Ben Gvir est un pyromane – mais c’est Netanyahu qui lui a donné les allumettes
Le Premier ministre aurait simplement pu dire au leader d'extrême-droite qu'une visite sur le mont du Temple nuisait aux intérêts d'Israël. Voici pourquoi il ne l'a pas fait
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
Itamar Ben Gvir a toujours été un provocateur. Il a passé des décennies à semer le trouble – exhibant en 1995 l’insigne qu’il avait volé sur la Cadillac de feu le Premier ministre Yitzhak Rabin, brandissant son arme à feu lors d’une confrontation avec les Arabes de Jérusalem-Est il y a seulement trois mois, sans compter ses innombrables provocations démagogiques, ses dizaines de mises en examen et ses condamnations pour des délits liés aux incitations à la haine et au racisme.
Mais aujourd’hui, le voilà devenu, par la grâce du Premier ministre Benjamin Netanyahu, une personnalité de premier plan du gouvernement d’Israël, un membre du prestigieux cabinet de sécurité de l’État juif, le cabinet impliqué dans toutes les décisions sécuritaires, et un ministre disposant d’un pouvoir sans précédent sur la police de la nation.
Et mardi, cet homme dangereux est allé marcher pendant 13 minutes sur le mont du Temple – officiellement pour dénoncer ce qui s’apparente, selon lui, au « racisme » qui sévit sur le lieu saint – selon lequel les Juifs deviennent des citoyens de seconde classe sur le site le plus saint de notre foi.
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Un argument est particulièrement repris par ceux qui réclament un plus grand accès et le droit à la prière des Juifs sur le site où étaient bâtis autrefois les Temples bibliques. Cet argument met en cause le ministre de la Défense Moshe Dayan et son choix de ne pas faire appliquer pleinement la souveraineté d’Israël sur le Mont du Temple après sa capture stupéfiante en 1967, disant qu’il a aidé à faciliter un mensonge à forte résonance, celui que les Juifs n’entretiennent aucun lien avec leur foyer ancestral – parce que très certainement, si le mont du Temple était historiquement le nôtre, qu’il était religieusement le nôtre, alors nous ne l’aurions pas rendu.
Dayan, de toute évidence, avait pensé autrement. Profondément soucieux d’éviter un conflit frontal avec le monde musulman dans son ensemble, et utilisant l’argument halakhique qui déclare que les Juifs ne doivent pas poser le pied sur le mont du Temple par crainte de profaner la terre sacrée où le temple et le saint des saints se dressaient autrefois, il avait permis au Waqf musulman, en Jordanie, de continuer à administrer les lieux sacrés du complexe.
Netanyahu a toujours indiqué avec sagesse qu’il partageait l’analyse qui avait été faite par Dayan. Par exemple, dans un discours prononcé au mois de mars 2020, il avait averti que permettre la prière juive sur le mont du Temple – ce que demande Ben Gvir depuis très longtemps – « mettra le feu au Moyen-Orient… et dressera contre nous des millions de musulmans. »
Ainsi, la visite de Ben Gvir – et l’interview arrogante et ambigüe, caractéristique du député d’extrême-droite, qu’il a accordée quelques heures plus tard à la Douzième chaîne où il a refusé de dire s’il tenterait dorénavant de pousser Netanyahu, depuis le poste ministériel dont il est si fier, à autoriser la prière juive – cette visite, donc, n’a pas eu lieu dans un contexte de gouvernance raisonnable. Elle n’est pas entrée dans le cadre d’une initiative stratégique orchestrée par le Premier ministre, après une minutieuse réflexion à la table de la coalition.
Non, elle a été davantage un acte de provocation, l’acte d’un pyromane, tout à fait à l’image du personnage.
Et pourtant, Netanyahu a autorisé cela.
Qui est à la barre ?
