Vilnius : Les Juifs divisés sur la fermeture de la seule synagogue en activité
Des institutions fermées indéfiniment par la présidente de la communauté juive suite à des menaces. Or, d'autres dirigeants qualifient cette décision d'alarmiste et d'inutile
JTA – Les Juifs lituaniens sont divisés sur la décision de fermer la seule synagogue de Vilnius qui fonctionne, pour des raisons de sécurité, certains dirigeants communautaires la considérant disproportionnée et nocive.
Les divisions sont apparues mercredi, un jour après que la présidente de la communauté juive de Lituanie, Faina Kukliansky, a annoncé la fermeture temporaire de la synagogue chorale et du siège de son organisation dans la capitale lituanienne.
Simon Gurevicius, président de la communauté juive de Vilnius, qui est membre du groupe de coordination de Kukliansky, et les dirigeants de cinq autres communautés juives lituaniennes ont publié mercredi un communiqué dans lequel ils critiquent la fermeture et mettent en cause le mandat de Kukliansky.
Mme Kukliansky a déclaré que la fermeture de la synagogue, une mesure sans précédent depuis que la Lituanie est devenue indépendante de la Russie en 1990, était nécessaire en raison des messages de menace reçus par son organisation. Les messages, a-t-elle dit, dénonçaient la communauté juive parce qu’elle s’est opposée aux efforts publics et privés visant à honorer les Lituaniens qui ont collaboré avec les nazis.
Ni la synagogue ni le centre communautaire n’ont « les moyens d’assurer la sécurité des visiteurs », a-t-elle écrit, ajoutant que les fermetures étaient une décision « difficile mais inévitable ».
La fermeture a fait la une des journaux internationaux et a incité le Congrès juif européen à appeler « les autorités à prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger la communauté juive, y compris à adopter une position plus dure contre ceux qui la menacent comme le font les néo-nazis ».
Mais mercredi, Gurevicius, qui dirige le plus grand groupement juif du pays, a insisté sur le fait que les fermetures sont inutiles.
Les appels téléphoniques ou les lettres de menaces ne sont « pas une raison pour fermer la synagogue ou la communauté », a dit Gurevicius à la Jewish Telegraphic Agency. « Les Juifs sont en sécurité à Vilnius », a-t-il ajouté, notant que la violence antisémite est très rare dans le pays malgré la montée de la rhétorique antisémite qui entoure le débat sur les collaborateurs.
Gurevicius a également indiqué que les prières ont eu lieu à la Synagogue chorale le mercredi, après l’annonce de la fermeture.
« Je doute que la menace soit réelle », a dit M. Gurevicius. Il a ajouté que la décision de Kukliansky a été largement rapportée dans les médias russes, aidant les propagandistes russes à exagérer la prévalence et l’ampleur de l’antisémitisme en Lituanie.
« Nous avons besoin que les dirigeants politiques lituaniens prennent au sérieux la montée de l’antisémitisme autour de la question des collaborateurs et l’opposition de la communauté juive à leur glorification. Mais cela doit se faire dans le cadre d’un dialogue constructif. Fermer la communauté juive n’est pas constructif », a souligné M. Gurevicius.
Dans leur communiqué de mercredi, Gurevicius et les autres dirigeants communautaires ont écrit : « Nous regrettons qu’en raison de son autoritarisme », Kukliansky « fait des déclarations inexactes au nom de tous les Juifs lituaniens et diffame ainsi potentiellement les autres Juifs dans les autres parties de la société lituanienne sans consulter les communautés juives en Lituanie ».
Les tensions entre les factions juives en Lituanie sont antérieures au débat actuel. En 2017, un tribunal de district de Vilnius avait annulé l’élection de Kukliansky cette année-là à la présidence de la communauté juive de Lituanie. Gurevicius et d’autres l’avaient poursuivie en justice pour manipulations dans le processus électoral. Kukliansky a nié de nombreuses allégations relatives à la transparence et à la corruption, et nie les accusations de manipulation électorale.
Malgré cette décision, Kukliansky n’a ni démissionné ni déclenché de nouvelles élections.
Nonobstant les querelles internes qui divisent les Juifs lituaniens, le débat sur les collaborateurs nazis a conduit récemment à une augmentation de la rhétorique antisémite, ce qui est « inquiétant », reconnaissent les auteurs du communiqué.
Les nationalistes lituaniens considèrent les collaborateurs pro-nazis comme des patriotes pour leur résistance à l’Union soviétique. Mercredi, des centaines de nationalistes se sont rassemblés à Vilnius pour protester contre la décision de la municipalité le mois dernier de retirer une plaque commémorant un collaborateur présumé de l’anéantissement des juifs lituaniens, Jonas Noreika, et le changement du nom de la rue d’un autre collaborateur nazi, Kazys Škirpa, qui a appelé au nettoyage ethnique du pays des Juifs.
Les décisions de la municipalité ont déclenché plusieurs protestations et font suite à des années de luttes juridiques et de protestations menées par des critiques juifs lituaniens et étrangers qui s’opposent à la glorification de ces derniers et d’autres collaborateurs nazis comme patriotes.
Une bannière annonçant le rassemblement de mercredi mettait en vedette plusieurs garçons vêtus de vêtements des années 1920 et qui où l’on pouvait lire : « Skirpa et les vétérans sont des héros lituaniens ». Un garçon dans la bannière regarde avec appréhension au coin de la rue un grand groupe de personnes arborant un drapeau arc-en-ciel et un drapeau avec une étoile de David.