Alors que les extrémistes progressent, les Juifs allemands misent sur les voix pro-Israël au scrutin de février
La communauté locale bénéficie d'un soutien politique plus large que dans la plupart des autres pays d'Europe occidentale, mais des voix hostiles à l'extrême droite et à l'extrême gauche soulèvent des inquiétudes pour l'avenir

BERLIN – Après la chute, la semaine dernière, du gouvernement de coalition dirigé par le chancelier Olaf Scholz et après l’annonce de nouvelles élections, la question n’est pas tant de savoir si les partis marginalisés au Bundestag – la chambre basse du Parlement allemand – l’emporteront. La vraie question est de savoir dans quelle mesure ils écraseront les partis traditionnels du centre – une situation qui inquiète particulièrement la communauté juive d’Allemagne, qui est le pays le plus peuplé et le plus riche de l’Union européenne (UE).
« Je préfère éviter d’employer à nouveau le cliché du canari dans la mine de charbon », déclare Sigmount Königsberg, commissaire à l’antisémitisme auprès de la Jüdische Gemeinde, la communauté juive de Berlin.
Le Times of Israel rencontre Königsberg dans la Nouvelle Synagogue historique, un lieu de culte construit en 1865 au nord de la rivière Sprée qui traverse le centre de la capitale allemande.
« Nous avons quatre partis du centre politique dans lesquels nous pouvons placer notre confiance en tant que Juifs », dit-il. « Je crois qu’après le 23 février, deux ou plusieurs de ces partis formeront à nouveau le gouvernement. »
La coalition sortante, écartée du pouvoir après avoir échoué au vote de confiance du 16 décembre, était composée du SPD de centre-gauche dirigé par Scholz, du parti écologiste Die Grünen (Les Verts) et des libéraux du FDP. Le quatrième grand parti allemand est l’Union chrétienne-démocrate (CDU), un pilier conservateur de la politique allemande, accompagné de son parti-frère bavarois, l’Union chrétienne-sociale (CSU).
Même si les sondages prédisent que le centre politique tiendra bon et que le prochain gouvernement sera probablement une coalition entre la CDU, qui devrait devenir le plus grand parti du Bundestag, et le SPD de Scholz, la pression monte aux extrêmes. À droite, l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) gagne du terrain, tandis qu’à gauche, l’Alliance Sahra Wagenknecht, menée par sa leader populiste, suscite des craintes.
Un soutien indéfectible aux Juifs et à Israël
Il est difficile d’ignorer l’histoire antisémite de l’Allemagne en arpentant les rues de sa capitale, qui, pendant les mois d’hiver, paraît particulièrement austère.
L’ancien Reichstag, où les nazis avaient remporté leur plus grande victoire démocratique, se trouve à deux pas du Mémorial aux Juifs assassinés d’Europe, composé de plus de 2 700 stèles en béton. Des touristes du monde entier visitent cette forêt de monuments sobre mais imposante, souvent sans en comprendre la signification profonde.
Au sud du mémorial, de l’autre côté de la rue Hannah Arendt, se trouve l’emplacement de l’ancien Führerbunker, où Adolf Hitler avait passé ses derniers jours avant de se suicider le 30 avril 1945.

La semaine dernière, un rassemblement juif remarquable a eu lieu sur l’un des sites les plus emblématiques de Berlin. À la porte de Brandebourg, ce sont environ 500 jeunes Juifs venus de toute l’Europe qui se sont réunis pour une conférence organisée par le mouvement Habad. Bien entendu, l’événement s’est déroulé sous haute protection policière – mais il est légitime de se demander si une telle rencontre aurait pu avoir lieu sans incident à Londres, Amsterdam ou dans une autre capitale d’Europe occidentale. Le slogan revendiqué par ces jeunes Juifs, en allemand, était : « Wir schämen uns nicht » – à traduire par « Nous n’avons pas honte ».
Paradoxalement et malgré l’Histoire tragique du pays vis-à-vis de sa communauté juive, il est clair que les Juifs d’Allemagne – ainsi qu’Israël – bénéficient d’un soutien politique bien plus solide dans le pays que ce n’est le cas dans presque tous les autres États d’Europe occidentale. En France, en Espagne et aux Pays-Bas notamment, les partis de gauche et même de centre-gauche ont adopté une attitude résolument hostile à l’égard d’Israël. Depuis le pogrom perpétré par le groupe terroriste palestinien du Hamas le 7 octobre 2023, beaucoup ont embrassé un anti-sionisme pur et simple.
Les relations entre le gouvernement espagnol de gauche et Israël se sont particulièrement dégradées depuis le début de la guerre à Gaza, déclenchée par les massacres meurtriers du Hamas. Cette situation s’est encore détériorée en mars, lorsque la vice-Première ministre d’extrême gauche, Yolanda Diaz, a conclu un discours par : « Du fleuve jusqu’à la mer, la Palestine sera libre ».

Aux Pays-Bas, les partis de gauche ont refusé de reconnaître le caractère antisémite des attaques commises au mois de novembre par de jeunes musulmans qui s’en sont violemment pris à des supporters du club de football Maccabi Tel Aviv. Bien que les émeutiers aient eux-mêmes qualifié leurs actions de « chasse aux Juifs » et que certains responsables politiques aient évoqué un « pogrom », les partis de gauche de La Haye et le conseil municipal d’Amsterdam ont utilisé ces agressions contre des Israéliens dans les rues de la capitale néerlandaise pour lancer une campagne « contre l’islamophobie », imputant la violence à des « provocations » israéliennes largement inexistantes.
En France, le leader d’extrême gauche Jean-Luc Mélenchon a fait de l’antisionisme l’une des pierres angulaires de son programme politique.
Les principaux partis de gauche allemands semblent, en revanche, maintenir une attitude résolument pro-sioniste. Scholz s’est opposé aux appels européens en faveur d’un embargo sur les armes à destination d’Israël. Faisant fi de l’ordre de la Cour pénale internationale de La Haye, Scholz est l’un des rares chefs de gouvernement européens à avoir déclaré publiquement que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu ne serait pas arrêté s’il mettait les pieds en Allemagne. Fait notable, cette position de Scholz est pratiquement incontestée au Bundestag.

