Une pensée pour Arthur Schmidt, joueur de cricket juif et allemand
En été 1937, invraisemblablement, une équipe anglaise de cricket a visité le Berlin de Hitler. Le 10 août, ils ont joué sur le terrain du Stade olympique. Un des arbitres ce jour-là était le meilleur joueur d'Allemagne. Voici une petite partie de son histoire
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
Le 10 août 1937, à l’apogée d’une série improbable d’événements, une équipe d’Anglais a joué le dernier match d’une tournée de cricket sur le stade de Berlin où, un an plus tôt, l’athlète américain Jesse Owens avait remporté quatre médailles d’or aux Jeux olympiques d’Adolf Hitler.
L’histoire de ces Messieurs de Worcestershire, un curieux mélange de joueurs de cricket, d’aristocrates, d’hommes d’affaires et d’écoliers – dont un grand nombre seraient bientôt appelés à la guerre contre les nazis, et certains périraient – venus jouer ce sport distingué dans une Allemagne dénuée d’intérêt pour le cricket, gouvernée par un régime raciste cruel qui se préparait au génocide, est racontée dans un livre publié l’année dernière par l’auteur anglais Dan Waddell.
“Field of Shadows: The remarkable true story of the English cricket tour of Nazi Germany 1937 [Champ des Ombres : La véritable histoire remarquable de la tournée de cricket anglais de l’Allemagne nazie de 1937] commence par un récit de l’exposition peu probable de Hitler au cricket, lors de la Première Guerre mondiale, dans un hôpital militaire allemand, où se trouvait un groupe d’officiers de l’armée britannique.
À sa demande, les prisonniers de guerre britanniques ont enseigné au futur dirigeant nazi les subtilités du jeu, écrit Waddell. Hitler a ensuite enseigné le jeu à un groupe d’Allemands, et lancé un match amical contre les Britanniques. Le résultat est inconnu, mais Hitler, selon les recherches de Waddell, aurait été déçu par ce sport « non humain et non allemand ».
“Field of Shadows,” je dois le souligner, n’est pas un livre de fiction, mais le résultat d’une recherche exhaustive soigneusement référencée.
Waddell raconte une saga de quasi-impossibilités surréalistes. L’idée qu’en été 1937 à Berlin, un groupe de marginaux anglais disputent un match de cricket à l’ombre des colonnes jumelles imposantes de l’Olympiastadion, qui seront bientôt recouvertes de croix gammées et d’aigles d’or, en présence du sportif nazi Hans Tschammer und Osten, défie presque toute croyance. Mais ils l’ont fait.
Un détail extrait par Waddell de ses années de recherche est plausible, cependant.
Sans surprise, durant cette semaine extraordinaire de cricket à Berlin, les hôtes allemands, enthousiastes mais inexpérimentés, ont essuyé une lourde défaite dans la plupart des rencontres. Car les Berlinois n’ont pas fait appel aux services du meilleur joueur d’Allemagne, « le meilleur joueur de cricket du 20e siècle du pays ».
Si ce grand personnage, « sosie de Curley Howard des Trois Stooges », ce batteur hors pair, ce joueur de cricket qui avait participé à des matchs précédents – lors de la visite d’une équipe allemande en Angleterre sept ans plus tôt – avait joué en cet été 1937, estime Waddell, les Berlinois auraient certainement affiché un meilleur score.
Alors pourquoi n’a-t-il pas joué ? Parce que, raconte Waddell, son nom était Arthur Schmidt, et qu’il était, presque certainement, juif.
Le surnom de Schmidt dans les articles de presse allemands sur ses exploits de cricket pré-nazis était « Mauschel », qui « entre autres significations… en Allemagne des années 1930, était surtout utilisé pour se référer à un Juif ».
Schmidt a toutefois eu un rôle dans les jeux de 1937 – il était l’un des deux arbitres. Les Juifs avaient été interdits par les nazis de participer à des organisations sportives depuis 1933, mais avaient été autorisés à concourir pour l’Allemagne aux Jeux olympiques de 1936, Hitler « cherchant à apaiser l’opinion internationale ».
Un an plus tard, raconte Waddell, l’amnistie appartenait au passé et les Juifs devaient subir une effroyable persécution. Mais avec « l’arrivée d’une équipe anglaise, tout le monde devait faire bonne figure. Il n’y avait aucun moyen que Schmidt – en tant que Juif – « soit autorisé à jouer, mais il était possible qu’il soit autorisé à arbitrer », suggère Waddell.
Schmidt connaissait les règles ; il était respecté ; les autres joueurs l’avaient requis personnellement. Il a arbitré chaque match de la tournée et les gentlemen anglais « ont apprécié sa cordialité ».
A la fin de la tournée, lors d’un dîner d’adieu, les Allemands ont tous signé un livret pour leurs hôtes anglais. Le deuxième arbitre, Georg Schneider, a également signé et, fait révélateur, pas Schmidt – suggérant peut-être qu’il n’était pas un membre légitime du groupe berlinois.
« Il est possible que seulement un des grands-parents de Schmidt était juif, il était donc plus à même d’échapper à la persécution – pour l’heure, » spécule l’auteur. « Ou il aurait pu être marié à une femme aryenne… »
Malgré les efforts de Waddell, nous l’ignorons.
Ce que nous savons, c’est qu’un an et demi plus tard, un Arthur Schmidt a déménagé d’une adresse précédente vers le quartier à prédominance juive de Sophienstrasse au centre de Berlin.
Il a vraisemblablement été expulsé de sa propriété suite aux nouvelles lois nazies. Et, le 19 avril 1943, un Arthur Schmidt a été envoyé au Transport 37 de Gleis 17 de la station Berlin-Grunewald vers Auschwitz. Il n’a plus jamais donné signe de vie.
La preuve, écrit Waddell, que « les Allemands… ont envoyé le meilleur joueur de cricket qu’ils ont jamais eu aux camps de la mort ».
Toute l’histoire presque inimaginable des joueurs de cricket anglais qui ont visité le Berlin nazi deux ans à peine avant la Seconde Guerre mondiale était jetée aux oubliettes, avant que Waddell lui redonne vie, et le sort amer d’Arthur Schmidt est une tragédie qui mérite d’être connue.
Soixante-dix-huit ans plus tard, des joueurs de cricket du monde entier – et quiconque ému par l’histoire extraordinaire du lien entre une Allemagne nazie inhumaine et un sport idéalisé comme emblème de la décence et l’honneur – devraient avoir une pensée pour Arthur Schmidt.
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