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Avec un ‘réformateur’ non réformateur et un décideur suprême, l’Iran fausse la démocratie

Des débats télévisés féroces ? 'Modérés' contre 'conservateurs' ? Ne vous y trompez pas. L'élection présidentielle de vendredi est un spectacle de relations publiques proposé à l'opinion nationale et internationale, chorégraphié pour montrer une liberté ostensible et un soutien élargi à ce qui reste d'un régime hautement oppressif

Le président iranien, Hassan Rouhani, pendant une conférence de presse à Shanghai, le 22 mai 2014. (Crédit : AFP/Mark Ralston)
Le président iranien, Hassan Rouhani, pendant une conférence de presse à Shanghai, le 22 mai 2014. (Crédit : AFP/Mark Ralston)

Le régime iranien et ses lobbyistes dans le monde entier sont désireux de créer l’impression que les élections présidentielles du pays, le 19 mai, seront l’apogée d’un processus démocratique. Mais – pour emprunter un terme populaire aux Etats-Unis ces derniers temps – tout, ici, est affaire de fake news.

Les Iraniens ont été encouragés à aller voter de manière à ce que la république islamique puisse présenter un taux de participation robuste qui serait l’indication de la liberté dont jouissent les citoyens et d’un signe de soutien élargi de la part de l’opinion publique aux autorités. Ils sont appelés à voter « pour le bien du pays » et « au nom de l’islam ».

Le chef suprême, l’Ayatollah Khamenei, l’a dit à sa manière, affirmant que « tout vote dans le scrutin présidentiel est un vote en faveur du système au pouvoir ». Plus il y aura de votants, et mieux ce sera.

Toutefois, les élections au sein de la république islamique d’Iran sont loin d’être libres et démocratiques. Le Conseil des gardiens a examiné des centaines de dossiers de candidatures et n’a approuvé que quelques candidats qui se sont lancés dans la course à la présidence.

Le Conseil est constitué de six personnalités religieuses, expertes en droit islamique, et de six juristes spécialisés dans des domaines variés du droit civil. Les douze hommes ont été choisis et nommés, soit directement, soit indirectement, par le Chef suprême lui-même.

Peu importe le nombre de voix qui s’exprimeront pour les candidats à la présidentielle : le vainqueur aura été essentiellement sélectionné par l’ayatollah.

Cette combinaison de photos créée le 21 avril 2017 montre les principaux candidats en lice pour les élections présidentielles en Iran. En haut et de gauche à droite, le chef du conseil central du parti de la coalition islamique et ancien ministre de la Culture Mostafa Mirsalim, le 11 avril 2017 ; l'ancien ministre iranien Mostafa Hashemitaba enregistrant sa candidature le 13 avril 2017, le premier vice-président iranien, Eshaq Jahangiri s'exprimant pendant une conférence sur les investissements dans le secteur du tourisme au Centre international de conférences de Téhéran, le 2 octobre 2016, (En bas, de gauche à droite) le religieux iranien et chez de la fondation caritative Imam Reza , Ebrahim Raisi, en train de prononcer un discours après avoir enregistré sa candidature pour les élections présidentielles à Téhéran le 14 avril 2017, Mohammad Bagher Ghalibaf, maire de Téhéran, qui montre son doigt taché d'encore après avoir fait enregistrer sa candidature au ministère de l'Intérieur à Téhéran, le 14 avril 2017, et le président iranien Hassan Rouhani donnant une conférence de presse à Téhéran, le 10 avril 2017 (Crédit :ATTA KENARE AND STR/AFP))
Cette combinaison de photos créée le 21 avril 2017 montre les principaux candidats en lice pour les élections présidentielles en Iran. En haut et de gauche à droite, le chef du conseil central du parti de la coalition islamique et ancien ministre de la Culture Mostafa Mirsalim, le 11 avril 2017 ; l’ancien ministre iranien Mostafa Hashemitaba enregistrant sa candidature le 13 avril 2017, le premier vice-président iranien, Eshaq Jahangiri s’exprimant pendant une conférence sur les investissements dans le secteur du tourisme au Centre international de conférences de Téhéran, le 2 octobre 2016, (En bas, de gauche à droite) le religieux iranien de la fondation caritative Imam Reza , Ebrahim Raisi, en train de prononcer un discours après avoir enregistré sa candidature pour les élections présidentielles à Téhéran le 14 avril 2017, Mohammad Bagher Ghalibaf, maire de Téhéran, qui montre son doigt taché d’encre après avoir fait enregistrer sa candidature au ministère de l’Intérieur à Téhéran, le 14 avril 2017, et le président iranien Hassan Rouhani donnant une conférence de presse à Téhéran, le 10 avril 2017 (Crédit :ATTA KENARE AND STR/AFP))

Afin de parvenir à vendre au monde l’idée que la république islamique est désireuse de présenter un caractère démocratique, le régime a mis en place une campagne présidentielle souhaitant épouser le style occidental et minutieusement contrôlée : Les candidats ont participé à des débats télévisés en direct et ont été autorisés à critiquer le gouvernement actuel, leurs adversaires à la présidence et à s’opposer aux factions politiques – à l’exception bien sûr du chef suprême lui-même.

