Un officiel mexicain fugitif réfugié en Israël dénonce « des persécutions politiques »
Le Mexique demande l'extradition de Tomas Zeron, ancien chef de l'Agence d'investigations criminelles, qui est accusé d'avoir compromis une enquête déterminante
Un ancien responsable de la police du Mexique, qui a demandé l’asile à Israël – son extradition a été réclamée par les autorités mexicaines qui l’accusent d’enlèvement, de torture et de falsification de preuves dans le cadre de l’enquête sur la disparition de 43 étudiants en 2014 – a affirmé devant les caméras d’une chaîne de télévision israélienne qu’il faisait l’objet de persécutions politiques et qu’il désirait pouvoir retourner auprès de sa famille et dans son pays.
« Ce n’est pas une situation facile », a commenté Tomas Zeron, ancien directeur de l’Agence d’enquêtes criminelles au Mexique, que les autorités accusent d’avoir compromis les investigations lancées sur la disparition des étudiants. Il est aussi accusé d’avoir détourné plus de 50 millions de dollars et d’avoir torturé des suspects.
Zeron s’était enfui vers Israël après la réouverture de l’enquête sur ces enlèvements suite à l’élection, en 2019, d’Andres Manuel Lopez Obrador à la tête du pays. Zeron se trouve depuis en Israël et il a demandé l’asile dans la mesure où le gouvernement d’Obrador a réclamé son extradition.
Obrador avait demandé l’aide d’Israël dans ce processus en 2021, envoyant un courrier sur le sujet à l’ex-Premier ministre Naftali Bennett et, plus tard, au Premier ministre Benjamin Netanyahu qui, au mois de juillet, avait semblé indiquer qu’il était ouvert à la discussion dans ce dossier.
Zeron, qui dirigeait l’équivalent mexicain du FBI et qui avait supervisé la capture et l’arrestation de Joaquín “El Chapo” Guzmán, célèbre baron des cartels de drogue en février 2014, a indiqué sur la Douzième chaîne que les accusations lancées à son encontre entraient dans le cadre d’une campagne « de persécution politique », et il a affirmé avoir « les preuves et les moyens nécessaires pour le prouver ».
« En fin de compte, mon objectif est de retourner dans mon pays, auprès de ma famille, avec mon nom… La justice prévaudra », a-t-il continué dans un entretien qui a été diffusé samedi.
L’un des avocats de Zeron, Liora Turlevsky, a déclaré que son client clamait son innocence et que « le mandat d’arrêt émis à son encontre entre en contradiction avec les faits et avec les nombreuses preuves recueillies dans le dossier ».
« Selon toutes les indications, il y a une réelle menace à sa liberté au Mexique et il ne bénéficiera pas d’un procès équitable », a-t-elle dit. « Le gouvernement mexicain a ourdi un complot à son encontre, et tout le monde fait en sorte de ramener la tête de Tomas pour l’offrir au public mexicain ».
Cette disparition, en septembre 2014, des 43 étudiants avait choqué le Mexique et déclenché des manifestations de masse contre le gouvernement de l’époque et le président Peña Nieto.
La colère du public s’était aussi accrue et en septembre 2021, l’ambassade d’Israël à Mexico City avait été vandalisée par des manifestants réclamant l’extradition de l’ancien haut-responsable. La mission avait été recouverte de graffitis, et notamment du slogan « Mort à Israël ».
Suite à la disparition des étudiants, en 2014, les enquêteurs dirigés par Zeron avaient conclu, au bout de quelques semaines, que la police avait remis les étudiants, en route pour une manifestation, à un cartel de la drogue qui les aurait tués avant de brûler et jeter les corps dans une rivière.
Les procureurs avaient initialement fait savoir que le cartel avait pris les étudiants pour des membres d’un gang rival.
Des enquêteurs internationaux avaient par la suite infirmé le récit de Zeron, en découvrant que le gouvernement avait falsifié des preuves et contraint des témoins à de faux aveux sous la torture.
Zeron avait démissionné de ses fonctions en 2016 suite à la diffusion d’une vidéo le montrant en train de manipuler des preuves manifestement jamais officiellement enregistrées.
