Au revoir Moshe Yaalon
Après trois années d'investissement au ministère de la Défense, Yaalon démissionne et cède sa place au belliqueux Liberman - bilan, perspectives
L’auteur israélien Meir Shalev, dans son premier livre sur la Bible, présente une interprétation brillante de la vie et de la mort de l’officier supérieur du roi David. L’histoire est fascinante, du début à la fin – mettant en scène l’alliance contre-nature entre « l’hypocrite et manipulateur » prophète Nathan et la perfide Bath-Shéba, qui épousa le meurtrier de son mari et intrigua ensuite pour que son fils, Salomon, règne. Mais la partie pertinente ici, en ce jour où le ministre de la Défense Moshe Yaalon est officiellement congédié, réside dans les derniers mots de la Bible sur le grand général : « Et il fut enterré dans sa maison dans le désert ».
Yoav Ben Zeruya, le fils de la sœur du roi, et l’homme dont David avait ordonné la mort dans ses dernières volontés et son testament, vécut dans la capitale pendant ses longues années de loyaux, cruels et sanglants services, mais il conserva sa maison dans le désert, note Shalev. « Il demeura le fils de Zeruya, l’homme honnête et courageux du désert », écrit-il. « Peut-être était-ce cela qui faisait de lui un si grand officier, et clairement c’était ce qui faisait de lui un si piètre politicien ».
Ce vendredi, Yaalon, sombre et parlant doucement, annonça qu’il quittait ses fonctions et qu’il retournerait probablement dans son kibboutz du désert [il a cependant une maison dans le centre du pays]. Il précisa que le temps de son retour dans la mêlée politique viendrait. Ici, sa perspicacité n’est pas certaine.
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Mais en tant que fonctionnaire à la Défense, son héritage sera marqué par trois événements : la gestion de la guerre en Syrie, la guerre de Gaza de l’été 2014, et sa position, politique comme opérationnelle, concernant la montée de l’extrême-droite. Je traiterai ces sujets dans cet ordre.
Syrie
Les ministres de la Défense sont souvent jugés sur leur comportement pendant les guerres. Il semblerait que la plus grande réalisation de Yaalon soit la manière brillante avec laquelle il a tenu Israël à l’écart de la guerre en Syrie, depuis son entrée en fonctions en mars 2013, même si le Hezbollah a titillé la ligne rouge.
Les événements du 18 janvier 2015 sont instructifs. Un samedi après-midi, quelques kilomètres à l’est de Qouneitra, du côté syrien du plateau du Golan et près de la ville druze israélienne de Massadeh, deux avions ont traqué et détruit deux véhicules en mouvement. Les voitures étaient parties de Beyrouth sur ordre du commandant des Forces Qods [les forces spéciales des Gardiens de la Révolution en Iran], Qassem Soleimani, et transportaient non seulement plusieurs commandants hauts gradés du Hezbollah, mais aussi un général iranien.
Mohammad Ali Allahdadi, un général des Forces Qods, a été tué, ainsi, que Jihad Mughniyed, un officier du Hezbollah dont le père était le chef militaire et commandant de l’organisation. Les rebelles syriens dans cette zone n’ont pas d’aviation. Le régime syrien est aligné avec le Hezbollah. Il y avait donc un seul acteur capable d’effectuer cette frappe.
Le jour suivant, alors que les tambours de guerre commençaient à battre, une source de sécurité israélienne confiait à Reuters que le général iranien n’était pas la cible de l’attaque. Cela avait l’air d’un aveu d’ignorance, une excuse anonyme.
Quelques jours plus tard, Yaalon s’asseyait pour une interview avec la radio de l’armée. « Saviez-vous qui était dans la voiture ? » fut la première question. Yaalon, sans la prétention que ces questions peuvent parfois encourager, expliqua que le ministère de la Défense avait publié un communiqué, contredisant le rapport de Reuters et clamant que cette information ne venait ni de l’armée ni du ministère de la Défense. « Je pense que cette clarification est suffisante pour éclaircir l’affaire », a-t-il ajouté.
Le Hezbollah n’est pas qu’une milice ou un parti politique libanais. C’est la pointe de la lance chiite au Moyen-Orient arabe et il est apparu, dès le début de la guerre civile syrienne, que si son patron, Bashar el-Assad, tombait, la pointe de la lance pouvait être coupée de la hampe. La neutralité n’était pas une option. Mais le Hezbollah n’a jamais perdu de vue son véritable objectif – la destruction de l’Etat d’Israël. Il a donc cherché à de nombreuses reprises à utiliser la guerre à son avantage en, dans un premier temps, transférant des armes, puis en s’établissant sur le plateau du Golan. C’est un objectif stratégique de l’organisation ; un moyen de faire pression sur Israël, comme elle l’a fait depuis le Sud-Liban, sans que ses électeurs en paient le prix.
En ce jour de janvier, et probablement pendant de nombreux jours pendant les longues années de guerre en Syrie, Yaalon n’a, semblerait-il, pas cillé, protégeant les intérêts nationaux du pays d’une manière qui gardait le Hezbollah au large et Israël en dehors de la guerre. Il l’a fait en instaurant un système qui permet aux infirmiers et médecins de l’armée israélienne de soigner les Syriens blessés à la frontière et dans des hôpitaux israéliens, et de distribuer de la nourriture pour bébés et des couvertures [et de garantir la sécurité de la zone druze du Hermon]. C’est une goutte d’eau dans la mer, mais cela a permis à Israël de garder un peu de son humanité intacte alors que le carnage continue.
La politique de la ligne rouge fonctionne rarement. D’où la peur que les malins commandants du Hezbollah utiliseraient la politique israélienne pour pousser le pays dans une guerre où, comme lors de la guerre civile libanaise des années 1970 et 1980, aucun côté ne pourrait l’emporter.
