Alors qu’Erdogan salue le Hamas, l’antisémitisme se déchaîne en Turquie
La communauté juive assiste à une hausse des incidents antisémites depuis le 7 octobre ; un magasin est "interdit aux Juifs", des appels à révoquer la citoyenneté des Juifs turcs se font entendre
ISTANBUL (JTA) — « Interdit aux Juifs », pouvait-on lire, en anglais et en turc sur un panneau accroché au-dessus de la porte d’une librairie spécialisée dans la vente de livres d’occasion, Rağman Şahaf, dont la vitrine est située aux abords de l’université d’Istanbul, pas très loin du célèbre Grand Bazaar de la ville.
Si le panneau a finalement été enlevé vendredi, le gérant du magasin dit ne pas céder d’un pouce sur son interdiction.
« Je ne veux rien acheter à des Juifs pour le moment, je ne veux rien vendre à des Juifs pour le moment, c’est ce que je leur dis », explique Ozkan Mustafa Küçükkural à la JTA.
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« Peut-être qu’il aurait fallu écrire ‘interdit aux sionistes’ ou ‘interdit aux Israéliens’ mais j’étais vraiment très en colère et réellement bouleversé », dit-il. « Mes frères de Palestine sont en train de mourir ».
Les bannières et autres graffitis anti-israéliens, ainsi que les drapeaux palestiniens, sont devenus monnaie courante dans tout Istanbul alors qu’un grand nombre de citoyens sont scandalisés face à la riposte israélienne qui a suivi l’assaut barbare commis par le Hamas sur le sol israélien, le 7 octobre – une attaque barbare et indiscriminée qui a fait 1 400 morts, des civils en majorité. Des images de taxis informant les potentiels clients que les chauffeurs n’accepteront pas les Israéliens à bord de leur véhicule ont aussi circulé largement.
Mais les incidents antisémites ne se limitent pas à Isranbul. A Izmir – une ville qui, autrefois, accueillait des dizaines de milliers de Juifs et qui connaît aujourd’hui un petit renouveau au sein de la communauté – une synagogue a été profanée : Un graffiti disant « Israël assassin » a été peint sur l’un de ses murs, samedi.
Le président turc Recep Tayyip Erdogan, qui a entretenu une relation chaotique avec Israël depuis qu’il a pris la tête de la Turquie, il y a deux décennies, a défendu avec conviction l’attaque commise par le Hamas le 7 octobre, qualifiant le groupe terroriste de « groupe de libération ». En réponse, Israël a rappelé ses diplomates en poste en Turquie, samedi.
Ce qui a créé un climat de graves tensions pour les Juifs turcs, qui sont environ 15 000 – ce sont majoritairement des familles séfarades mais il y a aussi quelques communautés ashkénazes, romaniotes et mizrahies. Il y avait près de 80 000 Juifs sur le territoire lors de la fondation de la république de Turquie, en 2023 – une république dont le centième anniversaire tombe très précisément dimanche.
La rhétorique antisémite s’est également infiltrée dans la politique. Vingt-quatre heures après qu’un hôpital a été frappé par une roquette mal tirée par un groupe terroriste de Gaza, le 17 octobre, Süleyman Sezen, un politicien appartenant au parti au pouvoir en Turquie, l’AKP et représentant une petite municipalité appelée Atakum, dans la ville de Samsun, sur la mer Noire, a publiquement déclaré qu’il priait pour la mémoire de Hitler, ajoutant que le monde ne trouverait la paix que lorsqu’il serait purifié de tous ses Juifs et que la Shoah avait été « inachevée ». Les preuves démontrant que l’explosion survenue dans l’établissement hospitalier avait bien été consécutive au tir de roquette d’une faction terroriste palestinienne n’a pas mis un terme à ce type de débordement.