Zeron a expliqué à la Douzième chaîne qu’il avait fui vers Israël après avoir perdu ses gardes du corps et après avoir reçu des menaces. « C’était une menace réelle de se retrouver sans sécurité et c’est à ce moment-là que j’ai décidé de quitter le pays, et je me suis enfui au Canada, puis en Israël » en 2019, a-t-il indiqué.
Un responsable mexicain avait déclaré au Times, en 2021, que Zeron avait reçu l’aide d’entreprises israéliennes avec lesquelles il était en relation, comme la société de renseignement privée NSO Group, dont il avait utilisé le logiciel espion pour traquer « El Chapo ».
Une enquête internationale faite par une organisation de médias connue sous le nom de The Cartel Project avait ajouté que Zeron avait fui en Israël grâce à l’aide de ses contacts dans l’industrie de la cyber-surveillance locale.
NSO avait nié toute forme d’aide à Zeron, le Times ajoutant qu’aucune preuve directe n’avait pu être apportée sur ce point.
Dans son interview accordée à la Douzième chaîne, Zeron a expliqué qu’il « ne connaissait personne » au sein du NSO Group et que personne ne l’avait aidé. « Je n’ai aucun lien avec eux, je ne les ai jamais rencontrés. Il n’y a aucune preuve soutenant ça », a dit l’homme, qui est actuellement manager d’un restaurant mexicain à Tel Aviv dans l’attente de la réponse à sa demande d’asile.
« C’est difficile de vivre dans un autre pays pendant presque quatre ans, je vis seul, sans ma famille, sans les miens… Aujourd’hui, je n’ai qu’un seul but…. Lutter pour ma vie », a-t-il continué.
En 2022, le New York Times avait indiqué que le chef de la commission d’enquête sur les disparitions de 2014 s’était rendu en Israël pour tenter de convaincre Zeron de coopérer. Selon le journal, un mois après la demande mexicaine d’extradition, le chef de la commission, Alejandro Encinas, avait effectué un déplacement en Israël et déjeuné durant trois heures, à Tel Aviv, avec Zeron, « lui demandant » de fournir plus d’informations sur l’affaire et lui offrant le « soutien du président » en échange de toute nouvelle information sur les étudiants.
Dans une interview accordée au journal, Encinas avait déclaré que Zeron pouvait détenir des informations précieuses, qui pourraient valoir à l’intéressé, avec le soutien du président, une peine de prison réduite.
L’article avait noté qu’Encinas avait fait le voyage pour rencontrer Zeron parce qu’il subissait des pressions, dans son pays, en faveur de nouvelles annonces dans le dossier, même si les enquêteurs n’avaient pas terminé leurs investigations.
Deux mois après cet entretien, un grand nombre de messages WhatsApp très prometteurs avaient été découverts, mais Encinas avait fait savoir qu’une grande partie d’entre eux n’avaient pu être exploités.
Au mois d’août 2022, une Commission chargée par le gouvernement d’enquêter sur ces atrocités avait qualifié le dossier de « crime d’État » impliquant les agents d’institutions variées. Elle avait livré de nouvelles informations sur l’implication de l’armée dans ces disparitions, avec notamment les captures d’écran de messages indiquant que les militaires avaient, dans certains cas, donné l’ordre de tuer des étudiants en cachant leurs dépouilles.
Des mandats d’arrêt avaient été émis concernant plus de 80 suspects, notamment des militaires, des policiers et des membres de cartels.
L’ancien procureur-général Jesus Murillo Karam, qui avait dirigé les investigations initiales controversées sur ces disparitions, avait été placé en détention au mois de juillet 2022, devant répondre de disparition forcée, de torture et d’obstruction à la justice.
En septembre 2022, un groupe d’experts internationaux avait dénoncé une certaine précipitation à vouloir donner des résultats, allant jusqu’à mettre en doute certaines preuves incluses dans le rapport de la Commission gouvernementale sur cette affaire.
Les experts avaient aussi mis en doute les messages WhatsApp, selon eux rédigés d’une manière très différente de ceux interceptés par les autorités américaines.
À l’époque, Encinas avait déclaré : « Je n’ai subi de pressions de personne » et « Il n’y a rien de politique » dans cette affaire, ajoutant que les questions soulevées par les experts indépendants allaient être examinées.
L’AFP a contribué à cet article.