Les présidentes de Harvard, du MIT et de UPenn refusent de qualifier l’appel au génocide des Juifs de harcèlement
Ces trois dirigeantes d'universités ont reconnu être inquiètes pour la sécurité de leurs étudiants juifs - mais objectent quant à la sanction à apporter à ces discours
Lors d’une audience de premier plan qui a eu lieu au congrès américain, mardi dans la soirée, les présidentes de trois des plus grandes universités du territoire américain ont refusé de dire explicitement que les appels au génocide du peuple juif contrevenaient aux règles sur le harcèlement en vigueur sur les campus.
Lorsque la représentante républicaine de New York, Elise Stefanik, a demandé directement si « appeler au génocide des Juifs » allait à l’encontre des codes de conduite de l’université de Harvard, du Massachusetts Institute of Technology (MIT) et de l’université de Pennsylvanie (UPenn), les trois présidentes ont invoqué le contexte.
« C’est une décision qui dépend du contexte », a répondu la présidente de l’université de Pennsylvanie, Liz Magill. Ce à quoi Stefanik a rétorqué : « Appeler au génocide des Juifs dépend du contexte ? Il ne s’agit pas de harcèlement ? C’était la question la plus facile à laquelle il fallait répondre ‘Oui’, madame ».
Interrogée à son tour, la présidente de Harvard a estimé que « lorsque les discours franchissent les limites, nous agissons ».
Sally Kornbluth, présidente du MIT, a pour sa part déclaré que de tels propos « ne feront l’objet d’investigations que s’ils se généralisent et qu’ils sont graves ».
Et pourtant, les présidentes ont toutes reconnu que l’antisémitisme était devenu un réel problème sur les campus et qu’il avait encore gagné en intensité depuis l’attaque meurtrière commise par le Hamas sur le sol israélien, le 7 octobre, et le début de la guerre qui oppose Israël au groupe terroriste dans la bande de Gaza.
« Je connais certains étudiants israéliens et juifs qui ne se sentent pas en sécurité sur le campus », a indiqué Kornbluth. « Alors qu’ils ont encore à l’esprit les horreurs du Hamas, qu’ils connaissent l’histoire de l’antisémitisme, ils sont blessés par des slogans entendus lors des récentes manifestations ».
La Maison Blanche a semblé réprimander mercredi leurs propos. « Nous venons d’assister au pire massacre subi par le peuple juif depuis la Shoah, les dernières atrocités d’un schéma déchirant et génocidaire qui remonte à des milliers d’années », a déclaré Andrew Bates, porte-parole de la Maison Blanche, dans un communiqué, pesant sur la controverse grandissante autour de l’audition. « Il est incroyable que cela doive être dit : les appels au génocide sont monstrueux et contraires à tout ce que nous représentons en tant que pays », a-t-il assené. « Toute déclaration prônant le meurtre systématique des Juifs est dangereuse et révoltante – et nous devrions tous nous y opposer fermement, du côté de la dignité humaine et des valeurs les plus fondamentales qui nous unissent en tant qu’Américains », a ajouté Bates, tout en évitant de mentionner directement les responsables universitaires.
Ces témoignages apportés par les présidentes surviennent dans un contexte de tensions accrues sur les campus des établissements d’enseignement supérieur de tous les États-Unis, depuis que les étudiants ou les personnels pro-palestiniens des universités – notamment les trois qui ont été représentées à l’audience – ont fait les gros titres des médias pour des discours ou des actions qui ont pu être considérés comme antisémites et inappropriés par de nombreux critiques.
L’audience de mardi – qui a duré plus de cinq heures et qui avait été organisée par la Commission d’Éducation de la chambre et par la Commission des ressources humaines – a été la quatrième, au moins, à avoir été organisée par la Chambre, où les républicains sont majoritaires, au sujet de l’antisémitisme qui sévit sur les campus américains depuis le 7 octobre. Mais c’était néanmoins la première fois que des dirigeants d’université étaient appelés à témoigner.
La rencontre a aussi eu lieu le même jour que l’approbation, par la Chambre, d’une résolution initiée par deux Juifs républicains qui sont membres du Congrès – une résolution qui met dorénavant sur le même pied antisémitisme et antisionisme.
Certains républicains ont tenté de dépeindre la haine antijuive qui s’est abattue au sein des établissements d’enseignement supérieur comme le produit « de l’idéologie basée sur la race embrassée par la gauche radicale », comme l’a dit Virginia Foxx, représentante de Caroline du nord et présidente de la Commission, lorsqu’elle a ouvert la réunion. Foxx a ajouté que les présidentes avaient été convoquées « pour répondre aux nombreux exemples spécifiques d’antisémitisme virulent, haineux, qui surviennent sur vos campus respectifs et pour les réparer ». Elle a souligné que « vous avez des professeurs et des étudiants qui haïssent les Juifs, qui haïssent Israël ».
