Un secouriste de United Hatzalah revient sur sa terrible expérience sur la « route de la mort » le 7 octobre
« C'était comme un train fantôme », dit le secouriste qui a soigné les blessés de la route 232 et qui tente de garder en tête le bien que lui et d'autres bénévoles ont fait ce jour-là

En sa qualité de responsable du triage des secouristes et véhicules du service d’urgence United Hatzalah, tous bénévoles, Aharon Ben Haroush, 28 ans, a effectué une mission en Ukraine en 2022 pour aider les rescapés des bombardements russes.
Mais le massacre perpétré par le Hamas, le 7 octobre 2023, dépasse de loin tout ce qu’il a pu voir auparavant.
« J’avais déjà vu des victimes, mais je n’aurais jamais imaginé une chose pareille », confie Ben Haroush. « C’était d’une telle ampleur. »
Un an après, Ben Haroush n’arrive pas à se défaire de ses souvenirs : il ressasse ce qui s’est passé en ce jour terrible où des milliers de terroristes dirigés par le Hamas se sont introduits en Israël pour tuer plus de 1 200 personnes et prendre 251 otages dans la bande de Gaza, lors d’atrocités dont il existe de nombreuses preuves, commises avec un acharnement envers les civils.
Ben Haroush ne fait pas que travailler pour United Hatzalah, il s’y est également marié puisque sa femme, Avigail, est la fille de Gitty, ambulancière de United Hatzalah et d’Eli Beer, fondateur et président de l’organisation. La famille a souvent les honneurs des médias, mais c’est pourtant la toute première fois que Ben Haroush raconte ce qu’il a vécu au Times of Israel par chat vidéo.
Ben Haroush a les yeux noirs, les cheveux noirs et une barbe noire – une barbe de trois jours – sur son visage rond et sérieux.
Il explique que la nuit précédant le massacre, sa femme et leur fils en bas âge avaient passé la nuit à l’hôtel, à Jérusalem, à l’occasion de la fête de Simhat Torah. Ben Haroush s’était couché tard après avoir dansé et fait la fête : il explique avoir été réveillé par un appel urgent de Nehorai Darshan, chef de la section de Sderot de United Hatzalah.

Darshan lui dit qu’il y a une urgence dans son secteur. En caleçon, Ben Haroush commence à envoyer des ambulances.
C’est alors que retentit une sirène signalant l’arrivée de roquettes sur Jérusalem. Rapidement il s’habille, envoie 10 ambulances de plus et met le cap vers le sud en compagnie de sa belle-mère Gitty. Sous un feu nourri de roquettes, ils croisent des civils qui fuient en direction du nord et des soldats qui font du stop pour rejoindre le sud.
« Personne ne savait ce qui se passait », se rappelle Ben Haroush. « Nous comprenions qu’il se passait quelque chose, mais personne ne savait exactement quoi. »
Un peu avant 9 heures, ils arrivent au niveau de Helets Junction, à une dizaine de kilomètres au nord de Sderot, au carrefour entre les routes 352 et la 232.
La route de la mort
Cette route 232 allait bientôt prendre le nom de « Route de la mort », et Ben Haroush dit avoir immédiatement vu « un déluge de peur et de chaos ».

A ce moment précis, il voit la vidéo d’une jeep remplie de terroristes équipés de M16, à Sderot, en train de tirer sur la police. Il explique que ni lui, ni les autres secouristes, ni même les policiers ne sont capables de dire si les voitures qui se dirigent dans leur direction sont conduites par d’inoffensifs civils ou des terroristes du Hamas.
Par ailleurs, ils se trouvent là dans une zone déserte, sur une route principale, au milieu d’un carrefour, sans lieu pour s’abriter, sans gare routière dans laquelle se cacher, sans sirène pour les alerter de la chute de missiles qui passent sans dicontinuer au-dessus de leurs têtes.
Ben Haroush met en place un centre de commandement et assure la coordination entre des dizaines d’ambulances et des médecins de United Hatzalah, armés pour la circonstance – des personnes « un peu folles » qui « risquent leur vie pour faire le bien ».
Il envoie des ambulances dans les communautés voisines de Kfar Aza, Sderot et Beeri, qui permettent d’évacuer les blessés.
Chaque fois qu’il envoie des véhicules, il craint qu’il leur arrive quelque chose.
« Viens dans mes bras », leur dit-il avant d’ajouter « Maintenant vas-y. »
Ben Haroush serre souvent les gens dans ses bras pour leur dire bonjour : « Mais là, c’était différent – j’avais le sentiment que cela pouvait être un adieu parce qu’il y avait un risque que certains ne reviennent pas. »
Il envoie même sa belle-mère et son beau-frère, Meir Shmuel, tout en sachant que s’il leur arrivait quelque chose, il serait « émotionnellement très affecté ». Mais il les serre dans ses bras avant de les envoyer sur le terrain.

