US: Le fils d’immigrants juifs russes combat la discrimination positive à la fac
Maître de conférences au Cato Institute, Ilya Shapiro estime que la race ne doit pas être prise en compte lors de l'admission

BOSTON — En URSS, les parents d’Ilya Shapiro avaient dû combattre l’antisémitisme pour être admis dans des universités qui discriminaient alors les Juifs. Aujourd’hui, quelques décennies plus tard, l’activiste Shapiro a épousé une cause similaire aux Etats-Unis, faisant campagne en faveur de l’abolition de l’usage de la race dans les processus d’admission à l’université de Harvard.
La politique mise en oeuvre dans les admissions est au coeur d’un dossier judiciaire qui devrait être présenté devant une cour fédérale de district de Boston, le 15 octobre. Mais cette fois, la discrimination présumée ne s’est pas exercée contre des Juifs, mais contre des Asiatiques.
Ces derniers mois, Shapiro, maître de recherches en études constitutionnelles au Cato Institute de Washington, a mené une campagne active en faveur du droit des Américains d’origine asiatique d’être traités à égalité lors du processus d’admission à Harvard.
Il a écrit des articles et a été interviewé sur les ondes de la radio publique nationale des Etats-Unis sur la manière dont l’université de Harvard discrimine les candidats américains d’origine asiatique sur la base de critères subjectifs tels que « la personnalité positive », « la sympathie », le « courage » et « l’amabilité ».
« Ce n’est pas que les étudiants d’origine asiatique ne seraient bons qu’à passer des examens, et qu’ils seraient des candidats qui ne présenteraient qu’une seule dimension, exclusivement universitaire. Non. L’information qui ressort montre que même s’ils ont effectué un service communautaire, qu’ils ont pu montrer des travaux et des recommandations – parce que les Américains d’origine asiatique sont très bons là-dedans, aussi – ils sont acceptés au sein de l’université à un taux très inférieur en comparaison avec d’autres groupes ethniques, « , a déclaré Shapiro au Times of Israel.

« Ce que fait Harvard – qui veut un mélange, qui veut un équilibre – c’est prendre des initiatives pour restreindre, d’une certaine manière, l’admission des Américains d’origine asiatique qui sont très qualifiés et qui sont très nombreux à se porter candidats », explique-t-il.
Shapiro avait quatre ans lorsqu’il a quitté l’Union soviétique avec sa famille.
Son père, Leonid Shapiro, avait été formé à l’Institut Mendeleev de technologie chimique à Moscou, mais il n’a jamais reçu le diplôme qu’il voulait initialement obtenir.
Il avait prévu, à l’origine, d’étudier les carburants mais aura finalement suivi le programme de céramique. Les études sur les carburants, avait-il découvert, n’acceptaient pas les Juifs, ce domaine étant lié au développement d’explosifs.
« Je voulais entrer dans le cursus des carburants mais ma candidature a été refusée. On m’a dit que je n’avais pas eu le nombre de points nécessaires. Personne ne vous aurait dit que vous ne seriez pas accepté de toute façon parce que vous étiez Juif, mais c’était pourtant la réalité », soupire Shapiro père. « Les Juifs, sans intervention majeure, ne pouvaient pas être acceptés ».
Jusqu’au milieu des années 1980, les universités soviétiques avaient un quota officieux pour les étudiants juifs, analogue au même quota qui existait dans l’empire russe, explique Irina Shihova, conservatrice au musée juif de Moldavie et titulaire d’un doctorat consacré au patrimoine juif dans le pays.
C’est pour cela que les étudiants juifs choisissaient souvent de se présenter dans des universités situées dans des régions où il y avait des communautés juives moins importantes et, par conséquent, moins de candidats en concurrence pour les places juives allouées dans les facultés, ajoute Shihova. Ce qui comprenait les régions hors de la Zone de résidence, comme la Sibérie ou le long de la Volga.
Shihova ajoute qu’il était particulièrement difficiles pour les Juifs d’entrer dans certains domaines d’études – plus spécifiquement, les secteurs liés à l’aérospatiale, à l’exploration de l’espace et à la physique nucléaire. Et pourtant, note-t-elle, certains des meilleurs scientifiques soviétiques dans ces champs d’étude étaient des Juifs, ce qui rend difficile de dire de manière définitive que ces carrières étaient totalement interdites aux Juifs.