« La rhétorique de Hitler n’est pas une nouveauté en Turquie », commente Rifat N. Bali, un Juif de Turquie, auteur et propriétaire d’une maison d’édition, qui a écrit sur le portrait des Juifs tel qu’il est dressé par l’Islam politique. « Je ne peux même pas dire qu’elle proviendrait de factions politiques ultra-nationalistes… Pourquoi ? Parce qu’ils sont abreuvés, jour après jour, de photos de ‘bébés tués par l’armée israélienne’. »
Le 10 octobre, le parlementaire du parti Huda-Par, Şahzade Demir, s’est exprimé devant le parlement turc, appelant à révoquer la citoyenneté des Juifs turcs qui se porteraient volontaires au sein de l’armée israélienne. Quelques jours plus tard, un média d’extrême-droite, Yeni Akit, a déclaré que les Juifs de Turquie devaient être dénaturalisés, affirmant de manière mensongère qu’ils étaient tous, par ailleurs, ressortissants israéliens et qu’ils pouvaient ainsi s’enorgueillir d’avoir la double nationalité (la fondation Hrant Dink Foundation, une ONG qui consacre ses activités aux questions relatives aux minorités dans le pays et qui porte le nom d’un journaliste turco-arménien assassiné, a estimé que Yeni Akit figurait parmi les sources les plus prolifiques en matière de discours de haine dans les médias turcs).
« Ce scénario de la peur n’est pas nouveau. Il a été là pendant la controverse suscitée par l’affaire du Mavi Marmara et la question de la citoyenneté des Juifs qui sont citoyens de la république turque et qui servent dans l’armée israélienne avait été, là aussi, mise à l’ordre du jour », note Serdar Korucu, auteur d’une chronique sur l’antisémitisme publiée sur le site juif Avlaremoz.
Le Mavi Marmara était un navire où s’était produit un affrontement meurtrier entre l’armée israélienne et des activistes pro-palestiniens turcs qui avaient décidé de rompre le blocus maritime de Gaza, en 2010. « Une telle pratique n’a jamais existé dans toute l’Histoire de la république de la Turquie. La sanction la plus dure, ce serait de leur interdire de faire le service militaire à l’avenir ».
Plusieurs manifestations pro-palestiniennes – qui ont regroupé un grand nombre de participants – ont eu lieu à Istanbul depuis le 7 octobre. Lors de l’une d’elles, les protestataires ont brièvement ouvert une brèche dans la barrière qui entoure le consulat israélien. Ils ont finalement été dispersés par la police.
Erdogan, qui s’est montré plus chaleureux à l’égard d’Israël, ces dernières années, rencontre régulièrement les dirigeants du Hamas, un groupe qui figure sur la liste noire des organisations terroristes des États-Unis, de l’Union européenne et de la plus grande partie des puissances occidentales. Son ministère des Affaires étrangères a émis un communiqué, dimanche, où il a nié utiliser une rhétorique antisémite à l’encontre de l’État juif.
« Nous réfutons les accusations d’antisémitisme, qui sont sans fondement, et nous rejetons les calomnies et les insultes proférées à l’encontre de notre président et de notre pays », dit ce communiqué. « Tout le monde sait pertinemment que les antécédents de la Turquie, concernant cette problématiques, sont impeccables – contrairement à d’autres pays, nombreux, qui soutiennent aujourd’hui Israël de manière inconditionnelle ».
« La Turquie a toujours été un asile pour tous ceux qui ont été opprimés à travers l’Histoire et notamment pour les Juifs, c’est une réalité reconnue par tous les historiens », a ajouté le communiqué.
En 1492, le sultan ottoman Bayezid II avait envoyé des navires vers l’Espagne pour ramener dans son empire les Juifs exilés du pays – ce qui entraînera l’importante présence des Séfarades dans la communauté, aujourd’hui. Mais les Juifs turcs ont aussi connu différentes périodes d’oppression, notamment avec l’imposition tristement célèbre d’une taxe dans les années 1940 ,et un pogrom dans les années 1950 qui est actuellement au cœur d’une série sur Netflix qui est devenue très populaire en Turquie.
La réponse des Juifs locaux à cette situation nouvelle ne s’est pas limitée au choc et à la consternation. Jacob Behar, un Juif turc qui est propriétaire d’un magasin situé à quelques mètres de la librairie qui a interdit son entrée aux Juifs à Instanbul, déclare que s’il a été déconcerté par le panneau, il n’a pas de sentiment d’insécurité pour autant.
« Ce type de comportement ne représente pas les idéaux plus généraux de la société turque », confie-t-il à JTA. « Cela fait plus de cinq siècles que ma famille est ici. Nous ne serions plus ici si nous ne nous sentions pas en sécurité. Bien sûr, il y a des choses qui se passent au niveau individuel mais c’est aussi le cas en Israël ».
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