Une revue médicale US de renom examine son soutien passé à la science raciale nazie
Un article paru dans le New England Journal of Medicine révèle que la publication "a fait l'éloge enthousiaste de la stérilisation forcée allemande" dans les années 1930 et a tardé à reconnaître les crimes nazis contre les Juifs

JTA – Une revue médicale américaine de premier plan a fait l’éloge des pratiques médicales du parti nazi dans les années 1930 et a été lente à reconnaître les abus antisémites de l’Allemagne nazie, selon une rétrospective historique que la revue publie cette semaine.
L’article, qui a été publié en ligne et paraîtra dans l’édition imprimée de jeudi du New England Journal of Medicine (NEJM), traite du passé de la publication en ce qui concerne l’approbation de la science raciale nazie.
« Nous espérons que cela nous permettra d’apprendre de nos erreurs et d’en éviter de nouvelles », écrivent les auteurs Joelle M. Abi-Rached et Allan M. Brandt, tous deux historiens de la médecine affiliés à l’Université de Harvard.
Intitulé « Nazism and the Journal » (« Le nazisme et le Journal), l’article fait partie d’une série écrite par des historiens indépendants qui se concentre sur les préjugés et les injustices que le NEJM a historiquement soutenus. Les articles précédents portaient sur l’eugénisme et le racisme en médecine, ainsi que sur la diversité dans les programmes de résidence médicale.
L’article conclut que la revue « n’a accordé qu’une attention superficielle et idiosyncratique à la montée de l’État nazi » jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, alors même que ses concurrents traitaient sans détour des conséquences sanitaires de la persécution des Juifs par les nazis.
Selon l’article, le NEJM a mentionné Adolf Hitler pour la première fois dans un article publié en 1935 par Michael M. Davis, figure de proue de la politique de santé américaine, et Gertrud Kroeger, une éminente infirmière allemande qui s’est révélée par la suite être une sympathisante nazie. Dans cet article, les deux auteurs ont fait l’éloge de la réorganisation de l’assurance maladie nationale dans l’Allemagne nazie, sans esprit critique et avec détachement, écrivent Abi-Rached et Brandt.

À cette époque, les Juifs étaient déjà exclus d’une série d’emplois prestigieux, y compris dans les universités publiques, et les médecins juifs étaient soumis à des restrictions quant à leur capacité à pratiquer la médecine.
« Il n’y a aucune référence à la multitude de lois persécutrices et antisémites qui ont été adoptées après l’arrivée au pouvoir des nazis en janvier 1933 », écrivent Abi-Rached et Brandt. « Davis et Kroeger ont décrit avec sympathie l’obligation faite aux médecins d’assurance d’effectuer trois mois de service obligatoire dans des camps de travail nouvellement créés dans les zones rurales. »
Abi-Rached et Brandt ont également constaté que le journal « faisait l’éloge enthousiaste de la stérilisation forcée allemande et des politiques restrictives en matière d’alcool des Jeunesses hitlériennes ». Un article de 1934 sur la stérilisation, intitulé « La stérilisation et ses réalisations possibles », est toujours disponible dans les archives en ligne du NEJM.
En 1933, le Troisième Reich a promulgué la loi pour la prévention de la descendance atteinte de maladies héréditaires, qui exigeait la stérilisation forcée des personnes souffrant de certains handicaps mentaux et physiques. En 1935, la loi sur la santé conjugale a interdit les mariages entre les personnes jugées « héréditairement saines » et celles qui ne l’étaient pas – la même année, l’Allemagne nazie a déchu les Juifs de leur citoyenneté et leur a interdit d’épouser des non-Juifs.
La revue médicale n’a reconnu les crimes de guerre nazis qu’en 1944, avec la publication d’un éditorial intitulé « Famine épidémique » sur les conditions désastreuses des camps de concentration en Europe de l’Est.
« La famine de masse a rarement, voire jamais, été imposée de manière aussi impitoyable et systématique aux populations civiles que ce fut le cas dans l’Europe occupée au cours de la lutte actuelle », écrivent les auteurs dans l’article de 1944.
En revanche, Abi-Rached et Brandt ont constaté qu’une publication concurrente, le Journal of the American Medical Association (JAMA), « informait fréquemment ses lecteurs de l’impact négatif du régime nazi sur la pratique médicale », notamment en « détaillant la persécution des médecins juifs, y compris la restriction de leur pratique et de leur accès à l’enseignement médical ».
Le NEJM n’a publié qu’un seul « article explicitement critique » en 1933, intitulé « The Abuse of the Jewish Physicians », qui était une courte notice jointe à un article sur un traitement chirurgical de la tuberculose.

Abi-Rached et Brandt notent que l’article de Davis et Kroeger a été contesté par une lettre à la rédaction qui, selon eux, « montrait de la sympathie pour les médecins juifs ». (Ils notent également que, bien qu’il ait fait l’éloge des pratiques nazies, Davis lui-même avait des ancêtres juifs). Mais la lettre en question portait principalement sur la menace d’une médecine socialisée. D’autres articles publiés dans le NEJM à l’époque, notent-ils, « portaient essentiellement sur le système d’assurance maladie obligatoire et sur-souscrit, la ‘médecine socialisée’ et le ‘charlatanisme’, et non sur la persécution et l’extermination massive des Juifs ».
La première condamnation ouverte des abus médicaux commis par les nazis n’a été publiée qu’en 1949, après que Leo Alexander, psychiatre et neurologue juif américain né à Vienne, eut rassemblé des preuves à utiliser contre les médecins nazis lors des procès de Nuremberg. Alexander a également rédigé une partie du code de Nuremberg, qui fournit des orientations juridiques et éthiques pour l’expérimentation scientifique sur les êtres humains à la suite des révélations sur les expériences nazies sur les Juifs.
Dans les années 1960 et au-delà, le NEJM a publié d’autres articles documentant les atrocités médicales commises par l’establishment médical nazi, alors que les normes éthiques devenaient de plus en plus répandues.
Réfléchissant aux omissions du journal durant la Shoah, Abi-Rached et Brandt cherchent des explications et parviennent à en trouver qui, selon eux, ont des implications pour les études contemporaines sur la médecine.
« Une partie de la réponse réside dans le déni, la compartimentation et la rationalisation, qui dépendent tous du racisme structurel et institutionnel – des préjugés et des discriminations historiques profonds, souvent non reconnus, qui servent le statu quo », écrivent-ils.