Les trois responsables d’université ont toutes personnellement condamné l’activisme anti-israélien. Magill a dénoncé l’attaque récente, par un pro-palestinien, d’un restaurant de Philadelphie dont le propriétaire est juif à l’occasion d’un mouvement de protestation organisé aux abords de son campus. « Ces manifestants ont pris directement pour cible un restaurant Juif, au centre-ville – un restaurant appartenant à un Israélien, ce qui est un acte d’antisémitisme perturbant et scandaleux », a-t-elle déclaré au début de son intervention devant les membres de l’audience.
Mais Magill n’a pas été en mesure de dire si les slogans entonnés et répétés par les manifestants – l’un des slogans appelait à « l’Intifada » – constituaient une incitation à la violence susceptible d’être sanctionnée par le règlement de l’université. Pendant la Seconde Intidafa, il y a deux décennies, les attentats terroristes palestiniens avaient fait environ 1000 morts du côté israélien.
« Ces slogans, je pense – les appels à l’Intifada, à la révolution globale – sont très perturbants », a répondu Magill alors qu’elle était interrogée. « Je pense que c’est, au minimum, un discours de haine qui doit être condamné et il l’a été. Quant à savoir s’il s’agit d’une incitation à la violence qui pourrait être sanctionnée au vu des directives mises en œuvre par l’université de Pennsylvanie et de la ville de Philadelphie, des règles qui ont été orientées par les Constitution des États-Unis, je pense qu’il s’agit là d’une question plus difficile. Les incitations à la violence relèvent d’une catégorie très étroite. »
Elle a aussi hésité lorsqu’il lui a été demandé quelles actions son université avait été capable de prendre avant un salon de littérature palestinienne controversé qui avait eu lieu sur son campus à l’automne, avant le 7 octobre – obligeant l’établissement d’enseignement supérieur à changer ses règles sur les intervenants invités lors de ce type d’événement. Les critiques avaient déploré que ces intervenants, avec parmi eux Roger Waters, ancien membre des Pink Floyd, avaient utilisé une terminologie appelant à la destruction d’Israël.
« Je pense qu’annuler cette conférence aurait été réellement incompatible avec la liberté académique et avec la liberté d’expression même si je trouve personnellement les propos de certains qui sont venus à ce salon très, très douteux en raison de leur nature antisémite », a-t-elle dit.
Gay n’a pas non plus clairement établi si les étudiants appelant « à l’Intifada » sur le campus de Harvard violaient le code de conduite de l’université.
« Ce type de propos haineux, dangereux, offensif est absolument odieux à mes yeux », a-t-elle affirmé. Mais lorsqu’il lui a été demandé si Harvard pourrait les sanctionner, elle a répondu de manière plus générale que « lorsque les discours franchissent les limites de nos politiques, et notamment de nos politiques portant sur le harcèlement ou l’intimidation, nous agissons et nous avons des procédures disciplinaires solides qui nous permettent de faire assumer leurs responsabilités aux contrevenants ».
Des écoles ont d’ores et déjà fait l’objet de plaintes et elles ont perdu les donations qui leur étaient jusque-là faites par des personnalités juives ou par des soutiens d’Israël pour la réponse qu’elles ont apporté à l’activisme anti-israélien sur les campus – ce qui amené certains établissements d’enseignement supérieur à suspendre certains groupes étudiants pro-palestiniens.
Des professeurs juifs ayant appelé à la mort des Palestiniens ont aussi été sanctionnés, comme l’ont été d’autres qui ont pu se réjouir de l’attaque commise par le Hamas, le 7 octobre.
Harvard est, en particulier, sous le feu des projecteurs – il avait fallu des jours à Gay pour émettre une condamnation du Hamas pour le massacre du 7 octobre et une coalition de groupes étudiants avaient attribué la responsabilité des atrocités à l’État juif. Elle a depuis diffusé plusieurs condamnations et elle a déclaré lors de l’audience qu’elle se serait manifestée plus tôt concernant le communiqué des organisations universitaires si elle avait réalisé qu’il serait « attribué à tort à l’université ».
La représentante de Louisiane, la républicaine Julia Letlow, a poussé Gay à renvoyer les étudiants qui avaient signé le communiqué, disant qu’il encourageait les violences faites aux femmes.
L’université a particulièrement suscité la colère des donateurs. Bill Ackman, ancien élève et investisseur milliardaire, a lancé l’assaut en mettant un terme aux fonds qu’il donnait à Harvard en raison de la réponse apportée par l’établissement à la crise israélienne (Ackman a refusé, par le biais d’un porte-parole, de commenter sa stratégie auprès de JTA mais il s’en est fréquemment pris à l’établissement sur X, anciennement Twitter).
The presidents of @Harvard, @MIT, and @Penn were all asked the following question under oath at today’s congressional hearing on antisemitism:
Does calling for the genocide of Jews violate [your university’s] code of conduct or rules regarding bullying or harassment?
The… pic.twitter.com/eVlPCHMcVZ
— Bill Ackman (@BillAckman) December 5, 2023
Des centaines d’anciens élèves juifs ont décidé d’exprimer leur mécontentement, pour leur part, en ne donnant qu’un dollar à Harvard ou en versant l’argent qu’ils donnaient auparavant à l’université au groupe Harvard Hillel.
