Un rescapé de Beeri lance « Mémorial 710 » pour conserver les preuves du massacre
Yaniv Hegyi, ex-chef de kibboutz, compile des messages, des images et des vidéos envoyés le jour de l'assaut pour créer une archive seconde par seconde du massacre
« Ils brûlent notre maison ! » Les survivants du kibboutz Beeri en Israël rassemblent textos, photos et vidéos des derniers messages déchirants de leur proches envoyés en direct durant l’attaque du groupe terroriste palestinien du Hamas le 7 octobre, afin de constituer des preuves numériques du massacre.
Ancien responsable de la communauté la plus touchée après le festival de musique Supernova, avec plus de 80 morts sur une population de plus de 1 100 personnes, Yaniv Hegyi, 50 ans, veut créer des archives de la tuerie perpétrée le 7 octobre par des membres du groupe terroriste islamiste palestinien du Hamas infiltrés depuis la bande de Gaza.
Nom du projet, aussi éprouvant qu’essentiel : « Memorial 710 ». « 710 » pour le « 7 octobre », date où son destin a basculé.
Raccrochés à leur seule source d’information et de communication avec l’extérieur, « les gens ont envoyé des selfies avant d’être assassinés », raconte M. Hegyi, présent au kibboutz lors de l’attaque.
Dans son téléphone portable, il conserve des milliers de messages qu’il a lui même reçus ou que des habitants lui ont envoyés, de personnes terrifiées, appelant désespérément à l’aide depuis leur abri plongé dans le noir.
« Rétablir la vérité »
« Il y a des cris en arabe et beaucoup de tirs, venez vite, je vous en prie », dit l’un d’eux, à grand renfort d’emojis, que M. Hegyi montre à l’AFP depuis Ein Gedi, au bord de la mer Morte, où il est installé temporairement avec d’autres habitants du Kibboutz attaqué.
Le 7 octobre, environ 3 000 terroristes ont franchi la frontière vers Israël depuis la bande de Gaza par voie terrestre, aérienne et maritime, tuant environ 1 200 personnes et prenant plus de 240 otages de tous âges sous le couvert d’une pluie de milliers de roquettes tirées sur les villes israéliennes. La majorité des personnes tuées étaient des civils, y compris des nourrissons, des enfants et des personnes âgées. Des familles entières ont été exécutées chez elles, et plus de 360 personnes ont été massacrées lors du festival Supernova au kibboutz Re’im, beaucoup dans des actes d’une sauvagerie atroce.
Actuellement, 138 otages sont toujours aux mains du Hamas, après plusieurs vagues de libérations, selon les derniers chiffres du gouvernement israélien.
Israël a riposté par une campagne militaire dont l’objectif est de renverser le Hamas au pouvoir à Gaza et de libérer les otages. L’Etat juif affirme que son offensive vise à détruire les capacités militaires et de gouvernance du Hamas, et s’est engagé à éliminer l’ensemble du groupe terroriste qui dirige la bande de Gaza. Il affirme viser toutes les zones où le Hamas opère, tout en cherchant à réduire au maximum les pertes civiles.
Yaniv Hegyi, regard grave, affirme vouloir « se battre pour rétablir la vérité sur ce qui s’est passé » dans le kibboutz.
Insoutenable, mais essentiel
Aujourd’hui, M. Hegyi imagine une carte interactive sur laquelle les futurs chercheurs pourraient sélectionner une maison et faire apparaître les messages et les images de ce qui s’y est déroulé.
Par exemple, précise-t-il, « si une jeune fille de 13 ans m’a envoyé un message vocal disant : ‘par pitié, ma mère a été assassinée, mon frère est mort et mon père est très gravement blessé’, ils (les internautes) pourront se rendre dans l’endroit d’où a été émis l’appel à l’aide et voir ce qu’il est arrivé à cette famille ».
Une démarche insoutenable, mais essentielle pour Hana Brin, 76 ans. Ancienne historienne et résidente de Beeri, elle a accepté de partager ses messages, malgré la douleur.
« Cette documentation se déroule en temps réel et sur place, elle montre une grande détresse, c’est donc la plus authentique », dit-elle.
Un point de vue confirmé par Raquel Ukeles, qui crée une base de données pour préserver ces archives – textos, photos, messages audio et vidéos – en tant que responsable des collections à la Bibliothèque nationale.
« Ce genre de collecte permet de défendre l’exactitude historique contre toutes sortes d’affirmations fausses et scandaleuses », explique-t-elle à l’AFP.
« Ces données brutes pourront être utilisées ultérieurement par des musées ou pour monter des expositions », ajoute cette spécialiste. « Mais c’est terriblement personnel. »
« Se libérer »
Jusqu’à présent, une centaine de survivants de Beeri a accepté de participer au « Memorial 710 » et les bénévoles demandent à d’autres communautés de se joindre à eux, avant que les précieux messages ne se perdent.
Et au-delà du défi technologique, certains hésitent aussi à partager les derniers signes de vie d’une fille, d’un petit-fils ou d’une maman, des mots d’amour intimes, lancés avant la mort.
« C’est pas facile de les convaincre tous », admet Yaniv Hegyi. « Mais lorsqu’ils s’y résolvent, il y a comme un changement qui s’opère. »
« En nous confiant leur WhatsApp, ils agissent, ils se libèrent de ce sentiment d’impuissance que nous avons tous ressenti à l’intérieur des pièces sécurisées. »
Il faut aussi se saisir de l’outil numérique pour le devoir de mémoire, car « nous aurions voulu savoir ce qui est arrivé à nos grands-parents durant la Shoah ».