Le parti du Premier ministre, le Likud, a souligné avec énergie, depuis cette visite, que le déplacement de Ben Gvir sur le mont du Temple n’indiquait en rien un changement du statu-quo. Les Juifs ont le droit de se rendre sur le mont – et c’est ce qu’a fait Ben Gvir, a noté le parti. Il n’y a pas prié. D’anciens ministres de la police sont, eux aussi, allés sur le mont du Temple dans le passé, a fait remarquer la formation.
Mais ce raisonnement est fallacieux. Ben Gvir n’est pas un ministre de la police ordinaire. C’est un perturbateur qui n’a cessé d’agiter le chiffon rouge et qui a longtemps appelé, par exemple, à expulser les citoyens arabes d’Israël, avant de dire que cette demande ne concernait plus que les citoyens arabes ayant fait preuve de « déloyauté » à l’égard de l’État juif.
Netanyahu, inutile de le dire, aurait pu le sommer de ne pas y aller. Parce que – et il savait très bien que ce serait le cas – la visite de Ben Gvir a entraîné la colère à l’international, avec des conséquences qui auront un impact direct sur les priorités mêmes que Netanyahu a donné à son nouveau gouvernement.
Soudainement, cette visite a compliqué les relations d’Israël avec ses nouveaux alliés des Accords d’Abraham – ces liens dont Netanyahu s’enorgueillit tellement et à juste titre d’avoir établis – et elle a aussi compliqué ses relations avec ses partenaires de paix de longue date, l’Égypte et la Jordanie. Tous ont fait part de leur mécontentement.
Autre conséquence, le report apparent du tout premier déplacement – longtemps ajourné – de Netanyahu aux Émirats arabes unis, qui était prévu la semaine prochaine.
L’initiative de Ben Gvir a aussi entraîné les condamnations de l’Arabie saoudite, partenaire potentiel de paix si recherché par Israël dont l’amitié nouvelle, selon Netanyahu, représenterait un « bond en avant » pour l’État juif.
Et elle a aussi créé des tensions dans les relations entretenues par Israël avec son premier allié, les États-Unis, très précisément au moment où Netanyahu cherche à conserver les Américains à ses côtés alors qu’il s’apprête à se lancer dans ce qu’il a établi comme sa première mission, jeudi dernier, dans son discours prononcé lors de la présentation de son gouvernement à l’approbation de la Knesset – stopper la marche de l’Iran vers l’arme atomique.
Alors pourquoi Netanyahu n’a-t-il pas dit à Ben Gvir de ne pas aller sur le mont du Temple – pourquoi ne lui a-t-il pas dit que le moment était mal choisi et qu’une telle initiative allait à l’encontre des intérêts plus larges d’Israël ?
La réponse, une réponse insuffisante, insatisfaisante et en deux parties, est la même que celle à apporter à la question suivante : Pourquoi Netanyahu a-t-il nommé Ben Gvir, après avoir déclaré de façon très avisée, il y a moins de deux ans, que ce dernier « n’avait pas les aptitudes nécessaires » pour entrer au gouvernement ? Finalement, Netanyahu, ayant éloigné de lui tous ses autres partenaires potentiels, n’avait aucun autre choix, pour revenir au pouvoir, que d’accepter le soutien de Ben Gvir, celui des autres partis d’extrême-droite et celui des ultra-orthodoxes. Et il ne peut pas se payer le luxe de perdre leur soutien, en particulier s’il espère pouvoir s’extraire de son procès pour corruption.
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Ainsi, Itamar Ben Gvir a pu provoquer le monde arabe et la communauté internationale, pour le plus grand plaisir des ennemis d’Israël. Et Netanyahu, qui avait promis il y a encore un mois dans une interview accordée à une chaîne américaine qu’il aurait « les deux mains sur la barre » de la coalition malgré les autres partis qui le constituent et leurs agendas extrémistes, apporte la preuve qu’il n’ose tout simplement pas les retenir.
« Sauvegarder la démocratie israélienne »
Autre fait qui a bien moins mobilisé les gros titres et la communauté internationale, mais qui est pourtant d’une importance déterminante pour le bien-être futur du pays : Netanyahu a aussi nommé Yariv Levin au poste de ministre de la Justice. Allié du Likud, Levin a élaboré depuis longtemps des plans visant à neutraliser la Haute-cour – en y plaçant des juges considérés comme plus acceptables par la droite politique et en réduisant la capacité des juges à rejeter les lois et les décisions gouvernementales discriminatoires et non-démocratiques.
