Une ONG tente de rendre à Paris les effets personnels des victimes des nazis
Des expos en plein air et des technologies collaboratives pour retrouver les propriétaires légitimes des bijoux, portefeuilles, photos et autres objets du quotidien confisqués
Pendant la plus grande partie de sa jeune vie, Martine van Dam n’a su que le nom de son grand-père, ne l’ayant jamais rencontré au cours de son existence. Nathan van Dam, survivant de la Shoah, était mort en 1986, sept ans avant sa naissance, et n’avait laissé derrière lui aucune photographie.
A travers son père Marcel, van Dam connaissait les contours de ce qu’avait été la vie de Nathan : Elle savait qu’il avait combattu dans la résistance néerlandaise mais ne possédait aucune image à associer à lui.
Cela a changé en 2012, lorsque van Dam a découvert par un heureux hasard non seulement une photo de son grand-père lorsqu’il était jeune, mais également des clichés de ses parents, de ses frères et soeurs et de sa première épouse – tous été assassinés par les nazis.
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Les photographies familiales n’ont pas été trouvées sur Internet ou dans un livre. Van Dam, une assistante sociale de Leusden, aux Pays-Bas, a tenu ces précieuses images dans sa main après les avoir sorties du portefeuille qui appartenait à son grand-père pendant la guerre et qui a été rendu à sa famille par l’intermédiaire de l’ITS (International Tracing Service).
L’ITS est une collection massive d’archives qui contient une quantité stupéfiante de matériels dont la majorité a été collectée par les forces alliées lorsqu’elles ont libéré l’Europe à partir de l’année 1943.
Situé à Bad Arolsen, en Allemagne, c’est un complexe de six bâtiments remplis de 30 millions de documents originaux s’étendant du sol au plafond et liés aux destinées de 17,5 millions de victimes des persécutions nazies. Depuis la guerre – et particulièrement immédiatement après – l’objectif principal poursuivi par cette institution a été de retracer le destin de tous les disparus.
Le portefeuille de Nathan van Dam est l’un des milliers d’objets personnels qui avaient été confisqués aux prisonniers par la Gestapo de Hambourg – pour la plus grande partie d’entre eux – ou dans les camps de concentration de Neuengamme, Dachau et Bergen-Belsen.
En 1963, le gouvernement allemand a transféré environ 4 500 enveloppes contenant ces effets personnels à l’ITS depuis des organisations de restitution variées qui, par ailleurs, fermaient leurs portes. Entre 1963 et 2015, environ 1 500 objets ont soit été remis directement à leurs propriétaires, soit offerts aux Croix Rouge travaillant derrière le Rideau de fer dans l’espoir qu’ils pourraient être d’une aide quelconque.
Grâce à une nouvelle campagne #StolenMemory de l’ITS qui vise à restituer les objets à leurs propriétaires légitimes (principalement des membres des familles, à l’heure actuelle), ce sont toujours plus d’effets personnels qui devraient quitter les zones de stockage de l’institution.
La campagne a été lancée lors de la Journée internationale de commémoration de l’Holocauste, à la fin du mois de janvier, avec l’installation d’affiches grand format autour du périmètre extérieur au siège de l’UNESCO, à Paris. Chaque affiche présente un effet personnel confisqué – une montre, une alliance, un stylo à plume, un peigne – et toutes les informations que l’ITS a été en mesure de découvrir sur son propriétaire légitime et sur sa destinée.
L’espoir est qu’un passant reconnaisse un nom sur une affiche ou qu’il soit interpellé par une information spécifique fournie et qu’il aide l’ITS à retrouver le propriétaire de l’objet dépeint. L’ITS prévoit de créer des versions des affiches personnalisées dans différents pays et de lancer un site collaboratif consacré à #StolenMemory au printemps.
« Nous avons déjà des demandes de Pologne et de Grèce pour livrer des versions personnalisées de ces affiches à ces pays et nous obtenons une attention significative de la part des médias en France et ailleurs sur ce projet », a confié la directrice de l’ITS, Floriane Hohenberg, au Times of Israel.
