Israël en guerre - Jour 56

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Une nouvelle école se bat pour les haredim non conformes

Présenter la diversité du paysage éducatif haredi s’avère extrêmement difficile pour Rabbi Bezalel Cohen

Elhanan Miller est notre journaliste spécialiste des affaires arabes

Etudiants de la yeshiva Chachmei Lev avec leur professeur, Nechamia Steinberger, à Jérusalem le 26 novembre 2014 (Crédit :  Elhanan Miller/Times of Israel)
Etudiants de la yeshiva Chachmei Lev avec leur professeur, Nechamia Steinberger, à Jérusalem le 26 novembre 2014 (Crédit : Elhanan Miller/Times of Israel)

L’année dernière, quand son inquiétude pour l’avenir de l’ultra-orthodoxie a fusionné avec une angoisse pour l’éducation de son deuxième fils aîné, Rabbi Bezalel Cohen a décidé de fonder une nouvelle yeshiva-école secondaire pour garçons.

« Quand notre fils a atteint sa septième année, il est devenu évident que l’école ne l’intéressait pas. Ils pensaient qu’il n’avait pas les compétences ; il manquait certainement de motivation. Son désintérêt causait des problèmes de comportement. Il souffrait, le personnel de l’école souffrait, ses amis souffraient », rappelle Cohen dans une conversation avec le Times of Israel, assis dans son petit bureau de la yeshiva Chachmei Lev dans le quartier ultra-orthodoxe de Beit Vegan à Jérusalem.

« Nous avons essayé des psychologues, la musique, les sports, l’équitation. Nous ne savions plus quoi faire. Nous avons compris que s’il continuait dans la voie [ultra-orthodoxe] régulière, ses chances de réussir étaient nulles. »

Ancien activiste social et diplômé des plus prestigieux établissements éducatifs ultra-orthodoxes de Jérusalem, Cohen est depuis longtemps conscient d’une crise qui sévit dans le domaine de l’éducation au sein de sa société.

Mais il a toujours préféré se consacrer à ce qu’il percevait comme des questions plus pressantes : le recrutement des jeunes hommes dans l’armée, ou l’entrée des haredim dans le marché du travail et le milieu universitaire.

Rabbi Bezalel Cohen (Crédit Wikimedia commons)

« J’ai travaillé principalement sur les questions économiques parce que je sentais qu’il y avait tellement de gens qui s’occupaient d’éducation qu’ils devaient sûrement bien faire les choses. »

Mais en 2010, quand il a rejoint le Mandel Leadership Institute à Jérusalem, Cohen a compris que les difficultés de son fils étaient communes à « des centaines, des milliers » de jeunes haredis.

« J’ai compris qu’au lieu de promouvoir des changements en matière d’éducation suite au problème de l’emploi, nous devrions le faire pour le bien de nos enfants. »

Un élève d’une école primaire haredie étudie environ la même quantité de matières profanes que son homologue laïc, assure Cohen.

Le fossé commence en septième année, où seulement une petite fraction de la journée scolaire de dix heures est consacrée aux mathématiques ou à l’histoire, une partie de ce que le jargon de l’éducation israélienne appelle le « programme de base ».

Dans ce système de ségrégation entre les sexes, les écoles de filles sont généralement plus ouvertes aux programmes scolaires séculaires que les écoles de garçons – dénommées Heders ou Talmudei Torah au primaire, et petites yeshivot à l’école secondaire – où l’anglais est rarement enseigné.

« L’opinion qui prévaut est que tout le temps doit être consacré aux études religieuses, en particulier au Talmud », dit-il. L’objectif est de produire des talmidei chachamim (des savants en Torah). »

« J’ai vu comment les enseignants s’occupent des étudiants ici, et j’ai aimé »

Mais cette attitude peut être destructrice pour certains élèves, qui rejettent la routine haredie rigoureuse ou sont naturellement attirés par les arts ou les sciences.

Avant la fondation de Chachmei Lev en septembre 2013, les étudiants ne pouvaient choisir que parmi l’une des cinq Yeshivas-lycées d’Israël, destinées en particulier aux haredim modernes, et non aux haredim plus classiques.

Aujourd’hui dans sa deuxième année, Chachmei Lev – située dans une structure étroite à l’arrière du lycée laïc Mae Boyar à Jérusalem, et financée par la Société pour l’avancement de l’éducation – compte 49 étudiants, 18 en dixième et 31 en neuvième.

Ce lycée, dit Cohen, est le seul établissement d’enseignement pour garçons haredis ordinaires qui « sont diplômés d’écoles publiques haredies et souhaitent rester haredis, tout en intégrant des études religieuses et laïques ».

Binyamin Migdal, un élève de neuvième année de la Yeshiva Chachmei Lev à Jérusalem le 26 novembre 2014 (Crédit : Elhanan Miller/Times of Israel)
Binyamin Migdal, un élève de neuvième année de la Yeshiva Chachmei Lev à Jérusalem le 26 novembre 2014 (Crédit : Elhanan Miller/Times of Israel)

Binyamin Migdal, 14 ans, du moshav ultra-orthodoxe Matityahu près de Modiin, explique qu’il a décidé de s’inscrire à Chachmei Lev, même si la plupart de ses amis de l’école primaire ont continué dans des yeshivot régulières. Il voulait étudier l’anglais et les mathématiques, et « aime les puzzles et construire des choses », dit Migdal, qui a passé les dix premières années de sa vie dans le Queens, à New York.