Ce processus de « restauration de l’équilibre approprié entre la législature, l’exécutif et le système judiciaire » – c’est un euphémisme – dans les directives du gouvernement (un processus qui a été défini comme une priorité dans les accords de coalition variés entre partis) pourrait bien être lancé dans les jours à venir, la Haute cour consacrant une audience, jeudi, aux requêtes qui ont été déposées pour dénoncer la nomination d’Aryeh Deri aux postes de ministre de l’Intérieur, de la Santé et de vice-Premier ministre.
Au vu de la condamnation pour fraude fiscale et de la négociation de peine obtenue par le récidiviste Deri, il y a moins d’un an, sur une base mensongère, celle qu’il s’éloignerait de la sphère publique – cet accord avait été validé et accepté par la Cour des magistrats de Jérusalem – c’est une nomination ministérielle que la Procureure-générale considère légalement comme « déraisonnable » et donc comme non-défendable. Le panel élargi de onze juges qui a participé à l’audience, jeudi matin, pourrait bien conclure qu’elle a raison, ce qui entraînerait une collision immédiate entre le tribunal et la coalition.
Netanyahu, dans le passé, était un soutien déclaré de l’indépendance du tribunal qu’il s’engageait à faire respecter, et il soutenait également le principe de la séparation sensible des pouvoirs – bien conscient que sans les juges pour contenir une coalition au pouvoir puissante, Israël ne disposait d’aucun frein pour éviter les éventuels excès d’une majorité politique, que le pays n’avait aucun autre moyen de se prémunir contre une possible dérive vers l’autoritarisme.
Aujourd’hui, malgré tout, Netanyahu a à l’évidence le sentiment qu’il doit paralyser la Cour qui ne manquera pas de rejeter, de manière intenable, les initiatives législatives discriminatoires et anti-démocratiques variées que s’apprêtent à prendre ses partenaires – avec notamment une exemption encore élargie du service militaire pour la communauté ultra-orthodoxe qui ne cesse de croître ; la légalisation d’implantations construites sur des terres privées palestiniennes ou des discriminations officialisées au sens propre par le biais d’une loi qui permettra aux fournisseurs de service de refuser ces mêmes services sur la base de leurs convictions religieuses. Et avec potentiellement aussi des lois et des amendements qui seront appliqués de façon rétroactive, et qui annuleront les accusations criminelles lancées contre Netanyahu ou/et qui accorderont à un Premier ministre l’immunité face aux poursuites.
Mais qu’avons-nous fait ?
En seulement quelques jours, Netanyahu, qui avait promis de freiner les extrémistes au sein de la coalition, a donné des allumettes à Itamar Ben Gvir, le pyromane, en lui permettant de s’aventurer sur le mont du Temple, au potentiel ultra-incendiaire.
Et le même Netanyahu, l’homme qui avait promis dans des interviews récentes à la télévision israélienne qu’il allait « sauvegarder la démocratie israélienne », a installé un ministre de la Justice qui s’est donné pour mission de la détruire.
Dimanche soir, la Treizième chaîne israélienne a publié son premier sondage depuis l’investiture par Netanyahu de son gouvernement, jeudi dernier. Selon ses résultats – qui ne doivent pas être pris plus au sérieux que les autres enquêtes d’opinion qui ont été réalisées au fil des années en Israël – le bloc de Netanyahu perdait sa majorité si un scrutin devait avoir lieu aujourd’hui.
Et une deuxième étude, publiée mercredi par l’Institut israélien de la Démocratie, semble toutefois confirmer cette tendance. Elle établit qu’une majorité des Israéliens estiment que Netanyahu a mal géré les négociations en faisant des concessions excessives à ses alliés d’extrême-droite et ultra-orthodoxes.
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David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel