Une créatrice de t-shirts iconiques révèle l’envers de la société israélienne
Le travail de Ruth Adler avec les tissus et l’acrylique est exposé dans 'Through the Fabric' [A travers le tissu] à l’Institut de technologie de Holon
Lorsque l’artiste canado-israélienne Ruth Adler a créé ses t-shirts originaux et colorés « Lipti Art to Wear », à la fin des années 1980, elle révolutionne un marché israélien qui se limitait jusque-là à des t-shirts en coton avec les slogans Drink Coca-Cola ou Hard Rock Café.
« Les commerçants me disaient : ‘C’est écrit en hébreu, personne ne veut d’hébreu sur son T-shirt’ », explique Adler. « Le lendemain, ils m’appelaient pour me dire : « Livrez-m’en plus. »
Ainsi furent les débuts de ces t-shirts et affiches en coton blanc imprimés des illustrations vibrantes d’Adler, qui ont connu le succès dans le monde entier, allant jusqu’à des collaborations avec la marchande d’arts graphiques Marci Lipman, à Toronto et même Martex et Macy’s, avec une collection de draps.
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L’entreprise a pris fin une dizaine d’années plus tard, lorsqu’Adler a décidé de se partager entre Israël et l’Amérique du Nord pour raisons personnelles.
Les textiles sont une constante de la vie artistique d’Adler, et ses créations les plus récentes, avec des t-shirts iconiques Lipti soigneusement conservés, s’exposent aujourd’hui dans le cadre de l’exposition « Through the Fabric », réunie par la conservatrice Dalia Manor dans la galerie de l’Institut de technologie de Holon, jusqu’au 16 février 2023.
L’exposition embarque ses visiteurs dans une exploration de la vie artistique actuelle d’Adler et offre un bref aperçu de son passé sous la marque Lipti.
Adler arrive en Israël en 1975 en provenance d’Edmonton, dans l’Alberta, diplômée du secondaire et avec le projet d’étudier les sciences. La mère de son petit ami israélien remarque son penchant pour le dessin et Adler opte finalement pour le programme de design textile du Shenkar College of Engineering and Design.
« J’étais très inspirée par Matisse », dit-elle, et en effet, on voit, dans les œuvres présentes et passées d’Adler, l’empreinte de l’artiste français connu pour son utilisation unique de la couleur et des formes.
Adler a créé son premier T-shirt en dernière année, lorsqu’un de ses professeurs à Shenkar lui suggère de dessiner de petites images et de les déconstruire, d’amplifier leurs imperfections, en s’inspirant des défauts naturels et bizarreries d’une peinture.
Elle commence à dessiner des images du monde qui l’entoure, les rues de Tel Aviv, ses plages et palmiers, ses petites rues secondaires et ses petits immeubles.
Adler dessine la mer de Galilée lorsqu’elle s’y rend, en week-end, les grues du port de Haïfa, les toits en forme de dôme de Jérusalem. Elle a une perspective originale sur Israël, pays qu’elle découvre avec curiosité.
« J’avais des centaines de dessins », se rappelle Adler, en montrant quelques exemples exposés dans une vitrine en verre, au centre de l’exposition.
Avec celui qui est à l’époque son mari, ils impriment 300 T-shirts sous la marque Lipti, son surnom, qu’ils tentent de vendre dans les magasins des environs.
Dans un premier temps, ils essuient des refus parce que les Israéliens ne veulent que des vêtements avec des inscriptions en anglais, signes de leurs voyages à l’étranger. Mais Lipti comprend et « surfe sur la vague des T-shirts », explique Adler.
À son retour au Canada, Adler tente de créer une ligne similaire de textiles basée sur l’imagerie et la culture canadiennes, mais « le Canada n’est pas Israël », dit-elle, aussi passe-t-elle aux textiles et à la peinture, réalisant l’intérêt de combiner les deux dans des tapisseries, à une échelle beaucoup plus grande.
Adler décroche ensuite une maîtrise en beaux-arts, explorant l’utilisation de la peinture, des textiles et de ce qui devient un thème récurrent, les cercles numériques sur papier.
Elle travaille avec des couleurs et des tissus qui reflètent l’endroit où elle vit, que ce soit Hawaii, où vit sa fille, Tel Aviv, où vit son fils ou Toronto, où son mari vit à plein temps.
« Les textiles sont comme la peinture : ils contiennent énormément d’informations », explique Adler. « Ils ne sont pas les mêmes suivant les endroits. »
Adler ne se déplace jamais sans un petit lot de tissus, mais elle aime aussi en acheter là où elle se trouve, en particulier en Israël où elle est une cliente de longue date des magasins de tissus du quartier Nachalat Binyamin, à Tel Aviv.
Un triptyque réalisé à Hawaï quelque temps avant la naissance du premier enfant de sa fille, est audacieux et tropical, évocateur des vacances, avec des couleurs et sensations variés.
Une pièce de l’exposition, « Nachala Magic », donne à voir de délicates mousselines et un satin chatoyant, issus d’échantillons de tissus de vêtements de soirée offerts par le propriétaire de magasin Nachalat Binyamin.
Le thème des cercles numériques sur papier se retrouve sur de nombreuses pièces, ainsi que dans des pochoirs, souvent réalisés à partir d’objets trouvés par Adler dans son studio ou les lieux qu’elle fréquente.
« Ils reflètent les endroits où j’ai vécu », explique Adler.
Les motifs et imprimés des textiles mettent en relief les couleurs de l’œuvre, comme on le voit dans une pièce organisée autour de bandes oranges qui représentent les Premières Nations du Canada. Sur une autre pièce, plus en lien avec la région, les couleurs rouge, noir, blanc et vert du drapeau palestinien et les découpes textiles en forme de jets font clairement référence au conflit.
Encore aujourd’hui, on parle à Adler de ses T-shirts Lipti. Elle reçoit encore un e-mail par semaine de personnes qui lui disent à quel point ces t-shirts ont compté pour elles. Une étudiante en art lui a récemment dit qu’elle cherchait ces t-shirts dans toutes les boutiques de seconde main. (Adler suggère souvent la même chose aux fans qui lui écrivent sur la page Facebook de Lipti.)
Une rétrospective des t-shirts a eu lieu en 2014 au Shenkar College de Tel Aviv, et un livre a été publié sur l’œuvre de Lipti.
Cela me fait plaisir et me surprend à la fois d’entendre ce que ces t-shirts représentent pour les gens, confie Adler.
« A l’époque de ces t-shirts, j’étais toute à la création : nous gagnions bien notre vie », se rappelle Adler qui, à l’époque, ne prend pas la mesure de ce que ses créations représentent pour ses clients.
Les t-shirts sont également les témoins de sa relation de longue date avec Israël. Au fil du temps, elle a ajouté d’autres éléments de sa vie en Israël, des Scuds de la guerre du Golfe en 1991 à l’écriture arabe, en plus de l’hébreu et de l’anglais.
« Même si je vis aussi à Toronto et à Hawaï, cela fait partie de ce que je suis », résume-t-elle.
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