Un village palestinien de la vallée du Jourdain démoli pour la 2e fois en 3 mois
Les résidents et l'AP dénoncent les actions de l’armée à Khirbet Humsa, situé dans une zone de tir ; les démolitions de cette semaine laissent 74 individus sans-abri

Des bulldozers israéliens, accompagnés de soldats, ont démoli un village bédouin dans la vallée du Jourdain en Cisjordanie mercredi soir pour la deuxième fois depuis novembre, laissant environ 74 Palestiniens – dont 41 enfants – sans abri, selon l’organisation de gauche B’Tselem.
Des observateurs internationaux se sont rendus jeudi à Khirbet Humsa, près de la ville cisjordanienne de Tubas, retrouvant des tentes détruites, des panneaux solaires brisés et des réservoirs d’eau cassés. Certains de ces équipements auraient été achetés grâce à un financement européen.
Le même village avait été démoli pour la première fois le 3 novembre. Cette démolition avait été remarquable par son ampleur – certains observateurs l’avaient qualifiée de « plus grande démolition de constructions illégales palestiniennes en une décennie » – et avait suscité des critiques internationales, comme celle de cette semaine, qui a conduit à une condamnation de la France.
Le Coordonnateur des activités gouvernementales dans les territoires (COGAT), qui fait la liaison militaire d’Israël avec les Palestiniens, a déclaré avoir détruit des structures qui avaient été érigées illégalement sur une zone de tir de l’armée. Khirbet Humsa est l’une des 38 communautés bédouines qui se trouvent sur des terres que l’armée israélienne a désignées comme terrains d’entrainement, selon l’ONU.

Alors que la loi militaire israélienne interdit l’expulsion de résidents permanents d’une zone de tir, la Haute Cour a jugé que les résidents de Khirbet Humsa n’étaient pas concernés par cette norme.
« Les pétitionnaires n’ont aucun droit de propriété reconnu dans ces zones. Il s’agit d’intrus qui s’en servent pour le pâturage », a déclaré la Haute Cour.
Dans leur décision, les juges ont déclaré que l’évacuation serait également favorable à la sécurité personnelle des résidents, en raison de la présence militaire dans la région. De plus, « la construction dans la zone n’a pas été autorisée et est illégale », a jugé le tribunal.
Les habitants de Khirbet Humsa ont rejeté la décision du tribunal, affirmant au Times of Israël qu’ils avaient vécu dans la zone toute leur vie.
« Pourquoi devrions-nous partir ? Cette région est notre maison et nous sommes biens ici », a déclaré une femme, Leila Abu al-Kabbash, au Times of Israël lors d’une visite sur le site en novembre.

Selon le COGAT, les résidents s’étaient vu offrir la possibilité de déménager dans une nouvelle implantation en dehors de la zone de tir au cours de la semaine dernière, mais ont refusé.
« Les résidents ont refusé de déplacer de manière indépendante les tentes qui ont été installées illégalement, sans les permis et approbations nécessaires », a déclaré le COGAT dans un communiqué.
Le COGAT a déclaré que certains résidents avaient accepté de partir de leur plein gré, avant de changer d’avis, conduisant à la confiscation de certaines de leurs tentes.
« Les habitants de la zone ont accepté de l’évacuer de manière indépendante, avec l’aide de l’unité de supervision. Néanmoins, après que les résidents ont démantelé la plupart des tentes et les ont chargées dans les camions de déménagement, ils ont changé d’avis et ont finalement refusé d’évacuer la zone », a déclaré le COGAT.
Les résidents contestent cependant qu’ils aient jamais accepté de partir.
« Le COGAT ment. Ils diront tout ce qu’ils veulent pour que nous partions et pour mettre à la place une implantation israélienne », a déclaré jeudi Yasir Abu al-Kabbash, un habitant de Humsa al-Fouqa, au Times of Israël.
Abu al-Kabbash a déclaré que sa famille dormait dehors, sans aucune protection, depuis cette deuxième confiscation des tentes.
« Il y a de la boue, il pleut, c’est l’hiver. La situation est terrible. Nous restons ici, parce que c’est notre maison, même si cela signifie que nous devons dormir dehors sous la pluie », a déclaré Abu al-Kabbash.
L’Autorité palestinienne a condamné cette décision et le Premier ministre de l’Autorité palestinienne, Mohammad Shtayyeh, et le chef adjoint du Fatah, Mohammad Al-Aloul, se sont rendus dans le village jeudi. Shtayyeh a promis « toute forme de soutien moral et matériel » pour garantir que les résidents palestiniens puissent y rester.
« C’est la forme d’occupation la plus laide… pour remplacer notre peuple par des colons qui souilleront cette terre pure », a déclaré Shtayyeh en visitant le site.

La vallée du Jourdain est située dans la zone C, placée sous sécurité et contrôle civil israéliens selon les accords d’Oslo de 1995. Selon les accords, Israël est responsable de la planification et de la construction dans la région.
Les Palestiniens de la zone C se heurtent régulièrement aux autorités israéliennes suite à ce qu’Israël considère comme des constructions illégales. Israël affirme que les Palestiniens violent la loi et entreprennent des constructions dans des zones illégales, tandis que les Palestiniens soutiennent qu’Israël ne leur délivre pas suffisamment de permis et ne légalisera pas les villages existants.
Israël a déclaré la zone comme zone de tir réel en 1972, selon des documents judiciaires. Les résidents bédouins de Humsa avaient fait appel à la Haute Cour israélienne pour qu’elle annule la démolition imminente de leur village. En 2019, le tribunal avait rejeté leur recours et jugé que les résidents n’étaient pas autorisés à rester dans la zone.
Les autorités israéliennes ont fait valoir dans des affaires judiciaires contestant ces zones d’entraînement militaire que celles-ci avaient été désignées de façon professionnelle, en prenant en compte plusieurs considérations, telles que les caractéristiques topographiques uniques d’un lieu.
Les groupes de défense des droits affirment cependant que, dans certains cas, des terres ont été déclarées zones de tir comme moyen de consolider le contrôle israélien.
Selon un document discuté par la Haute Cour début août, le futur Premier ministre Ariel Sharon avait explicitement déclaré lors d’une réunion du comité d’implantation en Cisjordanie en 1981 que les militaires déclareraient certaines zones comme zones d’entraînement afin de contrôler « la propagation de villageois arabes des collines ».
« Il y a des endroits que nous avons intérêt à déclarer comme des zones de tir réel, afin de nous assurer qu’ils restent entre nos mains », avait déclaré Sharon, qui était alors ministre des Implantations, au comité.
Selon Dror Etkes, qui dirige l’ONG de gauche Kerem Navot, les zones de tir sont parfois redessinées pour répondre aux besoins des implantations juives. Il a souligné que l’implantation de Hemdat, située dans une petite poche de terrain légalisé au fond de la zone de tir, a vu les terrains d’entraînement être redessinés afin de permettre au village de s’étendre davantage.

« Il y a des avant-postes de colons [juifs] qui se trouvent loin dans les zones de tir, et personne n’y touche. Dans certains cas, comme à Mitzpeh Kramim, l’armée a même déclaré qu’elle était prête à modifier les frontières de la zone de tir pour l’adapter à l’implantation », a déclaré Etkes lors d’un appel téléphonique.
De leur côté, les habitants de Khirbet Humsa se sont engagés à rester sur place et à reconstruire leur village.
« Nous ne partirons pas. Où irions-nous ? Il n’y a nulle part où aller. En ce moment même, nous montons à nouveau des tentes », a déclaré Yasir Abu Al-Kabbash.