Après le 7 octobre, un secouriste affronte son trauma en organisant des barbecues pour les soldats
Yossi Hoffman, bénévole de ZAKA, s'efforce de surmonter ce qu'il a vécu lorsqu'il cherchait les corps sans vie des victimes du 7 octobre ; il trouve du réconfort en faisant visiter les sites meurtris, utilisant les fonds pour des barbecues qui sont offerts aux soldats
Après le pogrom commis par le Hamas dans le sud d’Israël, le 7 octobre 2023, organiser des barbecues pour les soldats est devenu un des moyens pour contribuer à soutenir le moral des troupes.
Pour Yossi Hoffman, un bénévole dévoué au sein de l’organisation ZAKA – l’organisation israélienne spécialisée dans l’identification des victimes de catastrophes – ce geste a toutefois pris un sens profondément intime, devenant, d’une manière ou d’une autre, un mécanisme d’adaptation permettant de surmonter les traumatismes de ce jour-là, comme des journées qui avaient suivi.
Le 7 octobre, Hoffman avait été l’un des premiers volontaires à répondre à l’attaque sanglante qui avait été perpétrée par le Hamas – des milliers de terroristes avaient envahi le sud d’Israël, massacrant plus de 1 200 hommes, femmes et enfants. Les hommes armés avaient kidnappé 251 personnes, qui avaient été prises en otage dans la bande de Gaza.
En possession d’un permis de port d’arme, Hoffman et trois autres bénévoles de la ZAKA, eux aussi armés, avaient pris une ambulance – ils s’étaient rendus sur la Route 232, une artère de circulation majeure qui relie les villes israéliennes et les kibboutzim situés à la périphérie de Gaza, en direction de ces communautés qui avaient payé un tribut particulièrement lourd lors de ce Shabbat noir. C’est ainsi que les quatre hommes avaient emprunté la « route de la mort » en brandissant leurs armes à feu par les fenêtres ouvertes, prêts à engager le combat.
Pendant les 61 jours qui avaient suivi – jusqu’au 7 décembre 2023 – Hoffman avait été l’un des nombreux bénévoles qui avaient été chargés de la sinistre mission de récupérer les corps sans vie et de nettoyer le sang qui se trouvait dans les véhicules incendiés par le Hamas.
Les scènes horribles auxquelles Hoffman a assisté, pendant et après le pogrom, restent gravées dans sa mémoire et elles continuent de le hanter, dit-il.
« Ces histoires, ces images et ces vidéos qui me reviennent en permanence à l’esprit, je ne peux pas les oublier », explique-t-il.
Ces souvenirs ont fait naître un trauma : « Tous ces corps nus, tous ces viols, tous ces morceaux de corps, tous ces bébés », se souvient-il.
Plus d’un an après avoir dû faire face aux conséquences du plus grand massacre de Juifs depuis la Shoah, Hoffman continue de se débattre, croulant sous le poids de ce qu’il a vécu.
« J’ai vu des corps avec des numéros [sur le bras] ; ils avaient été été sauvés de la Shoah et [le Hamas] les a tués dans les kibboutzim« , indique-t-il.
Encouragé par ZAKA à suivre une thérapie, Hoffman a commencé à travailler avec un psychologue – mais même ces professionnels chancellent sous l’horreur des récits.
Au bout de quelques semaines, son psychologue lui a confié : « Je ne peux plus continuer à travailler avec vous parce que je ne dors plus à cause de toutes les histoires que vous me racontez. Il faut que vous trouviez quelqu’un d’autre ».
En réponse, Hoffman a décidé de canaliser son énergie dans une autre direction – il organise des barbecues pour les soldats qui servent dans le sud d’Israël. C’est, depuis le début de la guerre, une activité prisée par ceux qui cherchent un moyen d’apporter leur contribution à l’effort de guerre sans prendre les armes.
Lorsque les dons initiaux pour les barbecues se sont taris, Hoffman a commencé à collecter des fonds en proposant des visites payantes des communautés de la région de Gaza, sans oublier le site où s’était déroulé le festival de musique électronique Supernova, ce même site où il avait passé des journées entières à fouiller les débris à la recherche de restes de corps humains.
Toutes les recettes de ces excursions servent dorénavant à financer les repas, qui sont souvent organisés avec l’aide des visiteurs, à la fin de la journée.
Si ces visites lui permettent de collecter des fonds et de nourrir les soldats, elles lui offrent aussi un exutoire. Pouvoir parler des scènes traumatisantes auxquelles il a assisté est une libération qui lui soulage l’âme.
« En tant que témoin direct, j’estime que c’est mon devoir d’informer les autres de ce qui s’est passé le 7 octobre », explique-t-il. Et s’exprimer en public, ajoute-t-il, est une véritable thérapie pour lui.
« Si je peux parler devant des gens, c’est très bénéfique pour moi », déclare-t-il.