Les trois présidentes sont toutes à leurs postes respectifs depuis moins de deux ans. Elles ont toutes condamné le massacre perpétré par le Hamas et elles ont toutes reconnu le droit à l’existence d’Israël ; Magill et Gay, qui ont été directement interrogées sur le mouvement BDS (Boycott, Divestment, Sanctions) anti-israélien, ont aussi indiqué que leurs universités y étaient opposées institutionnellement.
Kornbluth, la seule présidente juive à témoigner lors de l’audience, a aussi été la seule à affirmer qu’une formation sur l’antisémitisme était intégrée au sein du département de la diversité, de l’équité et de l’inclusion (DEI) de son établissement. Magill a noté que l’UPenn était « en train » d’inclure la haine antijuive dans ses initiatives de lutte contre les fanatismes. Les DEI font l’objet d’une surveillance accrue de la part de la droite de l’échiquier politique, qui affirme qu’ils attisent l’antisémitisme au sein des universités.
Au cours de l’audience, Kornbluth a aussi réclamé une meilleure sensibilisation à la Shoah, qu’elle juge comme un antidote contre l’antisémitisme.
En plus des questionnements des membres du congrès, l’université de Pennsylvanie fait l’objet d’une enquête fédérale du Département de l’Éducation américain – des investigations partiellement liées à l’organisation du salon littéraire palestinien. Une enquête a aussi été ouverte sur Harvard, en relation avec l’agression présumée d’un étudiant israélien sur le campus, lors d’une manifestation propalestinienne qui avait eu lieu au lendemain du 7 octobre.
Au MIT, les critiques des deux parties au débat israélo-palestinien s’en sont pris à Kornbluth après la suspension partielle d’étudiants qui avaient participé à un mouvement de protestation pro-palestinien sur le campus, qui avait été l’occasion de vives agitations. Les soutiens des étudiants ont affirmé qu’il était inapproprié que l’établissement prenne des mesures contre des élèves qui avaient simplement fait usage de leur liberté d’expression, un droit protégé par la loi, tandis que certains groupes conservateurs et pro-israéliens ont reproché à Kornbluth d’avoir été trop timide dans sa sanction.
Les mesures disciplinaires de Kornbluth n’ont pas été évoquées lors de l’audience – même si une conférence de presse organisée avant la rencontre par les républicains y a fait référence. A cette occasion, quelques étudiants juifs et israéliens inscrits au MIT, à l’UPenn, à Harvard et sur d’autres campus ont dépeint un climat, dans leurs institutions, incapable ou non désireux de sanctionner l’antisémitisme.
« L’administration du MIT et, en particulier, la présidente Sally Kornbluth, a échoué à s’attaquer à la crise de l’antisémitisme endémique sur le campus », a expliqué Talia Khan, étudiante juive en doctorat au MIT, dont la mère est juive et le père musulman et d’origine afghane.
« Que fait donc l’administration ?… Nous lui avons soumis les violations faites au règlement, les preuves qu’elles avaient eu lieu et les livrets étudiants qui ont été explicitement violés », a dit, pour sa part, Jonathan Frieden, étudiant juif à la faculté de droit de Harvard. « Quand on nous répond – et si on nous répond – les réponses sont vides et insignifiantes, par exemple : ‘Nous sommes au courant de la situation’. »
Le président républicain de la Chambre, Mike Johnson, a cité le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu lors de la conférence de presse.
« Je pense que c’est le Premier ministre Netanyahu qui l’a dit le mieux : il s’agit véritablement d’une bataille entre le Bien et le Mal, entre la lumière et l’obscurité, entre la civilisation et la barbarie et l’idée que cela survienne sur les campus des établissements d’enseignement supérieur, sur les campus des universités à travers tout le pays est inconcevable pour nous », a-t-il déclaré. « Cet antisémitisme s’est beaucoup trop banalisé. Il tourne à la violence à certains endroits. Et l’idée que des administrateurs d’université ne s’expriment pas, qu’ils ne se préoccupent pas de cette problématique, est incompréhensible ».
Certains démocrates, au sein de la Commission, ont aussi critiqué les présidentes pour une approche des questions liées à Israël, sur les campus, qui est, à leurs yeux, « inacceptable ». La représentante Kathy Manning, démocrate de Caroline du nord et ancienne présidente des Jewish Federations of North America, a interpellé Gay sur le programme d’études moyen-orientales enseigné à Harvard qui, selon elle, inclut « des accusations mensongères », affirmant qu’Israël est un État « raciste et colonialiste ; un État d’apartheid ».
Manning a poussé Gay à dire qu’elle « s’engagera de manière totale » à garantir que ce département proposera dorénavant une variété de points de vue sur Israël.
Prenant aussi la parole lors de l’audience, Pamela Nadell, professeure d’Histoire juive américaine à l’American University, qui avait été choisie par les démocrates pour témoigner au cours de la session.
« C’est devenu une mode pour un trop grand nombre de membres de notre communauté universitaires de haïr les Juifs », a dit Foxx aux présidentes dans son discours prononcé à la fin de la rencontre. « Nous allons observer de près ce qui se passe dorénavant et j’espère véritablement, pour le bien de toute notre nation, que vous serez à la hauteur de ce défi. »