Au Musée Eretz Israël, des artistes d’Ukraine montrent la vie telle qu’elle est
Suzanne Landau et Svetlana Reingold sont les commissaires de cette exposition « spontanée » à Tel Aviv, organisée dans l’espoir "d'être utile à quelque chose"
Il y a beaucoup de beauté, de chagrin et d’humour noir dans les œuvres qui composent « Nous ne voyons plus d’avenir », nouvelle exposition de photos, peintures et sculptures d’artistes ukrainiens à la galerie Migdal du musée Eretz Israël, à Tel Aviv.
L’exposition porte le nom de l’œuvre de l’une des artistes exposées, Elena Subach, dont les photos saisissantes et les descriptions de femmes ukrainiennes ne manquent pas de susciter des réactions vives et pleines d’émotion chez les spectateurs.
Il s’agit d’une exposition presque improvisée au regard des processus de création des musées, témoignage de la volonté des conservatrices israéliennes Suzanne Landau et Svetlana Reingold d’ « être utiles », face à la tragédie de la guerre russo-ukrainienne.
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« C’est une réaction spontanée à ce qui se passe », explique Landau, qui fut conservatrice en chef du musée d’art de Tel Aviv.
« Nous avons réfléchi à ce que nous pouvions faire, et il est apparu que nous pouvions monter une exposition pour montrer ce qui se passe. »
« Il est rare que nous recevions des propositions en cours d’année », confie le directeur du musée, Ami Katz, lors d’une visite de presse de l’exposition en compagnie de la conservatrice en chef, Debby Hershman.
« Les budgets et le calendrier étaient déjà fixés. Mais Debby m’a dit : « Au moment où l’exposition sera prête, la guerre sera terminée. » Je lui ai répondu : ‘Debby, ne t’inquiète pas.’ »
Il y a quelques mois à peine, Landau se tourne vers Zoya Cherkassky, célèbre artiste israélienne originaire de Kiev, en Ukraine et installée en Israel depuis 1981, en quête de noms d’artistes ukrainiens.
Depuis le 24 février, date à laquelle la Russie a envahi l’Ukraine, les peintures à l’huile audacieuses de Tcherkasski évoquent les drames – à l’échelle des hommes et du pays – qui se déroulent à Kiev.
Cherkassky oriente Landau et Reingold vers des artistes ukrainiens qui ont continué à travailler malgré la guerre.
« Ce sont des héros à leur manière, qui continuent à travailler avec des moyens dérisoires », confie Landau. « Le monde s’est habitué à ce qui se passe, mais eux le vivent au quotidien. Nous avons simplement voulu aider ces artistes qui continuent de travailler en temps de guerre, parce qu’ils savent que l’art est l’arme avec laquelle ils peuvent défendre leur pays. »
Les photos de Subach sont des portraits de femmes et de leurs familles, dans le cadre d’un projet sur lequel elle a commencé à travailler un mois après le début de l’invasion russe.
L’objectif de Subach est de décrire ce qui se passe et d’avoir une trace de l’histoire de ces personnes, contraintes de quitter leur foyer à cause de la guerre, illustrées de photos prises dans des abris pour personnes déplacées à Lviv, là où elle-même vit.
Les questions de société et le féminisme sont des sujets majeurs pour beaucoup de femmes, précise Landau.
Oksana Nevmerzhytska propose quant-à-elle un corpus de photographies de chambres d’hôpital vides, meublées de lits, tables et décorations d’un autre temps, dans des bâtiments qui paraissent abandonnés.
Il y a aussi deux portraits surdimensionnés de Lesia Khomenko, peints sur une toile flexible en biflex et une série de tirages jet d’encre sur papier de Maryna Shtanko, de style pop-soviétique, dans laquelle elle superpose des éléments de pop art sur des photographies. Shtanko fait des références plus ou moins subtiles aux rivalités russo-ukrainiennes, évidentes pour tous depuis l’invasion de 2014.
« Nous sommes tellement vivantes, mais toujours incroyablement différentes », peut-on lire sur la photo de deux jeunes femmes, l’une vêtue aux couleurs soviétiques, l’autre, ukrainiennes.
Les images caricaturales d’Alevtina Kakhidze, dans la série « Wartime », évoquent pêle-mêle ces oligarques qui ont quitté la Russie et ces Russes célèbres, Dostoïevski, Tolstoï et autres, témoins d’une époque révolue.
Les 10 peintures miniatures de Zoya Cherkassky montrent des bâtiments en feu, des pluies de bombes et des Ukrainiens qui regardent, impuissants, leur ville détruite.
À l’entrée de la galerie se trouvent des pierres de rivière tranchées par Zhanna Kadyrova, qui font partie de « Palianytsia », nom de son œuvre inspirée du nom de ce pain rond ukrainien que les occupants russes peinent à prononcer et qui est devenu une sorte de mot de passe chez les Ukrainiens.
Une vidéo permet de voir Kadyrova en train de tailler ses pierres, collectées dans le lit d’une rivière des Carpates, où elle a trouvé refuge après s’être enfuie de Kiev. Ces pierres de rivière, grises et brunes, ont été découpées comme des « pains ».
Les ventes réalisées lors de l’exposition ont d’ores et déjà permis de récolter plus de 50 000 euros destinés à envoyer des fournitures de première nécessité aux soldats et aux Ukrainiens dans le besoin.
« Nous avons changé le pain de pierre en véritable pain », expliquait Kadyrova à The Art Newspaper lors d’une exposition éphémère de ses pierres de rivière tranchées à la Biennale de Venise. « Nous l’avons fait parce que c’était le seul moyen pour nous de nous procurer des fonds, sans studio, sans tout ce qui faisait auparavant notre vie. Ce n’est pas un geste philosophique. J’avais besoin de produire. »
La plupart des œuvres de ces artistes se trouvaient déjà en dehors des frontières ukrainiennes, précise Landau. Certaines ont dû être expédiées depuis l’Allemagne ou la Belgique, et celles de Kadyrova viennent d’une galerie italienne.
Certaines pièces n’ont pas pu être expédiées, comme les obstacles antichars en acier peints de couleurs vives de Varvara Logyn, décorés dans le style “Petrykivka”, du nom du village ukrainien d’où il est originaire.
Logyn a décoré les structures en acier en forme de X, installées dans les environs de Kiev, à l’aide de brosses faites en poils de chat ou d’écureuil. Elle assimile le processus de peinture à une sorte de méditation qui l’aide à supporter la guerre.
Il était impensable de les faire venir de Kiev, explique Landau, mais peu importe, « il y en a assez ici ». « Nous avons recréé ce qu’elle a fait à Kiev. »
Ce style de peinture sert à décorer aussi bien l’intérieur que l’extérieur des maisons de Petrykivka, explique Landau, sorte de talisman supposé protéger de la tristesse et des chagrins.
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