Les excursions commencent et elles se terminent à Jérusalem. Les visiteurs se rendent notamment au commissariat de police de Sderot complètement détruit, là où des dizaines de policiers et de civils avaient été assassinés. Ils vont aussi sur un site de commémoration qui a été dressé aux abords du Moshav Tkuma, un mémorial qui est composé de dizaines de voitures brûlées et détruites lors du pogrom. Ils font également le déplacement dans une communauté frontalière de Gaza, où un résident partage ce qu’il avait vécu dans la journée du 7 octobre.
Les excursions se terminent par un barbecue qui est offert aux soldats de l’armée israélienne.
Les participants sont invités à verser une contribution directe à leur chauffeur de bus et au membre de la communauté qui s’est adressé à eux, ce jour-là. De plus, les participants sont encouragés à parrainer les barbecues via un lien GoFundMe.
Pendant la fête juive de Souccot, Hoffman a organisé un barbecue à la base militaire de Nahal Oz – c’est son 251e, précise-t-il. Certaines personnes qui ont participé à l’excursion l’aident à préparer le festin dans un grand espace, en plein air. L’armée autorise Hoffman à organiser ses repas à cet endroit précis.
À son arrivée, Hoffman a déchargé sa voiture et il a disposé toutes sortes de viandes sur des tables pliantes : poulet, steaks, brochettes, hamburgers, hot-dogs…
« Je me sens mieux quand j’apporte quelque chose aux soldats, quand je fais un don qui vient du plus profond du cœur – et je le fais avec un bon repas », dit Yossi Hoffman, qui allume des grills et qui confie des tâches à accomplir aux visiteurs venus l’aider.
En plus de préparer la viande grillée, les personnes présentes s’affairent également à couper les légumes pour la salade et ils disposent sur les tables des plateaux de houmous, de pita et toutes sortes de boissons non-alcoolisées.
Leah Milstein, une résidente de Tel Aviv qui a récemment émigré depuis New York City, raconte qu’elle a entendu parler de ces visites par le biais du bouche à oreille, comme c’est le cas également de la majorité des participants.
« Je ne peux pas expliquer ce qui nous attire, mais nous le ressentons tous », s’exclame-t-elle. « Je pense que ça aide vraiment les soldats. Ça leur montre qu’ils sont soutenus malgré ce que le reste du monde peut dire de nous ».
Milstein ajoute que servir de la nourriture aux soldats est un geste à la symbolique profonde.
« Nous les nourrissons. Il n’y a pas de meilleure façon d’être Juif », explique-t-elle. « Ces soldats ne veulent pas faire cette guerre ; ils voudraient être chez eux avec leurs familles ou travailler dans leurs entreprises ».
Yossi Hoffman, qui passe ses journées à travailler dans la production vidéo, organise les visites lorsqu’il reçoit suffisamment de demandes de potentiels participants via WhatsApp. La majorité des excursions ont lieu en anglais, ce qui témoigne de leur popularité auprès du public anglophone.
Lorsque les demandes arrivent par WhatsApp, Hoffman organise les visites et il loue un bus. Il adapte ainsi son programme chaque semaine en fonction de l’intérêt suscité par ses excursions. Malgré les difficultés posées par le conflit actuel qui oppose Israël au Hamas à Gaza, ses groupes sont diversifiés et ils viennent de toute la planète.
Rena Stern, une résidente de Jérusalem originaire de Passaic, dans le New Jersey, a assisté à l’une des visites de Hoffman. Il a une personnalité exceptionnelle, dit-elle.
« Non seulement il organise tout ça lui-même mais il donne aussi aux autres l’occasion d’apporter leur pierre à l’édifice », note-t-elle.
Yaakov Rosenbaum, qui vit à Lakewood, dans le New Jersey, a entendu parler de cette initiative de Hoffman par un membre de sa famille. Il souligne l’importance de montrer aux soldats qu’ils sont soutenus par des personnes du monde entier.
« Cela leur donne le courage nécessaire pour poursuivre leur travail essentiel », indique-t-il.
Les jours où les visiteurs ne sont pas là pour donner un coup de main, Yossi Hoffman fait appel à d’autres bénévoles de la ZAKA qui viennent l’aider à faire les grillades et à servir les troupes, dans les bases militaires situées à la frontière de Gaza.
S’il a trouvé un nouveau thérapeute, de nombreux bénévoles, qui sont aussi ses amis, reconnaissent que l’organisation de ces barbecues l’a réellement aidé à guérir.
Ce que résume Menachem Blisko qui est originaire de Lawrence, dans l’état de New York, qui participe à la visite du jour. « C’est sa façon à lui de se soigner. Pour Yossi, il s’agit d’aider les autres », explique-t-il.
À la base militaire de Nahal Oz, Hoffman a obtenu une reconnaissance publique de la part du commandant de l’unité et les soldats ont fait part de leur gratitude pour le temps et les efforts consacrés à l’organisation de ces pantagruéliques repas.
Milstein fait néanmoins remarquer que ces visites et les barbecues sont également déterminants pour d’autres raisons et ce, de manière plus générale.
« De nombreuses idées fausses circulent sur le 7 octobre, et sa parole doit être amplifiée », s’exclame-t-elle. « Son récit de témoin direct est tout aussi crucial que tous les témoignages que nous avons pu recueillir sur la Shoah. »
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