Une nouvelle technologie pour mieux comprendre le développement du placenta
Une équipe de chercheurs des USA et d'Israël a obtenu une image nette des artères, cellules et protéines du placenta. Le but est de prévenir les complications de la grossesse
Une étude récente, menée conjointement par des universitaires et praticiens américains et israéliens, est à l’origine d’informations de la plus haute importance en matière de développement précoce des tissus qui protègent le fœtus durant la grossesse humaine. L’objectif affiché est de prévenir les complications les plus graves de la grossesse, comme la prééclampsie ou la naissance prématurée.
La recherche, qui s’est concentrée sur le développement de l’interface mère-fœtus durant la première moitié de la grossesse, révèle de nouveaux éléments sur la façon dont les artères utérines de la mère se transforment pour assurer le développement du placenta et son bon fonctionnement, ou encore comment ces cellules fœtales étrangères déjouent la réponse immunitaire maternelle et s’installent sur la paroi utérine de la mère. Même toutes proches, les puissantes cellules immunitaires de la mère ne s’en prennent pas aux cellules du fœtus.
Les résultats de cette étude, publiés en juillet dans la revue à comité de lecture Nature, ont été acquis grâce à une nouvelle technologie connue sous le nom d’imagerie par faisceau d’ions multiplexé par temps de vol – MIBI-TOF en jargon médical – développée par le laboratoire du Dr Mike Angelo à l’Université de Stanford. MIBI-TOF permet aux scientifiques de détecter et suivre simultanément des dizaines de marqueurs génétiques et protéines lors de l’examen d’échantillons de tissus.
« Mike a inventé ce microscope étonnant qui révolutionne l’analyse pathologique », estime la Dre Shirley Greenbaum, principale auteure de l’étude.
Après des études de médecine et une spécialisation en obstétrique et en gynécologie à l’hôpital Hadassah, Greenbaum est partie étudier à Stanford en 2017. Elle a traité des patients atteints de prééclampsie, complication grave et potentiellement mortelle pour une mère et son fœtus, qui touche cinq à huit pour cent des grossesses.
« La prééclampsie est une maladie particulièrement déroutante, qui affecte essentiellement les humains. Après des dizaines d’années de recherche sur la question, nous la comprenons mieux mais nous n’avons pas beaucoup progressé en matière de traitement. Nous accouchons essentiellement des femmes qui reçoivent un diagnostic de prééclampsie précoce, parfois au prix de la prématurité du bébé, pour sauver la vie de la mère et du bébé », explique Greenbaum.
Ce qui complique l’étude des causes de la prééclampsie au niveau cellulaire ? Elle n’est pas diagnostiquée avant la 20e semaine de grossesse, moment où il est trop dangereux de prélever des échantillons placentaires. En outre, dans la mesure où il s’agit d’une maladie presque exclusivement humaine, on ne peut pas l’étudier sur des animaux de laboratoire.
L’examen des placentas suite à des naissances dans un contexte de prééclampsie a montré que les artères de la couche supérieure du placenta, les décidules, avaient un aspect lisse, sans comparaison avec des spirales serrées. Or, pour une grossesse saine, les artères doivent changer de structure et s’ouvrir pour fournir de l’oxygène et des nutriments au placenta et au fœtus.
« On pense aujourd’hui que la prééclampsie se développe lors des toute premières semaines de grossesse, car c’est à ce moment que le remodelage des artères maternelles a lieu », explique Greenbaum.
Pour valider cette théorie, les chercheurs se sont procurés 66 échantillons issus d’interruptions de grossesse non médicalement indiquées (entre la sixième et la 20e semaine) de l’Université de Californie à San Francisco. Ils ont utilisé MIBI-TOF pour examiner quelque 500 000 cellules et 588 artères dans des décidules intactes à différents stades de grossesse. MIBI-TOF a permis aux scientifiques de détecter jusqu’à 40 marqueurs simultanés au niveau de la cellule, un niveau de résolution jamais atteint auparavant.
Ils ont pu voir comment, lors de grossesses saines, les artères maternelles se déroulaient correctement, au fil du temps, à mesure que le placenta adhérait à la paroi utérine.
« Ces artères, lorsqu’elles se dilatent, peuvent fournir un flux sanguin à basse pression et faible vitesse dans le placenta. Ensuite, les villosités, ces structures fœtales en forme de doigts situées dans le placenta, prélèvent dans le sang les nutriments et l’oxygène nécessaires au développement du bébé », ajoute Greenbaum.
Le deuxième objet de l’étude était « l’invasion normale des cellules fœtales » dans les tissus de la paroi utérine de la mère. Les chercheurs ont constaté avec surprise que le système immunitaire de la mère n’attaquait pas ces cellules fœtales pourtant étrangères.
« C’est incroyable parce que normalement, ces cellules étrangères avec des protéines et un ADN différents provoqueraient immédiatement une réponse immunitaire », explique Greenbaum.
Pour comprendre ce phénomène, Greenbaum et ses collègues ont eu besoin de savoir quelles populations cellulaires étaient présentes et quelles protéines elles exprimaient. Ils ont constaté que 50 % des cellules situées du côté maternel de la décidule étaient des cellules immunitaires.
« C’est très surprenant. Très peu de tissus dans le corps ont un pourcentage aussi élevé de cellules immunitaires. Et en plus, elles n’attaquent pas le foetus », ajoute-t-elle.
Grâce à cette technologie de pointe, les chercheurs ont non seulement pu déterminer le pourcentage de cellules immunitaires à chaque étape de la première moitié de la grossesse, mais aussi identifier les sous-populations spécifiques des cellules maternelles et fœtales et les protéines qu’elles expriment pour communiquer entre elles.
Ils en ont conclu que certaines populations de cellules immunitaires plus tolérogènes (tolérantes) augmentaient avec l’avancement de la grossesse, tandis que d’autres, considérées comme plus agressives, diminuaient.
« Cela ne m’a pas surprise, mais nous avons constaté que certaines de ces protéines exprimées avaient un effet tolérogène sur le système immunitaire dans d’autres cas. C’est étonnant de voir certaines similitudes entre les protéines tolérogènes (telles que-L1) dans l’interface mère-fœtus, qui jouent également un rôle dans la suppression de la réponse immunitaire en cas de cancer », explique Greenbaum.
« C’est désagréable de comparer un fœtus et le cancer, mais c’est très intéressant d’un strict point de vue biologique ».
Maintenant que Greenbaum et ses collègues ont cartographié les cellules et protéines impliquées dans le processus physiologique normal du développement sain de l’interface mère-fœtus, il devrait être possible de les comparer avec les situations de prééclampsie. MIBI-TOF devrait y contribuer.
« Il faudra examiner à nouveau les placentas des naissances en contexte de prééclampsie en espérant repérer des différences dans les populations cellulaires ou l’expression de certaines protéines intéressantes que nous avons identifiées. Nous aviserons ensuite », conclut Greenbaum.