Avec le limogeage de Bar, des Israéliens de droite se joignent aux manifestations contre Netanyahu
La mobilisation massive est le reflet de la crainte de l'ensemble du spectre politique quant à la menace pour la démocratie que font peser les mesures prises par le gouvernement

JTA — Ohad a rejoint la manifestation organisée sur la place Habima à Tel Aviv samedi soir. Mais on peut dire, sans risquer de se tromper, qu’il ne partageait pas les avis et opinions de plusieurs dizaines de milliers d’autres personnes qui manifestaient à ses côtés.
Contrairement aux politiciens centristes et de gauche qui ont fait la une du rassemblement, et à de nombreux participants, Ohad, qui a refusé de décliner son patronyme, est un électeur conservateur convaincu – et a systématiquement donné sa voix aux partis de droite alignés avec le Premier ministre Benjamin Netanyahu.
Et même si des vagues de protestations de masse ont traversé Israël ces dernières années, Ohad a déclaré qu’il n’avait pas assisté à une manifestation depuis 2011, lorsque les Israéliens s’étaient rassemblés pour s’opposer à la hausse du coût de la vie.
Pourtant cette semaine, il a décidé de descendre dans la rue. Depuis les atrocités commises par le Hamas le 7 octobre 2023, il a passé près d’un an de sa vie en tant que réserviste. Il a laissé derrière lui sa femme enceinte et deux jeunes enfants. De retour chez lui, il a été choqué par les récentes images de la police utilisant la violence et l’eau nauséabonde contre les personnes qui manifestaient contre Netanyahu. Les images de policiers brisant les vitres des voitures des manifestants ont été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
« Cela m’a brisé. Cela m’a vraiment mis en colère », a-t-il déclaré. « Ce n’est pas pour cela que nous nous battons. J’ai bien peur que nous soyons très loin de la démocratie maintenant. »
Samedi soir, il faisait partie des 200 000 Israéliens qui se sont rassemblés, pour ce qui a été l’une des plus grandes manifestations depuis l’attaque du 7 octobre. La foule protestait contre la reprise de la guerre à Gaza, appelait à la libération des otages toujours captifs et dénonçait les efforts de Netanyahu pour destituer de hauts responsables du gouvernement.
Les manifestations qui se sont multipliées au cours de la semaine dernière ne montrent aucun signe de répit et s’inscrivent dans un contexte politique israélien en proie à de nombreuses controverses : Netanyahu a mis fin la semaine dernière au cessez-le-feu avec le Hamas après deux mois, et Israël a intensifié ses combats dans cette région.
Netanyahu a également limogé Ronen Bar, le chef des services de renseignement du Shin Bet, invoquant une perte de confiance en lui. Ce limogeage intervient alors que le Shin Bet enquête sur le bureau de Netanyahu pour des liens illicites avec le Qatar, et vendredi, la Cour suprême d’Israël a gelé le licenciement. Parallèlement, le gouvernement prend des mesures pour destituer la procureure générale Gali Baharav-Miara, que Netanyahu considère comme une ennemie.
Ces décisions ont ouvert la voie à une crise constitutionnelle. Les manifestants les considèrent comme une violation de la volonté populaire qui mettra en danger les 59 otages restants – dont 24 seraient encore en vie – ainsi que la démocratie israélienne.
« Pourquoi est-il plus urgent de tenir une réunion d’urgence pour se débarrasser de Ronen Bar que de sauver les otages ? », a déclaré Vered, une autre manifestante qui n’a pas donné son nom de famille. « Ils volent le pays et le détruisent ensuite sous nos yeux. »
Les manifestations font suite aux rassemblements hebdomadaires qui ont eu lieu pendant une grande partie de la guerre, aux cours desquels les participants appelaient le gouvernement à faire davantage pour libérer les otages. Mais alors que beaucoup de ces manifestations ont attiré relativement peu de monde – laissant de grandes parties de la place Habima vides – les rassemblements de samedi étaient beaucoup plus fréquentés.