« Je veux arriver à quelque chose dans la vie », déclare-t-il au Times of Israel. « J’ai vu comment les enseignants s’occupent des étudiants ici, et j’ai ai-
mé », ajoute Migdal.

« Ils écoutent tout ce que j’ai à dire et m’expliquent leurs choix. Je me sens à l’aise ici. »

Rattraper les années de lacunes en études profanes est un formidable défi pour les étudiants, reconnaît Cohen. Mais une grande motivation aide à réussir.

« Vu qu’ils sont venus ici de leur plein gré, leur détermination leur permet de réussir plus rapidement. Mais il est clair qu’il faut du temps et de bons enseignants. »

Si la plupart des parents d’élèves de Chachmei Lev sont « sur la même longueur d’ondes », tout comme leurs enfants, les tensions émergent entre les parents conservateurs et la philosophie de l’école relativement libérale. Un étudiant, se souvient Cohen, a commencé à s’épanouir dans l’école, mais sa confiance retrouvée a alarmé ses parents.

« Il disait des choses qu’ils jugeaient comme du sacrilège, comme son rêve de servir dans l’armée, ou que son frère en yeshiva ne valait pas mieux que lui. Les parents ont également désapprouvé la coupe moderne de son pantalon, et le fait que nous n’étions pas opposés au sionisme à l’école. »

« Je pense que s’ils ne se sont pas complètement réconciliés avec nous à ce jour, ils comprennent que nous sommes tout aussi sérieux, des gens craignant-Dieu », assure Cohen.

Un “talmud torah” haredi dans l'implantation ultra-Orthodoxe de Beitar Illit le 27 août 2014 (Crédit : Nati Shohat/Flash90)
Un “talmud torah” haredi dans l’implantation ultra-Orthodoxe de Beitar Illit le 27 août 2014 (Crédit : Nati Shohat/Flash90)

Le problème qu’ont certains parents avec l’école de Cohen révèle une guerre beaucoup plus large, publique, avec les dirigeants haredis. Lorsque Cohen a tenté de déménager l’école à un endroit plus spacieux, dans le quartier nord de Ramot avant le début de l’année scolaire, les rabbins ultra-orthodoxes du quartier ont fait tout leur possible pour bloquer l’initiative à la mairie.

« Les rabbins haredis ont recruté les médias et commencé à distribuer des brochures dans le quartier », dit-il. Ils se sont plaints du manque de structures pour les écoles haredies traditionnelles de Ramot, mais ont aussi attaqué Cohen personnellement.

« Ils ont dit que mes opinions sont illégitimes ; que je m’exprime contre les haredim et leurs honorables rabbins », dit-il, citant un article qu’il avait écrit critiquant une déclaration du leader haredi Rabbi Aharon Leib Shteinman, qui affirmait que les Israéliens séculaires souhaitaient intégrer les ultra-orthodoxes dans le marché du travail uniquement pour les rendre laïcs.

‘La principale chose qui doit changer dans la communauté haredie, c’est le droit d’exprimer une opinion’

« J’ai écrit que si c’est vrai pour certaines personnes, j’ai rencontré beaucoup de laïcs qui se soucient réellement de nous et n’ont aucun intérêt à cela. »

Cela a été considéré comme une terrible audace de la part de Cohen, d’oser polémiquer avec Rabbi Shteinman. La pression a même affecté sa synagogue de Ramot, qui l’a placé en quarantaine sociale.

Finalement, la mairie a souscrit aux demandes des haredim et interdit le déménagement, après que Cohen avait déjà investi 100 000 shekels dans la rénovation du nouveau bâtiment de l’école.

« Dix jours avant le début de l’année scolaire, nous avons reçu une lettre du [maire de Jérusalem] Nir Barkat disant que nous n’aurons pas l’école, et que nous devons remettre les clés. »

Le financement demeure un défi majeur pour Cohen. Les frais de scolarité s’élèvent à
1 000 shekels par mois, inabordables pour la plupart des familles ultra-orthodoxes. Même cette somme est subventionnée par des philanthropes américains, dont aucun n’est ultra-orthodoxe.

« J’ai essayé d’intéresser la communauté haredie aux États-Unis, mais jusqu’ici sans succès. Même s’ils saluent mon initiative, ils redoutent de sauter à bord. Ils disent ‘si vos initiatives ne reçoivent pas la bénédiction des grands leaders haredis en Israël, pourquoi devrions-nous y participer ?’ »

Malgré sa déception, Cohen peut comprendre la réaction haredie contre son projet. Chachmei Lev est réellement en train de révolutionner le paysage éducatif ultra-orthodoxe.

« La principale chose qui doit changer dans la communauté haredie, c’est le droit d’exprimer une opinion. Au bout du compte, la bataille contre moi s’est déclenchée parce que j’ai osé dire ce que je pense », déclare Cohen. « C’est bien pire de dire que vous voulez introduire une éducation différente que de réellement l’introduire. Il n’y a aucune légitimité pour deux opinions. »

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