Autriche : L’ombre de l’extrême-droite sur une conférence sur l’antisémitisme
Israël a envoyé une délégation subalterne ; les organisateurs du plus grand rassemblement européen sur la haine anti-juive tentent de gérer le rôle du parti pour la Liberté

VIENNE (JTA) — Jusqu’au mois de décembre, le principal défi de Milli Segal en tant que productrice d’événements portant sur des thématiques juives en Autriche était d’équilibrer sa vie professionnelle avec son rôle de grand-mère juive de quatre petits-enfants.
En tant qu’organisatrice de projets prestigieux de commémoration de la Shoah, Segal, âgée de 63 ans, côtoie familièrement certains des plus importants politiciens du pays et s’appuie sur 20 années d’expérience acquise pour prévenir – ou résoudre – les complications.
L’année dernière encore, elle avait pris la tête des efforts de communication qui avaient entouré l’inauguration de monuments de commémoration à la gare ferroviaire d’Aspangbanhof et dans la station de métro de Herminengasse. Et ce, alors qu’elle même négociait la relocalisation d’un musée établi récemment par ses soins dans la capitale, consacré aux enfants survivants de l’Holocauste.
Mais Segal fait face à de nouveaux dilemmes depuis l’entrée au gouvernement autrichien du parti pour la Liberté d’extrême-droite au mois de décembre. Elle et une communauté qui a boycotté un parti fondé par d’anciens nazis dans les années 1950 doivent dorénavant travailler avec des ministères et des responsables qui se trouvent sous le contrôle de cette formation politique, ou qui travaillent en étroite collaboration avec cette dernière au gouvernement.
« Ce n’est pas aussi simple qu’auparavant, il faut user de beaucoup de diplomatie » maintenant que le parti pour la Liberté a fait son apparition au gouvernement, affirme Segal.
Son dernier défi s’est achevé la semaine dernière avec la conclusion d’une conférence sur l’antisémitisme de cinq jours, au cours de laquelle Segal a pris en charge les médias pour le Congrès juif européen et d’autres co-organisateurs.
Des ministres du gouvernement et certains des spécialistes les plus connus sur l’antisémitisme ont participé à un événement prestigieux qui a eu lieu à l’université de Vienne. Il a été organisé malgré le malaise initial ressenti par son organisation à l’idée de mettre en place un sommet sur l’antisémitisme sous les auspices du seul gouvernement européen dont la coalition au pouvoir comprend dorénavant une formation d’extrême-droite.
Le gouvernement autrichien est dirigé par le parti Populaire du chancelier Sebastian Kurz. Le parti pour la Liberté, qui a obtenu 25 % des votes lors des élections parlementaires du mois d’octobre, est son seul partenaire de coalition.
Tandis que le parti pour la Liberté faisait son entrée au gouvernement, les co-organisateurs de la conférence s’étaient interrogés, se demandant si l’Autriche était un pays-hôte approprié pour ce qui devait être l’un des plus grands événements universitaires en son genre en Europe au cours de ces dernières années.
« Nous nous sommes arrachés les cheveux », explique Dina Porat, historienne en chef au musée de la Shaoh de Yad Vashem à Jérusalem. « Bien sûr, nous avions nos doutes ».
Porat a décidé de rester co-organisatrice pour prendre position contre le parti pour la Liberté. De plus, dit-elle, changer le lieu de la conférence dans un délai si court aurait entraîné l’annulation de l’événement.
Le mois dernier, des responsables représentant la communauté juive d’Autriche ont boycotté la commémoration annuelle de la Shoah au Parlement en raison de la participation de responsables du parti pour la Liberté, que la communauté n’a pas été en mesure de bloquer.
Segal explique que d’autres complications viennent entraver les initiatives de commémoration de l’Holocauste en Autriche – un pays qui n’a accepté sa culpabilité dans les crimes commis pendant la Shoah que des décennies après l’Allemagne, sa partenaire dans l’horreur.
« J’organise une exposition de commémoration avec une importante entreprise », ajoute-t-elle. « J’ai dit à un responsable de cette compagnie que nous ne voulons aucun responsable du parti pour la Liberté lors de cet événement ».
Ce qui sera difficile, la formation politique dirigeant un ministère du gouvernement qui travaille étroitement avec cette entreprise.

