Une infirmière d’unité de confinement décrit les adieux poignants à Aryeh Even
Rachel Gemara décrit les derniers instants d'Aryeh Even, première victime du Covid-19 en Israël, qui, séparé de sa famille, a été accompagné jusqu'au bout à l'hôpital de Jérusalem
Marissa Newman est la correspondante politique du Times of Israël

Le mois dernier, alors qu’Israël comptait un peu plus d’une dizaine de cas de Covid-19, le personnel du centre médical Shaare Zedek de Jérusalem a été informé qu’un nouveau service de confinement destiné à traiter les éventuels patients atteints serait rapidement aménagé dans ses locaux.
Rachel Gemara, 32 ans, infirmière en oncologie née au Canada, faisait partie de la vingtaine de soignants qui se sont portés volontaires pour travailler au sein de cette unité.
À l’époque, il n’existait qu’une seule unité médicale de confinement dans le pays, équipée pour traiter les patients contaminés par le virus hautement infectieux – au centre médical Sheba près de Tel Aviv. La pandémie a depuis explosé en Israël, touchant plus de 2 100 personnes en date de mercredi et causant cinq décès, alors que des mesures strictes de confinement ont été mises en place pour empêcher sa propagation. Le nombre de cas ayant augmenté et le gouvernement ayant gagné du temps grâce à sa politique de quarantaine stricte, les hôpitaux du pays ont accéléré leurs préparatifs pour faire face à la crise.
C’est dans l’unité de confinement de Shaare Zedek, qui n’existait pas il y a encore quelques semaines, qu’Israël a connu son premier décès vendredi – Aryeh Even, 88 ans, un survivant de la Shoah de Jérusalem, s’est éteint sous les yeux de Rachel Gemara, qui se tenait dans le poste de surveillance des infirmières.
L’infirmière s’est confiée au Times of Israel en début de semaine. Elle s’est dite confiante dans la capacité du système de santé israélien à gérer la souche du virus et à éviter la situation cauchemardesque qui se déroule en Italie et dans d’autres pays. Mais les craintes d’un scénario pire – devoir choisir les patients qui bénéficieront d’un respirateur – planent toujours.
Le personnel médical du service gère cela « au jour le jour », commente Rachel Gemara, qui a quitté Toronto pour s’installer en Israël à l’âge de 19 ans.
« Il n’y a aucun moyen, comme dans une situation de guerre, de savoir comment les choses vont évoluer ».
Une unité créée presque du jour au lendemain
Le service de confinement de l’hôpital de Jérusalem a été construit « en quelque sorte du jour au lendemain », a déclaré Mme Gemara. « Il est complètement hermétique. Le personnel est tout près, mais pas tout à fait à l’intérieur ».
Selon Rachel Gemara, le personnel médical se trouve principalement dans ce qu’ils appellent le chamal [un acronyme en hébreu pour quartier général, qui signifie littéralement « salle de crise »] équipé de moniteurs et d’un système de vidéophonie. Les patients ont un capteur fixé sur leur poitrine qui surveille en permanence leur pression sanguine, leur température, leur pouls, dont les mesures s’affichent sur les écrans du chamal.

« C’est là que nous sommes la plupart du temps. Nous sommes constamment en communication avec les patients à l’intérieur du service, et ce n’est que lorsque c’est absolument nécessaire que nous revêtons un équipement de protection complet pour entrer à l’intérieur ».
Pour acheminer la nourriture, les fournitures et les médicaments, le personnel médical met des gants et des masques et ouvre un sas de deux portes en verre, en plaçant les articles sur une étagère à l’intérieur. Après être sortis et avoir fermé les portes derrière eux, les patients entrent et récupèrent les produits.
« Il y a 20 lits, et à ce jour, ils sont tous utilisés. De plus, il y a des lits dans l’unité de soins intensifs au cas où nous devrions nous en servir. Il y a aussi de la place pour une extension, et une deuxième unité a déjà été préparée. Celle-ci n’a pas encore ouvert, mais ce n’est qu’une question de temps », a-t-elle précisé, ajoutant que la raison en était que le ministère de la Santé plaçait les patients présentant des symptômes légers dans des hôtels transformés en hôpitaux de fortune.
Tous ceux qui sont hospitalisés « sont là pour une bonne raison », avec des pathologies préexistantes dont l’asthme. Beaucoup sont jeunes, explique-t-elle, et communiquent avec leur famille via des smartphones et des ordinateurs. Pour les patients plus âgés qui ne disposent pas de cette technologie, « c’est plus difficile de rester seuls ».
En l’absence de visiteurs, les patients eux-mêmes, dit-elle, ont « en quelque sorte créé leur propre famille ici ».

