé, où il prend part à un complot visant à assassiner Hitler. L’homme de foi devient un homme d’action, révolté par la nazification de l’Église protestante allemande et l’antisémitisme du Reich.

Todd Komarnicki (à gauche) et Jonas Dassler assistent à la première de Bonhoeffer au Regal Battery Park Cinemas le 14 novembre 2024 à New York. (Crédit : ROB KIM / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP)

Profondément religieux, Bonhoeffer s’est fermement opposé aux tentatives nazies de placer Hitler au-dessus de Jésus dans la hiérarchie de l’Église. Il voyait en Jésus une leçon contre la complaisance face au mal. (La citation la plus célèbre de Bonhoeffer – « Le silence face au mal est lui-même un mal » – est mise en avant dans le film, lorsqu’il tente de convaincre un auditoire sceptique d’ecclésiastiques britanniques de la réalité des persécutions nazies contre les Juifs.)

À l’Union Theological Seminary, l’école new-yorkaise où il a étudié plus tôt dans sa vie, il se lie d’amitié avec un camarade de classe noir, Frank Fisher, et est ému par le style de culte de l’Église noire, dont il fait l’expérience en visitant l’historique Abyssinian Baptist Church à Harlem.

Un appel à l’engagement actif

Le site web du film, produit par Angel Studios, ne se limite pas à la promotion de l’œuvre cinématographique. Il met également en avant une initiative distincte : la déclaration Bonhoeffer, un appel adressé aux chrétiens du monde entier pour dénoncer l’antisémitisme et le racisme. Cette déclaration a été lancée par l’évêque évangélique Robert Stearns à la suite du pogrom perpétré par le groupe terroriste du Hamas en Israël, le 7 octobre 2023, au cours duquel ils ont assassiné plus de 1 200 personnes, pour la plupart des civils, et en ont pris 251 en otage pour les emmener dans la bande de Gaza.

Le texte fait référence à cette attaque, affirmant que « le 7 octobre a réveillé l’antisémitisme latent dans nos universités, notre gouvernement et notre culture ».

Stearns est impliqué dans plusieurs initiatives sionistes chrétiennes, notamment via Eagles’ Wings, une organisation qui organise des voyages d’évangélistes en Israël. La veille de l’attaque, le 6 octobre 2023, il venait d’achever la plus grande mission chrétienne jamais réalisée en Israël. Lui et sa famille devaient prolonger leur séjour de trois jours.

« Comme tout Israël, nous nous sommes réveillés le matin du 7 octobre avec les images d’horreur qui se déroulaient sous nos yeux », a-t-il raconté. Qualifiant les quinze derniers mois de « période bouleversante », il ajoute : « J’ai senti que le moment était venu de raviver le message de Bonhoeffer. »

Lancée sur bonhoeffer.org, la déclaration appelle les chrétiens « à prendre une position courageuse et à lutter contre l’antisémitisme dans l’esprit et l’héritage de Dietrich Bonhoeffer ».

L’évêque Robert Stearns. (Crédit : Autorisation)

« Quelqu’un nous a mis en contact avec Angel Studios, et nous avons réalisé que c’était un véritable beshert, une sainte coïncidence. Angel Studios traduisait à l’écran ce que nous cherchions à inspirer dans les rues et les communautés. C’est ainsi qu’est née une merveilleuse relation synergique », a-t-il déclaré, utilisant le mot yiddish beshert, qui signifie destinée.

« Je pense que le film et la déclaration se complètent, comme la main droite et la main gauche, se renforçant mutuellement et appelant les spectateurs à une réponse éthique et morale », a ajouté Robert Stearns.

Le film met en avant un message de solidarité chrétienne envers les Juifs. Infiltré au sein de l’Abwehr, le service de renseignement militaire allemand, Dietrich Bonhoeffer a profité d’une mission de propagande pour exfiltrer sept Juifs vers la Suisse. Ce sauvetage a été rendu possible grâce à des fonds récoltés auprès de sympathisants étrangers, qui ont permis d’acheter la complicité des gardes-frontières.