Les candidats ont été libres de promettre les réformes que les jeunes voudraient voir réalisées, même si elles contredisent les lois et les régulations actuelles.

Le régime veut amener la population et les jeunes en particulier à s’impliquer, pour les faire venir dans les bureaux de vote. Et lorsque les électeurs prendront place dans de longues files d’attente pour jeter leurs bulletins dans les urnes, le régime pourra alors diffuser ces images de participation massive à l’attention de l’opinion publique nationale et internationale.

Un exemple de cette façade démocratique qui a attiré les regards dans le monde entier: au début du mois de mai le président Hassan Rouhani a accusé le corps des puissants gardiens de la révolution de tenter de torpiller l’accord sur le nucléaire baptisé JCPOA qui a été conclu avec six puissances mondiales. « Nous avons vu comment ils ont écrit des slogans [anti-israéliens] sur les missiles et la manière dont ils ont montré des villes souterraines de [missiles] pour perturber le JCPOA, » a-t-il déclaré.

Ces propos auraient pu être tenus par un candidat réformateur – dans son cas, c’est lui qui est actuellement le responsable en exercice – prônant la vérité face à ses puissants seigneurs. Mais il ne s’agissait en fait que du dernier chapitre mineur d’un conflit que le régime lui a permis tranquillement de mettre en scène depuis des années.

Partisans du président iranien Hassan Rouhani, candidat à sa succession, à Téhéran, le 4 mai 2017. (Crédit : Atta Kenare/AFP)
Partisans du président iranien Hassan Rouhani, candidat à sa succession, à Téhéran, le 4 mai 2017. (Crédit : Atta Kenare/AFP)

Le corps des gardiens de la révolution islamique (IRG) n’est pas particulièrement populaire dans les rues iraniennes. Les attaques rhétoriques à son encontre ont toujours été autorisées – et elles ont toujours fait partie du discours réformateur, en particulier durant la saison électorale. La critique ostensiblement audacieuse formulée par Rouhani a été probablement davantage remarquée à l’étranger que dans le pays – il façonne une image à l’international de prétendu modéré et donc, par extension, aide le régime qui l’a installé.

En fait, il s’avère que Rouhani n’est pas le moins du monde troublé par les programmes de missiles mis en place par l’IRGC ou par son hostilité envers Israël, mais bien plus par ses relations publiques.

Au cours des trois dernières années, le même président Rouhani a doublé le budget de l’IRGC. Son propre adjoint, Eshagh Jahangiri, autre candidat « réformateur » dans le vote du 19 mai, a publiquement confirmé que la branche commerciale de l’IRGC – qui contrôle de vastes industries en Iran – n’a pas l’autorisation de lancer quelque projet que ce soit sans une approbation venue d’en haut.

Les candidats à la présidence iranienne, de gauche à droite, Hassan Rouhani, Mohammad Baqer Qalibaf, Eshaq Jahangiri et Ebrahim Raisi lors d'un débat télévisé en direct sur la chaîne d"'état à Téhéran, le 28 avril 2017 (Crédit : Jamejamonline/Mehdi Dehghan/AFP)
Les candidats à la présidence iranienne, de gauche à droite, Hassan Rouhani, Mohammad Baqer Qalibaf, Eshaq Jahangiri et Ebrahim Raisi lors d’un débat télévisé en direct sur la chaîne d’état à Téhéran, le 28 avril 2017 (Crédit : Jamejamonline/Mehdi Dehghan/AFP)

Et tandis que Rouhani a critiqué l’IRGC pour les inscriptions réclamant la destruction d’Israël sur ses missiles, Téhéran n’a en rien changé son rejet de l’existence d’Israël au cours de son mandat. Sa rhétorique agressive, son soutien pratique et verbal aux groupes terroristes qui ont juré de faire disparaître Israël, et les rassemblements et parades organisés pour diaboliser et menacer « l’entité sioniste » ont continué sans interruption depuis que « l’extrémiste » Mahmoud Ahmadinejad a été remplacé par le soi-disant modéré Rouhani.

Jouer la carte réformatrice

Et que dire des réformes dans le pays qui avaient été au coeur de la campagne présidentielle de Rouhani en 2013 ? Quatre ans plus tard, les violations des droits de l’Homme ont proliféré et elles ont même augmenté, dont l’arrestation de journalistes, de militants des droits civils et des minorités ethniques ou religieuses. Sa « charte des droits des citoyens », qui avait été promise il y a quatre ans et qui a été signée l’année dernière, n’est contraignante pour aucun responsable politique et n’a pas de force légale. Il semble l’avoir oubliée.

