Biomed Israel : Les start-ups médicales discutent des défis à relever pour réussir
Le secteur des sciences de la vie et de la technologie est confronté à des temps plus difficiles en raison de l'incertitude économique mondiale et de la crise politique intérieure
La récession économique mondiale et les troubles politiques internes d’Israël ont fait hésiter les investisseurs à financer les entreprises technologiques locales. Cela n’a toutefois pas empêché des milliers de chefs d’entreprise de 45 pays de participer à la conférence Biomed Israel 2023, qui s’est tenue pendant trois jours cette semaine à Tel Aviv, dans le but de découvrir ce que les scientifiques, les ingénieurs et les médecins israéliens ont à offrir.
Malgré l’enthousiasme évident pour la force d’innovation des start-ups israéliennes dans les domaines du diagnostic, des dispositifs médicaux, de la biotechnologie et de la santé numérique, les participants ont beaucoup discuté des défis auxquels les entreprises israéliennes sont confrontées pour commercialiser avec succès leurs technologies révolutionnaires. Relativement peu d’entre elles ont encore trouvé la recette secrète pour amener leurs produits sur le marché et, in fine, jusqu’aux patients. Il est peu probable que ce défi devienne plus facile à relever étant donné les tendances actuelles à la baisse des investissements.
« L’innovation progresse, mais l’accès [aux patients] ne rattrape pas le retard », a déclaré Ajay Dhankhar, directeur-général du groupe de santé de la société de gestion d’actifs Lazard, lors d’une présentation.
Pour certaines jeunes entreprises israéliennes du secteur de la santé, les problèmes surviennent au cours de la phase de recherche et de développement, qui dure plusieurs années et qui est onéreuse.
Ron Lahav, directeur exécutif de la recherche et du développement à l’Institut national de biotechnologie du Néguev, a déclaré au Times of Israel qu’un grand nombre d’entreprises se retrouvent dans la « vallée de la mort », comme nous l’appelons, en utilisant la métaphore de l’industrie pour désigner le retard, voire l’arrêt du développement en raison d’un manque de financement et de soutien.
Pour d’autres entreprises, les difficultés surviennent plus tard, lorsqu’elles ne parviennent pas à trouver une voie commerciale claire. Certains de ces obstacles sont communs aux start-ups d’autres pays, mais d’autres sont le résultat de l’écosystème et de l’approche de l’innovation propres à Israël.
« L’une des lacunes que je ressens au sein de l’industrie israélienne est que nous disposons d’une excellente science et d’une culture opérationnelle très forte, ce qui nous permet de développer des produits rapidement », a déclaré Ofer Sharon, PDG d’OncoHost, au Times of Israel.
« Mais lorsqu’il s’agit de commercialiser ces technologies, de les apporter aux patients et de se hisser au-dessus des autres en définissant la proposition de valeur clinique, nous ne sommes pas aussi forts », a-t-il expliqué.
« Nous ne sommes pas très doués pour mener à bien les processus réglementaires requis, ainsi que les processus de remboursement permettant de mettre ces technologies à la disposition des patients qui n’en ont pas les moyens. Il faut aussi éduquer le marché et convaincre les praticiens de l’efficacité de l’utilisation des produits », a-t-il ajouté.
L’entreprise de Sharon, OncoHost, a réussi à obtenir une certaine traction. Fondée en 2017, elle développe des stratégies personnalisées pour maximiser le succès des thérapies anticancéreuses en utilisant des analyses protéomiques exclusives.
Le premier jour de la conférence, Sharon a co-présidé une session axée sur l’oncologie de précision intitulée « Pouvons-nous diagnostiquer avec succès et guider le traitement optimal des patients contre le cancer. » Il a invité une poignée d’autres entreprises à des stades plus avancés à partager leurs technologies et leurs expériences en matière de commercialisation. Il a également invité des représentants des géants de l’oncologie de précision Guardant Health et Johnson & Johnson à parler de ce qu’ils recherchent dans les start-ups avec lesquelles ils décident de s’associer.
Plusieurs intervenants, dont Dean Bitan, co-fondateur et PDG d’Imagene, ont souligné l’importance de convaincre les médecins de la proposition de valeur clinique du produit d’une entreprise. Dans le cas d’Imagene, il s’agit d’une technologie qui tire parti de l’intelligence artificielle (IA) pour établir en quelques minutes le profil d’un large éventail de biomarqueurs à partir d’une image de pathologie H&E (la coloration la plus répandue).
« Il est très important de gagner la confiance des médecins », a déclaré Bitan.
Aharona Shuali, vice-présidente de la division médicale de Nucleix, qui a récemment reçu l’approbation de la Food and Drug Administration (FDA) pour une technologie capable de détecter les récidives du cancer de la vessie, a parlé de la nécessité de réfléchir intelligemment à la manière d’atteindre le marché.
« Ce n’est pas seulement une question de science. Il faut disposer de la logistique nécessaire au déploiement. Par exemple, nous pouvons utiliser des laboratoires PCR, et nous pouvons tirer parti du fait qu’il en existe un grand nombre aujourd’hui grâce aux tests COVID », a-t-elle déclaré.
Avi Viedman, PDG de Nucleai, une société qui apporte la biologie spatiale alimentée par l’IA à la médecine de précision, a indiqué que sa société a pris la décision de passer de la clinique à la pharmacie parce que la première ne présentait pas un modèle d’affaires durable.
« Nous travaillions avec des laboratoires, mais nous n’étions pas payés. C’est pourquoi nous avons décidé de travailler avec les entreprises pharmaceutiques. Il faut bien que quelqu’un paie pour la technologie », a-t-il expliqué.
À la fin de son exposé, Viedman a résumé le thème récurrent en projetant une vidéo humoristique mais pertinente. On y voit deux combattants d’arts martiaux mixtes sur un ring. L’un d’eux danse sur le ring comme un grand, en faisant une série de mouvements sophistiqués – que Viedman a qualifiés de « R&D » et « d’elevator pitch » – argumentaire éclair. Mais c’est alors que l’autre combattant, appelé « le marché », qui n’avait pas bougé, arrive et élimine le « crâneur » d’un seul coup.
Hannah McEwen, responsable des sciences de l’ingénieur à la Johnson & Johnson Lung Cancer Initiative, a parlé de l’innovation avec des partenaires stratégiques pour répondre à des besoins non satisfaits. Les start-ups avec lesquelles son entreprise travaille doivent répondre à quatre critères. Elles doivent disposer d’équipes performantes et d’une science et d’une technologie excellentes – ce qui est généralement le cas des entreprises israéliennes – mais elles doivent également répondre à un besoin clinique non satisfait et une solide opportunité de marché doit être identifiée.
Sharon a suggéré qu’il était temps de commencer à penser à un paradigme différent. Presque toutes les jeunes entreprises israéliennes s’associent à de grandes sociétés internationales pour commercialiser leurs produits. Sharon souhaiterait que les start-ups conservent leur propriété intellectuelle et deviennent de grandes sociétés ici en Israël.
« Le fait de s’associer à de grandes entreprises internationales pour commercialiser nos technologies crée un cercle vicieux. Cela ne crée pas un secteur stable d’entreprises durables sur la durée et ne crée pas de postes de travail pour des employés autres que ceux qui ont des diplômes supérieurs en physique quantique », a déclaré Sharon.
« Nous sommes en quelque sorte coincés. C’est la raison pour laquelle vous ne voyez pas de grandes entreprises pharmaceutiques autres que Teva sortir d’Israël. Nous n’éduquons pas la nouvelle génération et nous n’introduisons pas dans le pays les connaissances et les capacités nécessaires au développement de l’industrie », a-t-il ajouté.
Sharon a prévenu que cet échec empêchait Israël d’accéder au capital humain et de s’étendre à d’autres pays.
« Nous ne pouvons pas nous reposer sur nos lauriers. Jusqu’à présent, Israël a conservé un avantage scientifique, mais d’autres pays le rattrapent. Si nous ne sommes pas capables de passer de la science au marché, nous prendrons du retard à tous les égards », a-t-il déclaré.
Dr. Sigal Meilin est responsable scientifique chez MD Biosciences, un organisme de recherche sous contrat (ORC) dans le domaine de la neurologie. Elle reconnaît aussi que les Israéliens, forts de leur sens de l’innovation et de la collaboration, ont encore du chemin à faire pour adopter la mentalité nécessaire à la lenteur du processus de commercialisation.
« Le développement d’un médicament doit passer par des processus réglementaires obligatoires. Nous n’avons tout simplement pas la vision nécessaire pour avancer étape par étape. Les Israéliens sont toujours à la recherche de la grande sortie et veulent passer à la prochaine chose excitante », a-t-elle déclaré.
Dr. Meilin a constaté qu’un changement s’était amorcé au cours des dix dernières années. « Il y a des progrès, mais à mon avis, c’est trop peu et trop lent », a-t-elle ajouté.