« Il a fallu que je m’habitue, parce que l’oncologie – chaque service en fait – est très interactif, je suis constamment avec les patients, je vois les patients… [Dans l’unité de confinement] J’ai des patients que je n’ai pas encore vus en face à face parce que je n’en ai pas eu besoin, je ne les ai vus qu’à travers la vidéo, donc c’est assurément étrange, mais maintenant nous sommes un peu habitués… mais au début il a fallu s’adapter. »
Quant à sa propre sécurité, elle indique ne pas craindre d’être contaminée. « Nous nous trouvons au plus près du virus, nous savons que ces patients l’ont, c’est pourquoi beaucoup de gens n’ont pas voulu y travailler. Mais honnêtement, je me sens très, très en sécurité. Je porte un équipement de protection complet, je sais lesquels de mes patients sont positifs ».

« Comme dans une guerre », le champ de bataille change tous les jours
Tout en exprimant sa confiance dans les capacités d’Israël en matière de soins de santé, la soignante confie que la crise sanitaire qui se déroule en Italie, où les hôpitaux ont été submergés par la pandémie et où plus de 6 000 personnes sont mortes, est « très présente dans mes pensées ».
« Nous ne voulons pas en arriver à une situation où, Dieu nous en préserve, nous devrions choisir qui aura un respirateur et qui n’en aura pas – c’est certainement la plus grande crainte, car c’est une situation absolument épouvantable », admet-elle. « Je pense qu’Israël est vraiment bien préparé. J’espère vraiment que cela ne se passera pas comme en Italie ».

Pour l’instant, dit-elle, ils prennent les choses au jour le jour.
« Nous savons que cela va se terminer, mais nous ne savons pas quand, nous ne savons pas combien de temps cela durera. Cela dépend en grande partie du public et de son comportement », souligne-t-elle. « En ce moment, comme dans une guerre, nous prenons les choses au jour le jour… Et les choses changent de jour en jour. »
Les adieux d’Aryeh Even
Rachel Gemara était de garde le vendredi où Aryeh Even est décédé dans l’unité de confinement, sans parents autorisés à ses côtés.
« Pendant la journée, il allait bien, il parlait, les patients lui parlaient », rapporte-t-elle.
Le soir, les patients se sont retrouvés pour manger un repas de Shabbat ensemble, dit-elle, près de la chambre d’Aryeh Even.

« Moi, l’autre infirmière et le médecin, nous pouvions voir que son rythme cardiaque augmentait très rapidement. Il y avait une sorte d’arythmie. Et nous savions que quelque chose se passait, nous devions y aller ».
L’autre infirmière et le médecin se sont précipités à l’intérieur, dit-elle.
« Et pendant ce temps, le moniteur émettait de nombreux bips, et les patients qui étaient à l’intérieur, ils l’ont évidemment entendu. Ils se sont inquiétés et sont entrés dans sa chambre et ont vu qu’il n’était pas exactement là, [bien qu’]il respirait encore. Ils ont essayé de le réveiller ».
« Je pouvais voir d’où j’étais assise, sur l’écran, qu’il respirait de moins en moins. Comme je suis infirmière en oncologie, c’est quelque chose que je vois tout le temps, je connais ça très bien – je vois que ce sont ses derniers souffles. Et d’une certaine manière, ils l’ont aussi compris, les patients qui sont entrés dans la pièce ».
Quelques instants avant que le médecin et l’infirmière n’entrent dans la pièce, « Ils ont posé leurs mains sur lui, ont dit [la prière de] shema, ils lui ont dit au revoir », relate-t-elle. « Ils lui ont dit : ‘Aryeh, nous sommes avec toi, nous t’aimons’, ils l’ont vraiment réconforté ».

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