Après un long oubli, Athènes renoue avec son histoire juive
Ce n'est qu'en 2004 que l'enseignement de la Shoah à l'école est devenu obligatoire en Grèce ; Comment expliquer ce long silence ?
« La voix des 50 000 Juifs de Thessalonique déportés ne doit pas être oubliée. Il est temps que la Grèce fasse son travail de mémoire »: David Saltiel, président de la communauté juive de Thessalonique, un millier de personnes seulement aujourd’hui, commence à être entendu.
Musée en construction, développement du tourisme mémoriel, multiplication des livres sur l’extermination des Juifs de Thessalonique, la Grèce tente actuellement de réhabiliter cette partie de son histoire.
La communauté de Thessalonique, composée majoritairement au départ de Sépharades chassés d’Espagne en 1492, s’est développée au point que la ville a été surnommée la « Jérusalem des Balkans ».
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Mais en 1943 presque tous les Juifs de la ville ont été déportés, 4 % seulement survivant aux camps nazis.
Jusqu’à l’ancienne gare ferroviaire, d’où sont partis à partir du 15 mars 1943 dix-neuf convois vers les camps de la mort, une marche mémorielle annuelle a lieu mi-mars depuis 2013, à l’initiative du maire, Yannis Boutaris. La cinquième a eu lieu dimanche.
Le maire a prononcé en janvier un mea culpa remarqué pour dénoncer l’oubli : « Qui a porté le deuil de ses voisins disparus, quels monuments avons-nous élevés, quelles cérémonies avons-nous organisées ? », a-t-il lancé, dénonçant aussi des spoliations par des Grecs des biens des Juifs déportés.
Concurrence mémorielle
Fin janvier, le président israélien Reuven Rivlin a posé à Thessalonique la première pierre d’un musée de l’Holocauste de 7 000 m2, qui devrait être achevé en 2020. Il est financé par l’Allemagne et la Fondation Stavros Niarchos.
« Les juifs grecs avaient disparu de la mémoire collective grecque jusqu’à la fin des années 1990 », souligne l’historienne Rena Molho, spécialiste de la communauté.
Et ce n’est qu’en 2004 que l’enseignement de la Shoah à l’école est devenu obligatoire, et qu’en 2014 qu’une stèle a été installée à l’emplacement de l’ancien cimetière juif rasé par les Allemands, où se dresse à présent l’université.
Comment expliquer ce long silence ? « Peu de survivants pouvaient témoigner, certains s’étaient convertis au christianisme, d’autres avaient émigré aux États-Unis, en Israël », avance Nikos Zaikos, professeur à l’Université de Thessalonique.
Pour Rena Molho, l’explication réside dans l’histoire grecque de l’après-guerre : « A la Libération, la guerre civile éclate, les résistants communistes sont envoyés en exil, et les (nouveaux) dirigeants, proches des collaborateurs, n’avaient aucune intention de parler des Juifs ».
A cela s’ajoute la concurrence mémorielle : « 400 000 Grecs sont morts pendant la Seconde Guerre mondiale et cela a paru longtemps plus important que la déportation des Juifs grecs », souligne Anastasio Karababas, guide-conférencier au Mémorial de la Shoah de Paris et auteur de « La Shoah – L’obsession de l’antisémitisme depuis le XIXe siècle » (Bréal).
Preuves à l’appui
Mais le gouvernement de gauche d’Alexis Tsipras a pris des initiatives pour réhabiliter la mémoire des Juifs de Thessalonique, « il a accéléré la construction du musée, et s’est rapproché d’Israël pour des raisons économiques et géostratégiques dans une région où le voisin turc ne rassure pas dernièrement », note M. Karababas.
En 2016, un demi-million d’Israéliens sont venus en Grèce. « Le tourisme mémoriel est à un stade embryonnaire à Thessalonique mais devrait se développer », constate Mathias Orjekh, coordinateur des voyages d’étude au Mémorial de la Shoah, qui a organisé la participation à la marche de dimanche d’un groupe de 40 personnes depuis Paris.
« Alors que partout en Europe l’extrême-droite gagne du terrain, la Grèce doit rappeler à ses jeunes générations où le racisme et l’antisémitisme peuvent mener », soutient M. Saltiel.
En 2016, une enquête du Pew Research center montrait que 55 % des Grecs ont une opinion négative des Juifs. « Il est temps que la Grèce cesse de n’enseigner aux jeunes qu’une histoire nationaliste et chrétienne », estime M. Karababas.
Léon Saltiel, qui publiera prochainement en Grèce un recueil de correspondance entre mères du ghetto de Thessalonique et leurs enfants ayant fui à Athènes, souligne « les progrès des dernières années » : création à Thessalonique d’une unité d’études hébraïques, enseignants mieux formés à enseigner la Shoah. Mais « le nouveau musée jouera un rôle encore plus important : répondre aux négationnistes avec des preuves historiques à l’appui ».
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