Dans son rapport annuel de 2014, le secrétaire-général de l’ONU de l’époque, Ban Ki-moon, avait noté que « malheureusement, aucune des promesses faites par le président Rouhani pour améliorer les libertés d’expression et de la presse n’a été tenue et les pressions sur la liberté d’expression continuent à impacter de nombreux aspects de l’existence ».

Le rapport du secrétaire-général en 2017 fait également état d’une « inquiétude au sujet des restrictions continues des libertés publiques et des persécutions associées à l’égard des acteurs de la société civile, ainsi que de la persistance de discriminations à l’encontre des femmes et des minorités, et des conditions de détention ».

Sous Rouhani, l’Iran a également connu une hausse des exécutions commandées par le régime. Exprimant son désarroi, Ahmad Shaheed, rapporteur spécial de l’ONU sur la question des droits de l’Homme en Iran, avait indiqué en 2014 qu’il « n’arrivait pas à comprendre comment un président réformateur peut être en place tout en assistant à une hausse aussi importante des exécutions. Le gouvernement n’a pas encore donné d’explications – celles que je voudrais entendre ».

Son rapport en 2017 a établi une baisse du nombre des exécutions mais a également noté que le secrétaire-général « reste profondément troublé face au nombre continu et important des exécutions, notamment de jeunes ».

La majorité des journalistes iraniens, à l’intérieur de l’Iran et à l’étranger, dont ceux qui travaillent pour les agences de presse internationales, sympathisent et s’identifient avec le camp soi-disant réformateur. Ce qui donne aux réformateurs un avantage en termes d’exposition médiatique et une couverture à l’international qui est généralement positive. Les médias font souvent le portrait d’un Rouhani qui serait « opprimé » ou « victime » des partisans de la ligne dure, soucieux de saboter ses efforts éclairés.

De manière assez ironique, ce narratif lui a offert, à lui et son camp, une crédibilité et une marge de manoeuvre au niveau politique qui ont permis d’éviter de tenir les promesses de réformes sociales – en particulier en ce qui concerne les libertés des médias.

Hassan Rouhani, président iranien, au centre, devant le parlement avant la proposition de budget annuel à Téhéran, le 17 janvier 2016. (Crédit : Atta Kenare/AFP)
Hassan Rouhani, président iranien, au centre, devant le parlement avant la proposition de budget annuel à Téhéran, le 17 janvier 2016. (Crédit : Atta Kenare/AFP)

Le régime de la république islamique a bénéficié de manière significative, que ce soit aux niveaux mondial ou national, de l’élection de Rouhani.

Aux niveaux international et régional, l’Iran a conclu un accord avec l’Occident, a vu la levée d’une partie des sanctions internationales (en particulier en ce qui concerne l’Europe), a amélioré ses relations avec la Russie, a renforcé sa position régionale et augmenté ses interventions en Syrie, en Irak et au Yémen. Son isolement politique passé est pratiquement de l’histoire ancienne.

Le ministre des affaires étrangères iranien Mohammad Javad Zarif, au centre, salue la foule alors que le comité de négociation de l'accord sur le nucléaire artrive à Téhéran, le 3 avril 2015, quelques heures après l'annonce des ingrédients d'un accord historique sur le nucléaire avec les puissances mondiales (Crédit : Borna Ghasemi/AFP/ISNA)
Le ministre des affaires étrangères iranien Mohammad Javad Zarif, au centre, salue la foule alors que le comité de négociation de l’accord sur le nucléaire arrive à Téhéran, le 3 avril 2015, quelques heures après l’annonce des ingrédients d’un accord historique sur le nucléaire avec les puissances mondiales (Crédit : Borna Ghasemi/AFP/ISNA)

Au niveau national, Rouhani a largement réussi à créer l’impression que l’économie s’améliore également et que les réformes, même avec du retard, sont en cours malgré l’opposition obstinée des partisans de la ligne dure. Cette impression a aidé à réduire les tensions avec une génération plus jeune d’Iraniens et donc à éviter des vagues de protestations majeures, comme celles qui étaient survenues en 2009, en dépit des larges frustrations face aux restrictions qui sont ressenties par les Iraniens. Il n’y a pas eu de critiques exprimées par les jeunes Iraniens au sujet de Rouhani dans les journées qui mènent aux élections de vendredi.

Pour toutes ces raisons, le régime de Téhéran a probablement conclu qu’il serait mieux servi par un nouveau mandat de Rouhani que par une volte-face vers un camp plus explicitement conservateur. L’un des deux autres candidats à la présidence issu du camp soi-disant réformateur — Mostafa Hashemi-Taba — a fait part de son soutien à Rouhani qui, très probablement, sera « réélu ».

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