La conduite de cette politique par Yaalon, ouverte et apparemment cohérente, à côté de ses liens avec ses amis-ennemis et ses ennemis-amis, a permis aux Israéliens habitant le plateau du Golan de continuer à vivre normalement, alors que les vents soufflant du cyclone de la guerre au nord-est aspiraient de plus en plus d’acteurs et déséquilibraient l’Union européenne, menaçant de mettre à mal ses principes – l’ouverture des frontières. Et pourtant Israël, une petite nation perchée dans l’œil du cyclone, demeure intacte. C’est une prouesse de suprême importance.
Le ministre de la Défense entrant, Avigdor Liberman, peut s’attendre à être testé, et tôt. Espérons, et même prions, qu’il sera capable de conduire le navire de l’Etat israélien avec le même élan.
Gaza
Sans revenir sur la totalité de la guerre de 50 jours, il paraît juste de dire que la plupart des Israéliens ont senti que, avec Netanyahu et Yaalon aux commandes pendant l’été 2014, ils étaient guidés par des chefs expérimentés et prudents, mais peut-être un peu trop circonspects. Le pire moment pour l’armée pendant la campagne, par exemple, fut la bataille de Chajaya. Pendant des années, le Hamas s’était préparé pour un assaut qui, aux premiers jours de la guerre, a eu lieu précisément de la manière prédite par l’organisation terroriste.
Plusieurs alternatives se présentaient alors. Liberman, qui critiquait les preneurs de décisions depuis le cabinet dans lequel il était lui-même assis, proposa de vaincre le Hamas. Cela aurait pris de nombreux mois : un combat maison par maison, avec un nombre de morts croissant des deux côtés et, à la fin, l’anarchie ou le retour de la présence israélienne dans l’enclave. Peut-être a-t-il dit cela parce qu’il pensait que ce serait un avantage électoral, ou peut-être pour semer le doute dans les rangs du Hamas, mais c’est une option à peine tenable à présent.
Au contraire, à la lumière de la seconde guerre du Liban et de Gaza en 2014 – deux guerres terminées par un match nul entre Israël et un ennemi beaucoup affaibli – le problème est la durée de la guerre, et de la période d’accalmie qui la suit. Le calme ultérieur est toujours en train d’être mesuré. La durée de la guerre, via des actions plus osées et moins anticipées, aurait pu être réduite, et devra l’être pendant le prochain, et malheureusement inévitable, conflit.
En cela, Liberman, en même temps qu’une litanie de potentiels résultats inquiétants de sa fonction, pourrait apporter quelque chose de nouveau. En tant que civil et peu familier de l’establishment du monde de la défense, il pourrait secouer une armée qui, en juin 1982, a marché sur Beyrouth en une semaine et qui, en août 2014, a lutté pour avancer plus d’un kilomètre en 50 jours.
Les missions étaient bien sûr différentes et ceci n’est absolument pas une approbation de l’entreprise libanaise – cette sorte d’escapade bancale que quelqu’un comme Yaalon n’aurait jamais soutenue – mais il n’y a aucun doute quant au fait que l’Armée de Terre pourrait utiliser une hausse des moyens et quelques coups d’éperon dans ses flancs.
Politique
Le moteur de la politique israélienne lors de sa création était le mouvement social-travailliste ; le kibboutz, l’idéal de société. La locomotive n’a plus de vapeur. Sa dernière occasion de se réjouir, comme l’un de mes amis l’a noté, était probablement le mouvement des Quatre Mères qui a incité le retrait du Liban.
Aujourd’hui, le moteur est la branche Gush Emunim du sionisme religieux, et Netanyahu l’a bien compris. C’est pourquoi lui, un Israélien laïc, est apparu derrière chaque mouvement de Naftali Bennett, leader du parti HaBayit HaYehudi, tailladant à gauche et à droite au premier signal de Bennett.
Yaalon est sorti des rangs : en premier avec sa décision d’envoyer un bataillon de la police des frontières à Yitzhar en avril 2014, fermant la yeshiva Od Yosef Hai et étouffant la hausse de crimes haineux provenant de là-bas. Et plus tard, quand il exécuta rapidement la décision de la Haute Cour de Justice en 2014 de raser les maisons Dreinoff à Beit El, même quand le membre du Parlement et du parti HaBayit HaYehudi, Moti Yogev, déclarait à Israel National News que la lame du D-9 – un bulldozer utilisé par l’armée – devrait être plutôt employée sur la Cour.
Puis sont arrivés la fusillade d’Hébron et le discours du chef d’état major-adjoint Yair Golan lors de la Journée internationale de commémoration des victimes de la Shoah, et il est apparu clairement que, bien que Yaalon soit un membre de la droite israélienne dans la mesure où il s’oppose actuellement aux concessions territoriales – et, contrairement à Netanyahu, il était prêt à payer pour ces croyances, Ariel Sharon ayant mis fin à sa fonction de chef d’état-major pour son opposition au retrait de la bande de Gaza – il n’est pas d’accord avec tout le programme.
Son idéologie de droite est seulement enracinée dans la sécurité, et le Likud, autrefois laïc, comme l’a noté Amit Segal dans l’édition de vendredi du journal religieux Makor Rishon, « est au sommet d’un processus pour devenir religieux ».
Dimanche, Yaalon a quitté le ministère de la Défense. Il prévoit de revenir de sa maison du désert et de détrôner Netanyahu. C’est une aspiration nourrie par de nombreux déçus et laïcs Jabotinsky-ites qui ne sont plus dans les bonnes grâces du parti. Les politiques comme Gideon Saar, Dan Meridor ou Moshe Kahlon.
Aucun d’entre eux n’a réussi. Mais aucun n’était général.
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