Selon Leonid Shapiro, il était connu que l’école de médecine de Kiev, en Ukraine, était également interdite d’accès aux Juifs, comme c’était aussi le cas de l’Institut d’état des relations internationales de Moscou.
« Sous prétexte d’excuses diverses, les étudiants juifs n’y étaient pas admis », explique Leonid Shapiro.
Ilya Shapiro a grandi en entendant ces histoires racontées par ses parents.
« Je me souviens qu’ils me disaient – parce que je m’intéressais aux affaires et à la politique internationales – que, par exemple, l’institut des relations internationales de Moscou ne leur était pas ouvert », dit Shapiro. « Leurs options étaient limitées en termes de ce qu’ils pouvaient étudier et donc, de l’université à laquelle ils pouvaient postuler ».
Heureusement, lui-même n’a pas rencontré ce type de discrimination lorsqu’il a voulu entrer dans l’enseignement supérieur aux Etats-Unis. Shapiro est diplômé de Princeton, il a obtenu une maîtrise à la London School of Economics, et un diplôme en droit à l’université de Chicago.

Shapiro indique que les étudiants juifs dans l’Amérique d’aujourd’hui sont traités de la même manière que tous les étudiants blancs – même si cela n’a pas toujours été le cas.
L’université de Harvard a aboli son quota sur les candidats juifs dans les années 1960, à peu près au même moment où les universités les plus connues du pays ont finalement commencé à accepter les femmes, poursuit-il.
Et pourtant, Harvard continue à utiliser la race dans son processus d’admission dans le cadre d’un programme national de discrimination positive qui a pour objectif d’aider l’entrée des Afro-américains et des Hispaniques dans les universités.
La porte-parole de Harvard Rachael Dane explique, pour sa part, que prendre en considération la race des candidats aide l’université à promouvoir la diversité parmi ses étudiants.
« Les politiques d’admission régulières à Harvard prennent en considération de nombreux facteurs et notamment la race pour évaluer chaque candidat en tant que personne à part entière, avec pour but de viser l’excellence, d’élargir les opportunités et de réunir des étudiants profondément différents qui vivront et apprendront les uns des autres », a écrit Dane dans un courriel adressé au Times of Israel.
Harvard nie toute discrimination à l’encontre des Américains d’origine asiatique. Le pourcentage de cette population, à Harvard, a augmenté de 27 % depuis 2010, et elle représente presque 23 % des admis, souligne Dane.
Mais du point de vue de Shapiro, prendre en compte la race des candidats sous couvert de diversité est une erreur.
« Au même niveau de qualification, c’est plus facile d’y entrer si vous êtes noir, puis hispanique, puis blanc, puis asiatique », remarque-t-il. « En termes de moralité, c’est mal, c’est un tort de plafonner les candidats sur la base de la race ou de la couleur de peau ».

Une organisation conservatrice appelée Students for Fair Admissions a porté plainte contre Harvard, au nom de plusieurs étudiants américains d’origine asiatique. Ce groupe avait, dans le passé, déposé une plainte similaire au nom d’un étudiant blanc qui avait été refusé à l’université du Texas, une bataille juridique perdue devant la Cour suprême américaine.
Maintenant que le juge conservateur Brett Kavanaugh a été choisi, avec l’appui du président Donald Trump, pour siéger à la plus haute cour du pays, il est probable que le tribunal s’alignera avec l’organisation Students for Fair Admissions si le dossier sur Harvard devait passer devant les magistrats, dit Shapiro. Ce qui pourrait mettre un terme à la discrimination positive sur les campus des universités américaines, ajoute-t-il.
« C’est quand le dossier de Harvard sera présenté devant la Cour suprême qu’il pourra y avoir un changement significatif dans la loi », conclut Shapiro.
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