Wikipedia rejette l’appel des groupes juifs à revenir sur l’initiative prise contre l’ADL
La fondation a estimé que ceux qui réclamaient que l'ADL soit à nouveau considérée comme "une source fiable" ne comprenaient pas le fonctionnement de l'encyclopédie
La fondation caritative qui est propriétaire de Wikipedia a indiqué respecter la décision prise par ses contributeurs bénévoles, après avoir reçu un courrier signé par une large coalition de groupes juifs qui appelaient l’encyclopédie en ligne à passer outre une initiative prise par les éditeurs à l’égard de l’Anti-Defamation League (ADL). Ils ont ainsi placé l’organisation américaine dans la catégorie « des sources non-fiables » sur les sujets d’Israël et du sionisme.
Ce sont plus de 40 groupes juifs qui ont signé cette lettre qui était adressée à la fondation Wikimedia, affirmant que cette décision n’a eu pour seule conséquence que de rendre la communauté juive plus vulnérable face à l’antisémitisme.
« Wikipedia prive fondamentalement la communauté juive de son droit à se défendre face à la haine qui prend pour cible notre communauté », ont écrit lundi les groupes dans un courrier à l’en-tête de la Conférence des présidents des Organisations juives majeures – une organisation-cadre dont l’ADL est membre. « Nous vous exhortons à lancer immédiatement des investigations sur cette décision et sur ses motivations sous-jacentes et nous vous demandons de vous prêter à un examen administratif visant à reconsidérer cette initiative ».
Dans une réponse apportée à une demande de commentaire de la Jewish Telegraphic Agency, la fondation n’a pas évoqué le contenu de la missive. Elle a toutefois semblé rejeter son principe même.
« Malheureusement, cette lettre reflète une mauvaise compréhension de la situation et de la manière dont fonctionne Wikipedia, » a écrit dans un courriel Maggie Dennis, vice-présidente de la résilience communautaire et de la durabilité au sein de la Fondation Wikimedia. « En premier lieu, il est important de noter que le courrier a été adressé aux membres du Conseil d’administration mais que ni le Conseil d’administration, ni la Fondation ne prennent des décisions en matière de contenu sur Wikipedia. Une communauté bénévole est chargée de prendre ce genre de décision sous réserve du respect des règles d’usage de Wikipedia ».
Après publication, la Fondation a fait savoir à la JTA qu’elle réfléchissait encore à la façon dont elle répondrait à la missive et qu’elle souhaitait faire comprendre à ceux qui l’ont écrite le fonctionnement de l’encyclopédie en ligne.
« Nous sommes actuellement en train de réfléchir à la réponse que nous allons apporter aux signataires, ce qui consiste notamment à tenter d’en savoir davantage sur leurs besoins avant que nous leur répondions », a indiqué la Fondation. « Nous espérons permettre à ces groupes de mieux comprendre le système de fonctionnement de Wikipedia ».
Forte d’une existence qui remonte à il y a plus d’un siècle et d’un budget à hauteur de cent millions de dollars, l’ADL est largement considérée comme une source de recherche et d’information de premier plan sur la question de l’antisémitisme, en particulier aux États-Unis, et comme un fervent défenseur des causes juives. Mais l’organisation est de plus en plus critiquée par ses détracteurs qui déplorent le positionnement pro-israélien du groupe et son équivalence faite entre antisémitisme et antisionisme, surtout depuis que la guerre opposant Israël a éclaté dans la bande de Gaza, le 7 octobre.
L’initiative qui a été prise par Wikipedia – qui est l’un des sites les plus visités au monde et l’une des sources d’information les plus populaires – et déclarant que l’Anti-Defamation League n’est pas digne de confiance sur certains sujets porte un réel coup de massue à l’organisation.