« Il parle aux prisonniers juifs quand il dit : ‘Je vénère le Dieu de vos pères, Jacob et Moïse’ », explique Todd Komarnicki. « Ou encore, ‘il n’y a pas de christianisme sans judaïsme… Toute personne qui se dit chrétienne tout en prônant la haine et en reléguant les Juifs au rang d’ ‘autres’ est dans les ténèbres et dans l’erreur absolue’. »

Face à la montée de l’antisémitisme, Komarnicki estime que le message du film est plus actuel que jamais. « Il n’y a jamais eu de moment plus crucial pour se lever, dire non à la haine et oui à l’amour. »

Déformation historique ?

Les critiques du film ne se concentrent pas sur ce message, mais plutôt sur ses liens avec des mouvances politiques conservatrices, certains allant jusqu’à y voir une incitation à la violence.

Une image de Bonhoeffer : Pastor. Spy. Assassin. (Crédit : Autorisation)

Le 18 octobre, une lettre ouverte signée par 86 des 100 descendants adultes de la famille Bonhoeffer a été publiée. Elle dénonce le film comme un « biopic déformant l’histoire », transformant son sujet en « saint évangélique », et qualifie Angel Studios de « société de production évangélique de droite ». Les signataires ont exprimé une inquiétude particulière concernant une image promotionnelle publiée sur X (ex-Twitter), montrant Bonhoeffer brandissant une arme à feu, accompagnée du slogan « La bataille contre la tyrannie commence maintenant ».

Bien que les descendants de Dietrich Bonhoeffer et plusieurs chercheurs n’aient pas précisé de quelle image promotionnelle ils parlaient, une affiche composite utilisée par Angel Studios pour promouvoir le film a attiré l’attention. Cette image met en scène une triple représentation de Bonhoeffer, d’Hitler, avec une expression menaçante -, et de Paula Bonhoeffer, la mère du pasteur. Certes, le pasteur brandit une arme, mais elle est pointée vers le bas et le pasteur est représenté de trois-quarts, de sorte que l’arme est plutôt petite par rapport aux visages du Führer et de Paula.

« Angel Studios est indéniablement une société de médias chrétienne conservatrice, reflétant de nombreux engagements fondamentaux de la théologie évangélique (et parfois catholique) conservatrice », a écrit Katheryn Reklis, professeure associée de théologie protestante moderne à l’Université Fordham, dans un email.

Elle produit à la fois des médias destinés à des publics chrétiens « initiés » et des médias à vocation apologétique, conçues pour toucher des spectateurs qui ne sont pas nécessairement chrétiens ou qui adhèrent à une vision différente de la foi. L’un de leurs objectifs semble être de mettre en lumière des figures historiques sous-explorées et de les présenter comme des héros chrétiens – ce qui, selon Reklis, est le cas de Bonhoeffer.

« Je n’irai pas jusqu’à dire que tous ces films relèvent clairement du nationalisme chrétien », ajoute-t-elle. « Certains, pris au sérieux, peuvent même aller à l’encontre de récits triomphalistes. Angel Studios cherche manifestement à produire des films avec des standards hollywoodiens en matière de réalisation et d’écriture – avec un succès variable selon les projets. »

Les descendants de Bonhoeffer dénoncent également d’autres tentatives de récupération de l’héritage du pasteur à des fins d’extrême droite. L’un des exemples les plus controversés est le Projet 2025, un programme politique élaboré par The Heritage Foundation, un think-tank conservateur influent de Washington, D.C.. Dans son avant-propos, le document cite Bonhoeffer, utilisant son concept de « grâce bon marché » – qui dénonce une foi sans engagement réel – pour critiquer certains courants progressistes. Il associe cette idée à « l’activisme des frontières ouvertes » et à « l’histoire d’amour de la gauche avec l’extrémisme environnemental », ce qui, selon les critiques, détourne complètement la pensée du théologien allemand.

