Aux États-Unis, Israéliens et Palestiniens liés par la violence s’accrochent à la paix
Les victimes des deux camps expliquent aux Américains comment la compréhension et la volonté permettront d'éviter aux générations futures de souffrir comme elles
NEW YORK – Dans une chambre d’hôtel sobre à Manhattan, Yonatan Zeigen et Arab Aramin, assis l’un à côté de l’autre, ont partagé les expériences traumatisantes qui les ont rapprochés.
Zeigen, qui est Israélien, raconte la dernière conversation téléphonique qu’il a eue avec sa mère, une militante pacifiste connue, et leur adieu, quand des terroristes du groupe palestinien du Hamas ont pénétré dans la maison de celle-ci. Aramin, un Palestinien, raconte le jour tragique où sa petite sœur a été tuée par un tir de balle en caoutchouc par la police des frontières israélienne.
Écoutant leurs récits respectifs, aucun des deux hommes n’a commenté les paroles de l’autre, se contentant de hocher la tête en signe de compréhension.
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Ils étaient aux États-Unis pour participer à une tournée de conférences avec le Parents Circle-Families Forum (PCFF), une organisation qui réunit environ 750 familles israéliennes et palestiniennes endeuillées par le conflit qui dure depuis des dizaines d’années.
Pendant leur séjour, accompagnés de Layla Alsheikh et Robi Damelin, également membres du PCFF, ils ont visité des sites emblématiques à New York et Boston, y compris une synagogue en banlieue du Massachusetts et un club de jazz de Brooklyn.
Le message de l’organisation est resté le même qu’avant le pogrom perpétré par le Hamas le 7 octobre dernier qui a embrasé le Moyen-Orient : pour parvenir à la paix, il faut commencer par faire preuve de compréhension.
« Aujourd’hui, le plus important est de garder notre sens de l’humanité. La paix est possible dès demain, si seulement il y a la volonté, » estime Zeigen lors d’un chat vidéo depuis sa chambre d’hôtel.
Le 7 octobre 2023, Zeigen est au téléphone avec sa mère Vivian Silver, une militante pacifiste bien connue qui vit au kibboutz Beeri. Au fur et à mesure que les nouvelles filtraient, il a réalisé que quelque chose de « très grave » était en train de se produire. Des terroristes du Hamas avaient infiltré le kibboutz.
Lorsqu’il est devenu évident que Silver ne s’en sortirait pas, Yonatan Zeigen et sa mère « se sont dit des mots d’amour », se souvient-il. « Et puis, ça s’est terminé. »
Silver est l’une des 101 civils et 31 membres du personnel de sécurité assassinés par le Hamas dans le kibboutz ce jour-là. Son assassinat a sorti Zeigen de ce qu’il décrit comme un « coma politique » et il est rapidement devenu l’une des 20 nouvelles familles qui ont rejoint le PCFF depuis l’attaque terroriste et la guerre qui s’en est suivie dans la bande de Gaza.
« Il y a deux aspects à notre perte. Avant tout, nous avons perdu des êtres chers, c’est donc très personnel. Mais ce n’est pas que personnel, car nous devons aussi prendre conscience du contexte dans lequel ils sont morts », a confié Zeigen au Times of Israel. « Ils ne sont pas morts dans un accident de voiture ; ils ont été tués de manière extrêmement violente. Chacun d’entre nous a payé un prix dans le conflit que personne d’autre ne devrait avoir à payer. »
Aramin et sa famille paient ce prix depuis le 16 janvier 2007, date à laquelle un agent de la police des frontières israélienne a abattu sa petite sœur Abir, une fillette de 10 ans et aux cheveux bruns, devant son école.
« J’avais 13 ans lorsqu’elle a été tuée. C’était ma meilleure amie. Elle était si intelligente. J’étais tellement en colère et il m’a fallu sept ans pour comprendre que la couleur de son sang était la même que la mienne », raconte Aramin en désignant Zeigen.
« Je ne savais pas qu’il y avait des êtres humains de l’autre côté. Je ne pensais pas qu’ils mouraient de l’autre côté. Mais j’ai voulu apprendre. Je pense que nous avons une grande responsabilité à assumer pour faire la paix, pour sortir de cette boîte noire dans laquelle nous nous sommes enfermés », a-t-il ajouté.
Aramin était bien placé pour le reconnaître. Son père Bassam, qui a passé des années dans une prison israélienne pour des crimes liés au terrorisme, était l’un des fondateurs de Combatants for Peace (Combattants pour la paix), réunissant Israéliens et Palestiniens qui, auparavant, ne se percevaient qu’à travers le prisme d’un conflit violent.
L’amitié entre Bassam Aramin et Rami Elhanan, un Israélien dont la fille Smadar a été tuée dans un attentat suicide en 1999, a inspiré le roman Apeirogon de l’écrivain irlando-américain Colum McCann, paru en 2020.
Le 18 septembre, McCann était le modérateur de « Bridging Divides – A Conversation with Parents Circle – Families Forum » (Combler les fossés – une conversation avec le Cercle des parents – Forum des familles) à l’Africa Center, un musée et centre culturel situé à East Harlem.