Si la Fondation Wikipedia devait ordonner le renversement de la décision prise sur l’ADL, ce serait toutefois également un coup dur. La Fondation n’intervient pas dans les initiatives éditoriales prises au sein de sa communauté de contributeurs, préférant faire confiance au système élaboré qu’elle a développé pour chercher le consensus et pour résoudre les conflits. Un renversement de cette décision entraînerait probablement un retour de bâton de la part des milliers de contributeurs vétérans qui se sont habitués à l’autonomie et qui ont consacré d’innombrables heures à faire vivre l’encyclopédie en ligne.
Les partisans de l’ADL déclarent néanmoins que dans ce cas particulier, la décision qui a été prise est entachée d’irrégularités présumée et que certains contributeurs impliqués dans le débat semblent nourrir une partialité anti-israélienne.
Parmi les groupes qui ont pris la défense de l’ADL, WhiteHatWiki, une firme offrant des services de réponse de crise en lien avec Wikipedia. WhiteHatWiki ne touche aucune rémunération de la part de l’Anti-Defamation League, ont fait savoir les deux parties.
« Il est compréhensible qu’en cette période de passions enflammées, des gens se retrouvent plongés dans le débat idéologique », a commenté un membre de WhiteHatWiki dans un fil de discussion sur Wikipedia. « Mais malheureusement, il y a une trop grande part d’idéologie qui s’est infiltrée dans cette discussion de Wikipedia avec de nombreux contributeurs qui se sont appuyés sur une rhétorique incendiaire et trompeuse qui avait été postée par d’autres ».
Dans sa propre réponse à cette décision, l’ADL avait initialement blâmé « une campagne visant à ôter toute légitimité à l’ADL ».
Le directeur-général de l’organisation Jonathan Greenblatt a longuement évoqué la controverse, vendredi, disant dans un entretien télévisé que Wikipedia « est une organisation pour laquelle nous avons un respect profond » avant d’ajouter que « dans le cas qui nous occupe, elle se trompe complètement ».
« Nous devons écouter les Afro-américains lorsqu’ils nous expliquent ce qu’est le racisme, nous devons écouter les groupes LGBTQ quand ils nous expliquent ce qu’est l’homophobie et nous devons écouter les Juifs quand ils nous expliquent ce qu’est l’antisémitisme », a-t-il dit.
Un débat commencé il y a des mois parmi les contributeurs de Wikipedia, qui portait sur la fiabilité supposée de l’ADL, avait échappé aux médias jusqu’à ce que JTA fasse savoir, la semaine dernière, que la discussion était sur le point de se clore et que Wikipedia avait pris la décision de considérer l’Anti-Defamation League comme « source généralement non-fiable » s’agissant de ses informations sur le conflit israélo-palestinien.
Les contributeurs avaient aussi débattu de la fiabilité de l’ADL en matière d’antisémitisme, et une majorité écrasante avait finalement jugé que l’ADL n’était pas non plus digne de confiance sur cette question dans la mesure où elle assimilait les critiques d’Israël à une expression de haine antijuive. Un contributeur avait finalement opté pour une décision plus nuancée, déclarant que l’organisation « peut être fiable sur la problématique de l’antisémitisme hors des contextes d’Israël et du sionisme ».
Parmi les sujets qui n’ont pas été réglés dans le cadre du débat des contributeurs, la validité de la définition de l’antisémitisme qui est celle de l’ADL, une définition de travail qui a été mise au point par l’International Holocaust Remembrance Alliance (IHRA). Plus d’un millier d’instances gouvernementales et d’institutions ont adopté cette définition mais ses détracteurs déclarent que ses clauses portant sur les critiques d’Israël sont susceptibles d’être utilisées pour réduire au silence les voix pro-palestiniennes.
La lettre qui a été envoyée par les groupes juifs à la Fondation Wikimedia a aussi pris la défense de la définition de l’IHRA.
« Nous partageons tous la même conviction qu’une attaque sur la fiabilité de l’ADL en raison de son usage de la définition de l’IHRA et de la défense, par cette organisation, du peuple juif nous affaiblit tous », a noté la missive.