Si la manifestation de Tel Aviv a été plus importante, celles de Jérusalem, près de la résidence officielle de Netanyahu, ont également été soutenues. Samedi soir, Miriam Lapid, ancienne dirigeante des implantations devenue un symbole du traumatisme national en 1994 lorsque son mari et son fils ont été assassinés en Cisjordanie par un terroriste du Hamas, figurait parmi les orateurs.
Présentée comme une « extrémiste de droite idéologiquement convaincue », Miriam Lapid a exhorté les haredim à se joindre aux manifestations. « Je veux voir tout le monde aux manifestations », a-t-elle déclaré. « Ce n’est pas une bataille entre la droite et la gauche, c’est vrai. Quelqu’un vous induit en erreur. »
Les seules manifestations récentes à avoir attiré des foules plus importantes que celles de ce week-end ont été celles de 2023, avant le 7 octobre, contre les efforts de Netanyahu pour affaiblir le système judiciaire. Après l’attaque du Hamas, ces manifestations et les groupes qui les soutiennent ont rapidement changé de cap pour défendre les otages.
Les dirigeants travaillistes et les leaders du secteur des technologies ont menacé de paralyser l’économie israélienne si Netanyahu désobéissait à la Cour suprême. Samedi, le leader centriste de l’opposition Yair Lapid et Yair Golan, qui dirige un parti de gauche et qui a été plaqué au sol lors d’une récente manifestation à Jérusalem, se sont tous deux adressés à la foule réunie sur la place Habima. Un grand écran affichait le message : « Arrêtez la dictature maniaque ».
Sur l’estrade, Lapid a déclaré : « Nous sommes ici pour dire à Ronen Bar, vous n’êtes pas seul. Nous sommes ici pour dire à Baharav-Miara, vous n’êtes pas seule. » À un autre moment, il a déclaré que « Netanyahu fait ouvertement tout ce qu’il peut pour déclencher une guerre civile ». Il a appelé à une « révolte fiscale » et exhorté les citoyens à résister aux actions du gouvernement.
Cette déclaration a été faite après que Netanyahu eut tweeté la veille : « Il n’y aura pas de guerre civile ! L’État d’Israël est un pays de droit et, conformément à la loi, le gouvernement israélien décide qui dirigera le Shin Bet. »

Le tweet de Netanyahu n’a pas rassuré Ohad.
« Je ne suis pas du tout sûr que nous ne nous dirigeons pas vers une guerre civile », a-t-il déclaré. « Peut-être que nous sommes déjà en guerre. Aucun coup de feu n’a encore été tiré, mais ce n’est qu’une question de temps. Peut-être qu’il y aura un assassinat politique, qui sait ? »
Vered n’était pas d’accord pour dire que la guerre civile était imminente, car « des choses bien pires nous arrivent de l’extérieur ».

Yael, une militante anti-guerre portant une casquette rouge inspirée du mouvement américain MAGA sur laquelle on pouvait lire « End this fuc*!ng war », a déclaré qu’elle était déçue que les appels à mettre fin à la guerre n’aient pas été plus explicites lors du rassemblement à Tel Aviv.
« Pour moi, la guerre est le premier drapeau qui relie tout : les otages, la démocratie, la réforme judiciaire, tout. Elle affecte toute la société, elle nous change pour le pire », a-t-elle déclaré. « Et le gouvernement utilise la guerre pour contrôler tout le monde. »
Lors d’une autre manifestation organisée non loin de là, sur la place des Otages, les appels à l’arrêt des combats à Gaza et à la libération des otages ont occupé le devant de la scène. Les gens se sont mis sur le côté pour laisser passer Keith Siegel et sa femme Aviva, deux ex-otages israélo-américains.
« C’est très émouvant de les voir, eux et d’autres otages libérés », a déclaré Debbie Amichai, venue de Herzliya, une banlieue de Tel-Aviv, pour participer à la manifestation. « Mais leur tristesse et leur colère étaient absolument palpables. Le sentiment que personne ne les écoutait. C’était si urgent, si douloureux et si tragique. Cela vous rendait en colère et triste à la fois. C’était tout simplement extrêmement triste, extrêmement frustrant, extrêmement rageant. »
Vendredi, des dizaines d’otages libérés et leurs familles ont signé une lettre ouverte appelant à l’arrêt de la guerre afin que les otages restants puissent être sauvés.
« Arrêtez les combats, revenez à la table des négociations et concluez un accord qui permettra de ramener le reste des otages », peut-on lire dans la lettre. « Même si cela signifie mettre fin à la guerre. La pression militaire les met en danger et rien n’est plus urgent que le retour de tous les otages. »