« Chaque personne ici présente emploie la puissance de son propre chagrin comme une arme pour éventuellement réparer ce monde brisé », a expliqué McCann à l’auditoire, soulignant le courage de chacune des quatre personnes pour avoir parlé si ouvertement de leurs expériences.
Si l’association est louée dans les milieux militant pour la paix, elle est loin d’être exempte de toute controverse. En Israël, elle a été interdite par le ministère de l’Éducation d’organiser des événements dans les écoles, car elle dévalorise les soldats de Tsahal et met sur le même pied les victimes du terrorisme israélien et les Palestiniens tués lors d’émeutes contre les forces israéliennes ou lors d’actes de violence contre des Israéliens. Du côté palestinien, les opposants au groupe affirment qu’il assimile les Palestiniens opprimés aux soldats israéliens.
La cérémonie annuelle du Yom HaZikaron, organisée par le PCFF et Combatants for Peace, attire régulièrement des milliers de participants, ainsi que des centaines de manifestants d’extrême droite.
La possibilité de se réunir dans la même pièce, voire côte à côte sur une scène devant une centaine d’inconnus, n’est pas une chose acquise pour les membres du PCFF.
Après la mort de sa sœur, Aramin a commencé à sécher les cours et à jeter des pierres sur les postes de contrôle. Quand son père s’en est rendu compte, il l’a confronté.
« Il m’a dit qu’il ne voulait pas que je sois emprisonné ou tué », raconte Aramin.
C’est alors qu’il a rejoint le PCFF et qu’il a entrepris de raconter son histoire et de partager ses espoirs pour l’avenir.
« Ce que je fais aujourd’hui, c’est en grande partie pour sauver mon fils demain », a-t-il expliqué. « Ce que je fais aujourd’hui, c’est aussi venger ma sœur ; c’est une vengeance non violente. »
L’idée de la vengeance sous forme de récit a résonné pour Alsheikh, une résidente de Bethléem qui a rejoint le PCFF en 2016, plus de dix ans après la mort de son enfant en bas âge en raison des restrictions de sécurité israéliennes.
En 2000, Alsheikh a passé cinq heures infernales à tenter de faire soigner son fils Qussay, âgé de 6 mois. Elle savait qu’il devait aller à l’hôpital, mais les soldats israéliens l’ont empêchée de quitter sa maison, qui se trouvait dans une zone interdite.
« Lorsque nous sommes finalement arrivés, le médecin nous a dit qu’il était trop tard. Je n’ai pas pu parler de sa mort pendant si longtemps. J’imagine encore à quoi il ressemblerait, ce qu’il étudierait, le travail qu’il ferait », a-t-elle confié.
Elle a éprouvé un sentiment de découragement, mais sans haine.
« Cela ne m’aurait pas ramené mon fils. Je veux la paix, je veux un meilleur avenir pour nous tous », a-t-elle affirmé.
En 2002, lorsque Damelin a appris qu’un terroriste palestinien avait tué son fils David, alors âgé de 28 ans, à un poste de contrôle en Cisjordanie, sa première réaction n’a pas été la colère, mais la crainte que ce meurtre n’engendre d’autres morts.
Lorsqu’ils sont venus me le dire, j’ai dit « vous ne pouvez pas tuer quelqu’un au nom de mon enfant », se souvient-elle.
Peu après, Damelin s’est retrouvée attablée dans une cuisine de Jérusalem-Est, à regarder des mères palestiniennes dans les yeux et à réaliser que nous partagions toutes la même douleur, dit-elle
Les quatre orateurs ont expliqué que si le fait de ressasser l’histoire de la mort violente d’un être cher peut être traumatisant, il y a aussi un aspect thérapeutique à cela.
« C’est un acte d’extériorisation lorsque je raconte une histoire encore et encore. Nous la transformons de quelque chose de brut en quelque chose de substantiel. Cela me permet également de prendre ma mère dans mes bras, de donner un sens à sa mort insensée et qui aurait pu être évitée », a expliqué Zeigen.
À la fin de la soirée, chacun des quatre intervenants a exhorté le public à ne pas réduire le conflit, qui dure depuis des dizaines d’années, à des notions binaires et simplistes. Depuis le 7 octobre, les partisans d’Israël et leurs homologues palestiniens ont tendance à se replier sur leur propre idéologie, les confrontations sur les universités et dans les rues aux États-Unis et ailleurs sont toujours plus tendues.
« Nous ne voulons pas vous voir importer notre conflit dans votre pays », a lancé Aramin à la foule. « Vous avez plus qu’assez de conflits dans votre pays. »
Avec la poursuite de la guerre à Gaza, la montée de l’antisémitisme dans le monde et le risque d’une guerre plus large avec le Hezbollah, la paix n’a jamais semblé aussi incertaine, ont-ils tous les quatre convenu.
Mais c’est pour ces raisons précises, ont-ils insisté, qu’il n’a jamais été aussi important de s’engager les uns avec les autres, de favoriser l’empathie et de résister au désespoir.
» Si je désespérais, je serais chez moi en train de tricoter des pulls », a dit Damelin.
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