Sur les 3 000 objets qui se trouvaient encore entre les mains des nazis, un petit nombre seulement a appartenu à des Juifs dans la mesure où les Juifs étaient généralement envoyés dans les camps de la mort et que leurs effets personnels étaient immédiatement exploités par les SS.
Même si les nazis ont bien tenté de détruire une grande partie de ce qu’ils avaient volé aux prisonniers dans les camps de concentration allemands lorsque les forces alliées se sont rapprochées, ils ne sont pas parvenus à mener ce travail à son terme avant la libération des camps. Ce qui explique pourquoi le portefeuille du juif Nathan van Dam, emprisonné à plusieurs occasions pour ses activités clandestines, aura finalement terminé à l’ITS, tandis que ce qui avait appartenu à sa famille déportée à l’Est n’a jamais été retrouvé.
La version inaugurale de l’exposition comprend des effets personnels appartenant à cinq hommes juifs :
– Une montre à gousset ayant appartenu à Daniel Schwartz, né à Budapest en 1901. Il avait été emprisonné à Neuengamme au mois de novembre 1944 et il était mort dans un sous-camp, à Bremen, le 17 mars 1945. Les Alliés avaient enterré ses cendres mais n’avaient retrouvé aucune famille à laquelle faire part de son décès.
– Une alliance appartenant à Antal Grünfeld. Né en 1899, il avait vécu à Budapest. Il avait été placé en détention à Neuengamme et libéré par les soldats anglais. L’ITS avait retrouvé sa trace dans des camps de personnes déplacées à Hanovre et à Gröpelingen avant de la perdre définitivement.
– Une montre et une alliance qui étaient la propriété d’István Züsz. Il était né en 1900 et exerçait le métier de charpentier. L’ITS détient son certificat de décès qui indique qu’il est mort dans un sous-camp à Hambourg, le 13 mars 1945.
– Une montre à gousset ayant appartenu à Ernö Gottlieb, né à Klenovec, en Hongrie (future Tchécoslovaquie) en 1897. Comptable à Budapest, il avait été déporté au sous-camp de Neuengamme, Wilhemshaven, où il était mort le 25 mars 1945. Sa tombe se trouve à Wilhelmshaven.
– Un stylo à plume ayant appartenu à István Rokza, qui avait 16 ans lorsqu’il avait été déporté à Neuengamme, à la fin de l’année 1944. De là, il avait été déplacé à Bergen-Belsen, où il avait été libéré par les forces britanniques. Le 15 juillet 1945, il avait quitté l’hôpital de Bergen-Belsen puis évacué peu de temps après en Suède à bord du « Prins Carl ». Il aurait été au camp de Beth Bialik à Salzbourg au mois de juin 1949, un camp de transit pour les Juifs désireux de se rendre en Israël.
#StolenMemory est l’une des premières initiatives majeures de Hohenberg à la tête de l’ITS depuis son arrivée au mois de janvier 2016 (une autre avait été la diffusion d’un inventaire général consultable sur Internet en anglais et en allemand au début de l’année 2017). Sa mission : Renforcer le profil de l’institution et sensibiliser le public, suite à un long combat de l’institution pour améliorer la transparence des documents d’archives et des opérations de l’ITS vis-à-vis des survivants, de leurs familles et des spécialistes.
Selon Hohenberg, la modernisation de la base de données des effets personnels – en consacrant le travail de six employés à temps plein à la recherche des propriétaires – et la création des expositions de #StolenMemory et d’un site dédié sont cohérents compte-tenu des priorités actuelles de l’ITS.
Les rayons de l’ITS sont remplis de documents issus des camps de concentration, de listes de transport et de déportation, de registres d’arrestation et d’emprisonnement de la Gestapo et de documentations sur le travail forcé. Les archives contiennent également des millions de cartes et de documents d’identité ayant appartenu à des personnes déplacées ainsi que des témoignages livrés aux forces alliées par des survivants de camps de la mort.
Environ 2,5 millions de documents concernent des correspondances postérieures à la Deuxième guerre mondiale de personnes s’inquiétant de ce qu’étaient devenus leurs proches.