Les vivants et les morts
Ben Haroush se souvient d’une Kia Sportage roulant à vive allure dans leur direction, le canon d’une arme à feu sortant par la fenêtre. Tous les policiers ont pointé leur arme sur la voiture jusqu’à ce qu’elle s’arrête.
Le soldat qui conduit la voiture ouvre la portière arrière : deux soldats se trouvent là.
« Le conducteur pensait qu’ils étaient blessés, mais j’ai tout de suite vu qu’ils étaient morts », confie Ben Haroush. « J’ai essayé de lui expliquer qu’il devait continuer à se battre mais qu’il n’y avait plus rien à faire pour eux. Mais pour lui, ils étaient vivants : il les a amenés à l’hôpital, son arme pointée par la fenêtre, prêt à tirer en cas de menace.
De retour au carrefour, des bénévoles disent avoir vu « 13 morts par ici, 60 morts là-bas ».
A un certain moment, Ben Haroush n’a pas d’autre chose que de donner la consigne de ne pas s’occuper des morts. « C’est une décision difficile, mais ce sont les vivants qui comptent », justifie-t-il.

Un train terrifiant
Les ambulances fonctionnaient « comme un train fantôme », confie Ben Haroush. « Elles revenaient « pleines de sang et de cris, en un flot ininterrompu ».
Il se rappelle avoir vu des femmes enceintes, des enfants, des mères et avoir brutalement pris conscience que ce n’était « pas seulement une attaque contre les soldats ; C’était un massacre, une attaque contre toute la population. »
Il voit des gens arriver en courant du festival de musique Supernova avec des blessures, dont des blessures par balle aux bras et aux jambes.
« Avec trois de ses amis, une fille a couru 15 kilomètres avec des blessures par balle aux jambes et aux bras », se souvient Ben Haroush. « C’était courir pour sauver sa peau. »

C’est alors qu’il voir arriver des gens tout droits sortis de la synagogue, avec leurs vêtements de fête, « des bénévoles au visage plein d’espoir, venus aider, soutenir les gens ».
« Personne ne s’est posé la question de savoir qui était religieux ou qui ne l’était pas », dit-il. « Un homme vêtu d’un châle de prière a porté dans ses bras une fille en bikini blessée au festival. »
Ben Haroush marque un temps d’arrêt. Le climatiseur de son bureau a beau tourner à plein régime, il a chaud et transpire.
« Ils vont tous s’effondrer »
Dans l’après-midi, Ben Haroush se rend à bord d’une ambulance au kibboutz Kfar Aza, où les terroristes du Hamas sont en train d’assassiner brutalement 62 personnes.

A son arrivée, un commandant de l’armée lui demande d’évacuer des soldats. Ben Haroush les examine et constate que les trois soldats sont morts. Un autre soldat mort lui est apporté. Le commandant lui dit de les évacuer.
« Je ne suis pas venu ici pour évacuer des morts », lui répond Ben Haroush.
« Pour le moral de mes soldats, il est important que vous les évacuiez », lui dit le commandant. « Si mes soldats voient les morts, ils vont tous s’effondrer. »
L’équipe d’urgence cache donc les soldats morts derrière des buissons afin que les autres soldats continuent à se battre.
« Nous étions stationnés à l’entrée du kibboutz : des unités spéciales sont entrées mais sans pouvoir évacuer les blessés », poursuit Ben Haroush. « Nous avons vu un véhicule blindé qui avait essuyé pas mal de tirs – ses vitres avaient volé en éclats. Mais il ne pouvait pas évacuer les blessés. C’est alors qu’un char s’est approché de nous rapidement. Il nous amenait les blessés. »

« Nous avons réussi à faire beaucoup de bonnes choses »
« À partir de là, on travaille comme des robots – sans manger, sans boire ni rien », ajoute Ben Haroush.
Il demande des hélicoptères pour évacuer les blessés : ils finissent par se poser à Helets Junction.
« Les hélicoptères ont atterri, embarqué les blessés et redécollé », poursuit-il.
Vers minuit, il pense à sa grand-mère, qui vit à Sderot.
« J’ai toujours été là pour elle », précise-t-il.
Il sait qu’il y a des terroristes là où elle vit et il envoie une ambulance pour l’évacuer « alors même que les tirs se poursuivent dans les rues ».
Quand ma grand-mère m’aperçoit au carrefour Helets, elle fond en larmes et ne me lâche plus la main.
« Elle avait perdu espoir », confie Ben Haroush. « J’étais sa première planche de survie. »
Pensées et flashbacks
Ben Haroush admet qu’il lui a fallu longtemps pour revenir à une « vie normale ».
Il ressasse ce qui s’était passé. « Nous étions les seules ambulances du secteur », explique-t-il. « Nous avons supplié, supplié pour avoir des renforts, sans succès. »
Il avoue être travaillé par des pensées et des flashbacks de ce qui s’est passé ce jour-là.
« Nous étions là, au coeur des combats, sous les bombes, pour aider », poursuit Ben Haroush. « Je sais que j’ai fait du mieux que j’ai pu, j’en suis sûr, et cela m’aide beaucoup. »
En plus du traitement psychologique, la guérison de Ben Haroush passe par la poursuite « du bon travail que nous faisons au quotidien. Je suis toujours dans mon ambulance et je réponds aux appels. »
Il explique que les gens lui demandent fréquemment ce qu’ils peuvent faire pour aider.
« Vous pouvez faire un don à une œuvre de charité, ou bien du bénévolat ou tout simplement regarder ceux qui vous entourent et vous aussi faire de bonnes actions. Demandez-vous ce que vous pouvez faire pour les autres, pour le peuple d’Israël », conclut-il. « Le plus important, c’est de faire corps. »
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