Le spectre du 7 octobre a éclipsé les manifestations. Certains manifestants portaient une banderole sur laquelle on pouvait lire : « Ronen Bar, nous sommes avec vous et nous vous protégerons ». Pourtant, parmi les manifestants, les opinions sur Bar étaient partagées. Vered le soutient pour avoir négocié des accords visant à libérer de nombreux otages, tandis que d’autres le tiennent responsable de l’attaque du 7 octobre.
Yoni, qui a voyagé depuis Yehud, dans le centre d’Israël et a participé à des manifestations dans les grandes villes ces dernières semaines, a déclaré que s’il était venu pour « montrer son soutien à la Cour suprême et à la procureure générale » et s’opposer avec véhémence au licenciement de Bar, il pensait toujours que Bar devait quitter son poste.
« Il est coupable de ce qui s’est passé le 7 octobre et il doit partir. Mais Netanyahu aussi », a déclaré Yoni. « Où avez-vous déjà entendu parler de quelqu’un qui fait l’objet d’une enquête et qui licencie son enquêteur ? »
Comme Ohad, Yoni s’est identifié comme étant de droite, « encore plus à droite que Bibi ». Mais il a soutenu que s’il voulait voir le Hamas vaincu, le retour des otages était prioritaire. « Nous ne pouvons pas penser à écraser le Hamas tant que les otages ne sont pas rentrés chez eux. »
Ben Rigler, qui avait déjà participé à des manifestations contre la réforme judiciaire mais qui s’était tenu à l’écart depuis le 7 octobre, a déclaré que son sentiment d’urgence s’était accru récemment.
« J’ai réalisé que je n’avais pas le choix », a-t-il déclaré. « Notre démocratie est en train de mourir. C’est la dernière minute avant que nous ne devenions une dictature. »

Sur la rue Begin, Ori Tsarfati a également déclaré qu’il manifestait pour « garantir un Israël démocratique et libéral ». Il s’inquiète de la restructuration des institutions étatiques par le gouvernement pour maintenir Netanyahu au pouvoir.
« Je ne sais pas quelle est leur vision, mais il est clair que ce ne sera pas un État fondé sur la Déclaration d’indépendance », a-t-il déclaré.
Certains manifestants ont demandé l’intervention des États-Unis. Yoni a déclaré qu’il pensait que le président américain Donald Trump était la seule personne capable de faire pression sur Netanyahu. (L’administration Trump a lancé sa propre initiative pour restreindre le pouvoir judiciaire américain.)
« C’est Trump, et non Netanyahu, qui a permis la conclusion de l’accord sur les otages. Il a court-circuité Bibi et a pris toutes les décisions », a-t-il déclaré, faisant référence au début du cessez-le-feu en janvier, qui a permis la libération de dizaines d’otages et que de nombreux observateurs attribuent en partie à Trump.
« Il peut faire la même chose maintenant en disant à Bibi : « Que faites-vous ? Le public n’est pas avec vous ».
« Je comprends que Trump hésite à s’impliquer, mais malheureusement, il n’y a pas le choix », a-t-il ajouté.
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