La communauté juive autrichienne et ses représentants tentent d’éviter les événements auxquels le parti pour la Liberté est présent. Mais lorsque cela s’avère impossible, dit Segal, « nous ne serrerons certainement pas la main à un responsable du parti pour la Liberté ».
Aucun responsable de la formation d’extrême-droite n’a assisté à la conférence sur l’antisémitisme. Pourtant, l’ombre du parti était bien là.
Le président israélien, Reuven Rivlin, un critique brut et affirmé de la formation – un trait de caractère pourtant inhabituel chez lui – a décliné l’invitation pour la conférence, dont le principal intervenant a été Bernard-Henri Lévy, philosophe juif français.
Les représentants du ministère des Affaires étrangères israélien étaient des employés de l’ambassade – une délégation exceptionnellement subalterne – pour un événement qui a accueilli les discours d’un ministre du gouvernement et du chef de l’opposition en Autriche, ainsi que d’un certain nombre d’universitaires reconnus.
Au cours d’un discours prononcé par l’un de ces responsables, le ministre de l’Education Heinz Fassmann, des étudiants juifs ont brandi une bannière où était écrit « M. Kurz ! Votre gouvernement n’est pas casher ! » avant d’être expulsés de la salle.
Les organisateurs de la conférence avaient anticipé de telles perturbations, explique Porat.
« De plus, nous avons eu le sentiment que c’était le bon moment et le bon endroit pour organiser une conférence, très exactement à cause des aspects problématiques mêmes du parti de la Liberté », ajoute-t-elle.
Il y a presque 20 ans, au moins un groupe juif important avait décidé d’annuler un événement organisé en Autriche en raison du parti pour la Liberté. La conférence des rabbins européens devait se rencontrer à Vienne en l’an 2000 lorsque le parti pour la Liberté était entré dans la coalition au pouvoir pour la toute première fois.
« En signe de protestation, nous avions déplacé le sommet à Bratislava en Slovaquie », se souvient le rabbin Pinchas Goldschmidt, président de l’organisation.
Le parti pour la Liberté a été fondé en 1949 par un ancien soldat SS, Anton Reinthaller, et a changé son nom – en faveur de celui qu’il porte aujourd’hui – en 1956. Avant qu’il ne s’identifie comme une formation focalisée sur le blocage de la propagation de l’islam en Autriche, la rhétorique antisémite était la carte de visite et la devise politique du parti.

Ces dernières années, le parti pour la Liberté, placé sous la direction de Heinz-Christian Strache, a expulsé de ses rangs plusieurs membres qui utilisaient une rhétorique antisémite qui, avait dit le responsable, n’avait pas sa place dans le mouvement. Strache, qui a visité Israël, ainsi que d’autres responsables du parti se sont exprimés favorablement envers l’état juif. Il a déclaré au mois de décembre qu’il aurait aimé voir l’ambassade autrichienne relocalisée à Jérusalem – contre le positionnement adopté par l’Union européenne.
Mais les Juifs autrichiens et l’Etat d’Israël n’ont pas été convaincus par ces changements.
Mardi, Oskar Deutsch, président de la communauté juive de Vienne, a qualifié le parti pour la Liberté « d’entité qui tolère encore l’antisémitisme à un niveau alarmant ».
Il a cité une série d’incidents, notamment un article paru dans un journal affilié à la formation politique en 2016 qui prétendait que les survivants du camp de concentration nazi de Mauthausen étaient des « meurtriers de masse ».
Au mois de novembre, les députés issus du parti pour la Liberté ont refusé de se lever au parlement durant un moment de silence pour les victimes de la Shoah. Au début du mois, un ancien ministre régional du parti a démissionné suite à la révélation que sa fraternité universitaire avait publié des chansons antisémites. Ces chants ont poussé Strache à annoncer un réexamen interne de la formation.
Pour Segal, cette « capacité du parti pour la Liberté à tenir un double langage est peut-être ce qu’il y a de plus inquiétant », dit-elle à JTA. Le parti pour la Liberté qui est entré au gouvernement il y a presque vingt ans était « de loin moins dangereux que ce qu’il est devenu maintenant », ajoute-t-elle.
Considéré auparavant comme la maison politique des esprits impressionnables, sa pénétration des universités en a fait une formation d’idéologues ‘avec des niveaux universitaires avancés », dit Segal.