Même les Verts, en Allemagne, sont pro-israéliens – un positionnement inconcevable parmi leurs pairs, dans les pays européens occidentaux. Robert Habeck, tête de liste de Die Grüne en vue des élections du 23 février, a déploré que la plainte déposée devant la Cour internationale de Justice de la Haye, une plainte dans laquelle l’Afrique du sud accuse Israël de commettre un génocide à Gaza, était « une pure absurdité ».
L’extrême-gauche divisée
Seule l’extrême-gauche allemande est divisée dans ses positionnements à l’égard du sionisme et de l’État juif. Ce qui a entraîné une scission au sein du parti Die Linke (La Gauche), le successeur de l’ancien parti communiste en Allemagne de l’Est, avant la chute du mur de Berlin. Plusieurs conseillers municipaux de Die Linke ont choisi de claquer la porte lorsque la formation a adopté une résolution dénonçant l’antisémitisme au mois d’octobre, affirmant que le texte risquait d’étouffer les mouvements de protestation pro-palestiniens.
Les sondages indiquent que Die Linke rencontre dorénavant des difficultés à atteindre le seuil électoral de 5%, le seuil qui est nécessaire pour intégrer le Bundestag. Des difficultés qui s’expliquent principalement par un phénomène politique nouveau qui a fait son apparition à Berlin : L’Alliance Sahra Wagenknecht (pour la Raison et pour la Justice), dont l’acronyme est BSW.
Wagenknecht a quitté Die Linke, au mois de janvier dernier, pour former son propre parti populiste – qui mêle des politiques économiques d’extrême-gauche et une idéologie culturellement conservatrice sur l’immigration et sur les droits des membres de la communauté transgenre. BSW est la faction la moins pro-israélienne dans tout le spectre politique allemand.
Josef Schuster, le président du Conseil central des Juifs, avait attaqué Wagenknecht lorsque cette dernière avait affirmé que la guerre menée par Israël contre le Hamas était « une guerre de destruction barbare ». Wagenknecht avait répondu en disant que l’existence de l’État juif n’était pas un sujet de débat au sein de son parti mais que la guerre à Gaza « est allée bien au-delà de l’autodéfense ».

Selon de récents sondages, la formation BSW devrait franchir le seuil électoral de 5% et faire ainsi son entrée au Parlement – même s’il est encore possible que cela ne soit pas le cas et que les deux partis d’extrême-gauche soient absents du Bundestag après le 23 février.
L’essor de l’extrême-droite
Cela fait des années que franchir le seuil électoral n’a plus été un problème pour l’AfD, à l’extrême-droite de l’échiquier politique allemand. La formation est radicalement opposée à l’immigration et, la semaine dernière, Elon Musk a indiqué que « seul l’AfD peut sauver l’Allemagne » – en particulier s’agissant des réfugiés et autres migrants en provenance des pays musulmans.
Scholz a prévenu mardi l’homme d’affaires que « soutenir des positions d’extrême droite » était inacceptable, après ses appels à voter pour l’extrême droite allemande et un geste lundi interprété par certains comme un salut nazi. « Nous avons la liberté d’expression en Europe et en Allemagne, chacun peut dire ce qu’il veut, même s’il est milliardaire, et ce que nous n’acceptons pas, c’est le soutien à des positions d’extrême droite », a dit le dirigeant allemand depuis Davos.
Les dirigeants de cette formation populiste de droite extrême sont fermement pro-israéliens. Toutefois, plusieurs politiciens de l’AfD – c’est le cas en particulier au niveau des provinces et au niveau local – ont été pris en flagrant délit alors qu’ils reprenaient à leur compte des théories du complot antisémite et qu’il tenaient des propos négationnistes au sujet de la Shoah.

Konigsberg souligne que tous les partis qui s’opposent à l’immigration s’en prendront aux Juifs, « tôt ou tard » : « Les Juifs sont toujours considérés, après tout, comme des étrangers », note-t-il.
Il considère que la sympathie dont l’AfD fait preuve à l’égard d’Israël et des Juifs est, en réalité, principalement une arme contre ce qui est perçu comme une influence croissante de l’islam sur le territoire allemand.
« Il peut apparaître comme un parti ‘bleu’, comme un parti mainstream, mais quand vous égratignez la surface, il est brun », explique-t-il, faisant référence à la couleur des uniformes du parti nazi, dans les années 1930.
Et pourtant, l’AfD a le vent en poupe dans les sondages – avec environ 20 % des intentions de vote – et il se prépare à devenir la deuxième force au Bundestag, après les démocrates chrétiens. Le leader de la CDU, Friedrich, a rejeté catégoriquement toute possibilité de coopération parlementaire avec la formation d’extrême droite.
« Le centre va tenir bon pour le moment », affirme Konigsberg qui prédit qu’il y aura une coalition réunissant la CDU et le SPD, « ce qui est une bonne nouvelle pour nous, les Juifs. Mais il est impossible de savoir ce qui va se passer lors des élections suivantes ».
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