Les objets personnels des prisonniers sont très différents de cette importante quantité de documents et ne correspondent pas à l’objectif premier de l’institution, qui est de retracer la destinée des personnes. Trouver les propriétaires de ces effets ou leurs descendants n’a pas été une priorité au cours des sept dernières décennies. Elle en est dorénavant devenue une.
« Ils me brûlent les mains », dit Hohenberg, utilisant une métaphore pour évoquer ces objets personnels dont certains ont été donnés au fil des années à des musées.
« Il y a quelque chose d’incohérent à les avoir ici. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut justifier. Ils doivent être rendus à leurs propriétaires », ajoute-t-elle.
Hohenberg a la certitude que se focaliser en priorité sur les effets personnels est la bonne approche à adopter, notant que, ces jours-ci, les objets et les images attirent davantage l’attention que les documents.
Van Dam espère que d’autres familles pourront retrouver les objets qui appartenaient à leurs proches, comme cela a été le cas pour elle avec le portefeuille de son grand-père qui, a-t-elle appris, lui avait été confisqué au camp de concentration d’Amersfoort aux Pays-Bas.
« Après avoir visité le camp avec ma classe à l’école quand j’étais petite, j’ai appris que mon grand-père avait été le seul à parvenir à s’échapper du camp », s’exclame van Dam.
Ce qui semble être un trou causé par une balle sur le devant du grand portefeuille en cuir marron de Nathan Van Dam témoigne de l’audace de ce dernier. Ce même trou a pénétré les photos et les documents placés à l’intérieur.
« Nous avons trouvé de nombreuses choses différentes dans le portefeuille, comme un permis de conduire, des photos de famille, une carte de bonne année et des lettres avec des réponses négatives à ses demandes aux agences gouvernementales et à ses amis d’informations sur le sort qui avait été réservé à son épouse, Esther Israel, qu’il avait épousée le 29 juillet 1942 alors qu’il avait 24 ans et qu’elle en avait 18 », raconte van Dam.
L’épouse de Nathan, ses parents Simon et Betsy, sa soeur Esther et son frère adolescent Benjamin avaient tous été déportés depuis leur domicile de Smilde à Auschwitz et y avaient été assassinés, selon van Dam. (Le Times of Israel a découvert leurs noms dans les bases de données centrales des victimes de la Shoah de Yad Vashem).
Après la guerre, Nathan van Dam était revenu à Smilde, seul membre de la résistance locale encore survivant. Les habitants l’avaient accusé d’être un collaborateur allemand et l’avaient banni de la municipalité.
« Il n’avait plus de famille et plus de ville », explique sa petite-fille.
Nathan van Dam avait alors déménagé à Amersfoort et s’était remarié. Une union qui, toutefois, n’avait pas duré. Il avait ultérieurement épousé en troisième noces une Juive bien plus jeune qu’il ne l’était qui avait perdu toute sa famille pendant la guerre, et qui avait survécu dans la clandestinité. Le fils du couple, Marcel, est le père de Martine van Dam et de sa soeur plus jeune Jeanita, 21 ans.
C’est un bénévole du musée du camp de concentration d’Amersfoort qui a recherché la trace des descendants de Nathan van Dam de manière à leur rendre le portefeuille. L’ITS collabore avec un grand nombre d’institutions similaires dans le cadre du projet #StolenMemory.
Martine van Dam et sa soeur ont été invitées à prendre la parole lors de l’ouverture de l’exposition #StolenMemory pour expliquer ce que signifiaient pour elles le fait d’avoir récupéré le portefeuille de leur grand-père ainsi que son contenu.
« Cela signifie beaucoup pour nous », s’exclame van Dam.
Elle n’avait jamais rencontré son grand-père et pourtant, elle a ressenti sa présence ce jour-là à Paris.
« C’était le 25 janvier et cela aurait été son 100e anniversaire s’il avait encore été en vie », dit van Dam.
L’exposition #StolenMemory s’achèvera le 28 février 2018 à Paris.
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