Il y a aussi Metaxas, qui a récemment comparé l’administration Biden à l’Allemagne hitlérienne de 1933-1934, concluant avec une invitation à consulter son ouvrage : « Voir mon livre sur Bonhoeffer pour plus de détails. »

L’auteur Eric Metaxas s’exprime aux côtés du président américain Barack Obama lors du National Prayer Breakfast au Washington Hilton à Washington, DC, le 2 février 2012. AFP PHOTO / Saul LOEB (Crédit : SAUL LOEB / AFP)

Les descendants de Bonhoeffer ne sont pas les seuls à exprimer leurs préoccupations. Une pétition publiée sur Change.org, intitulée « Stop Misusing Dietrich Bonhoeffer to Support Political Violence and Christian Nationalism » (Arrêtez d’exploiter Dietrich Bonhoeffer pour justifier la violence politique et le nationalisme chrétien), a recueilli plusieurs milliers de signatures. Parmi les premiers signataires figurent les coprésidents de la Société internationale Bonhoeffer, qui ont relayé la pétition sur leur site officiel. Celle-ci critique l’instrumentalisation du théologien et mentionne le film, Metaxas et le Projet 2025 comme exemples récents de déformations idéologiques de son message.

Se souvenir de l’homme et de son message

Neuf membres du casting du film, dont Jonas Dassler et August Diehl, ont tenu à prendre leurs distances en publiant leur propre déclaration. S’appuyant sur les principes du Sermon sur le Mont, ils affirment leur soutien au projet cinématographique tout en dénonçant les tentatives de récupération par des mouvances d’extrême droite.

« Nous croyons en notre film, qui, à notre avis, raconte une histoire totalement différente de celle que quelques radicaux veulent en faire. »

« Pour nous, l’histoire de Dietrich Bonhoeffer illustre la nécessité de s’élever contre les régimes totalitaires et d’agir face aux systèmes de mensonge, de sectarisme, de nationalisme, de racisme, d’antisémitisme, d’homophobie, de transphobie et de xénophobie. Il s’agit de défendre notre histoire et notre culture contre l’appropriation et le révisionnisme historique. »

La déclaration ajoute que « l’héritage de Bonhoeffer nous enseigne à toujours nous préoccuper des personnes marginalisées dans notre société, à ne pas juger les gens en fonction de leur race, de leur sexe, de leur sexualité ou de leur classe sociale. Bonhoeffer ne jugerait pas la manière dont nous trouvons l’amour, la compassion et la solidarité les uns envers les autres. Il nous encouragerait à apprendre les uns des autres et à veiller à ce que notre foi – quelle qu’elle soit – ne soit jamais confisquée par des démagogues extrémistes, mais qu’elle reste toujours guidée par l’amour ».

Un article du Religion News Service consacré au différend autour de Bonhoeffer cite Jared Geesey, directeur de la distribution chez Angel Studios, qui affirme qu’il n’existe aucun lien entre le film et le livre de Metaxas. Selon lui, les messages du film tournent autour de l’amour du prochain et de l’opposition à l’antisémitisme.

Le réalisateur Todd Komarnicki assiste à la première de Bonhoeffer au Regal Battery Park Cinemas le 14 novembre 2024 à New York. (Crédit : ROB KIM / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP)

Le réalisateur Komarnicki a tenu à répondre aux critiques, affirmant qu’il « ne pourrait pas être plus éloigné d’un nationaliste chrétien ».

« Le fait est que Bonhoeffer n’appartient à aucun groupe. Il est une voix singulière d’amour, de grâce, de justice et de courage, et son message reste aussi limpide aujourd’hui qu’il l’était pendant la Seconde Guerre mondiale. Nous devrions l’écouter – ce que fait notre film – plutôt que d’écouter toutes ces voix qui tentent de le récupérer pour servir leurs propres griefs culturels. »

Komarnicki décrit Bonhoeffer comme un homme de foi et d’amour.

« L’amour, l’amour… Pas celui des cartes sentimentales de la Saint-Valentin, mais un amour en action. Un amour fort, honnête, sacrificiel, à 100 %. »

Et le message du film, en un mot ?

« L’unité », a-t-il répondu sans hésitation. « Nous ne faisons qu’un. Il faut cesser d’enfermer les gens dans des cases. »

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