Canada : un nouveau guide contre l’antisémitisme ne plaît pas aux pro-Palestiniens
Le guide du gouvernement se base sur la définition opérationnelle de l'antisémitisme donnée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste
Une polémique a émergé après que le gouvernement canadien a rendu public un nouveau guide contre l’antisémitisme basé sur la définition opérationnelle donnée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA).
La définition de l’antisémitisme de l’IHRA tient compte des formes contemporaines que prend la haine des Juifs et s’inscrit donc dans le contexte actuel de recrudescence généralisée de l’antisémitisme au Canada, comme aux États-Unis et en Europe, depuis le massacre du 7 octobre 2023 perpétré par le Hamas en Israël et la guerre a Gaza s’en est suivie.
Mais cette définition fait l’objet d’un débat, notamment parce qu’elle inclut des exemples concrets d’actes antisémites parmi lesquels « le traitement inégalitaire de l’État d’Israël, à qui l’on demande d’adopter des comportements qui ne sont ni attendus ni exigés de tout autre État démocratique » qui, pour beaucoup, empêche la critique légitime de la politique israélienne en la catégorisant comme de l’antisémitisme.
Le fait que le gouvernement canadien ait choisi d’utiliser la définition de l’IHRA comme base de sa lutte contre l’antisémitisme a fait réagir de nombreux acteurs politiques et de la société civile qui estiment que la critique d’Israël sera désormais muselée, selon le journal Le Devoir.
C’est le cas de Michael Bueckert, le vice-président de Canadiens pour la justice et la paix au Moyen-Orient (CJPMO) qui, interrogé par le journal, estime que « cela établit une limite selon laquelle certaines critiques envers Israël sont acceptables, mais introduit ensuite une zone floue, où ces critiques pourraient être perçues comme injustes ou discriminatoires ».
« Israël est le seul pays qui maintient une occupation illégale depuis 56 ans et le seul pays qui se livre actuellement à des actions génocidaires au Moyen-Orient. Comment peut-on le critiquer de la même manière que l’on critique d’autres pays ? » accuse-t-il.
Le guide publié par les autorités du pays est pourtant clair : le « traitement inégalitaire » réservé à Israël qui entre dans la définition de l’antisémitisme consiste en « des critiques disproportionnées, parfois obsessives, à l’endroit d’Israël par rapport à d’autres pays ».
D’autres opinions, qui ont abondamment été exprimées par les militants pro-palestiniens et les milieux antisémites depuis un an, sont considérées selon ce guide comme antisémites. Il s’agit en particulier de la comparaison « entre la politique israélienne contemporaine et celle des Nazis » et le « refus du droit à l’autodétermination des Juifs », dont la définition de l’IHRA précise qu’il peut s’exprimer par l’affirmation que
« l’existence de l’État d’Israël est le fruit d’une entreprise raciste ».
L’envoyée spéciale canadienne pour la préservation de la mémoire de l’Holocauste et la lutte contre l’antisémitisme, Deborah Lyons, estime de son côté que « ce sentiment extrême selon lequel cela va limiter la liberté d’expression est une réaction qui n’est vraiment pas basée sur une compréhension complète de la définition ».
D’autant que le guide en question n’a pas de valeur juridique au sens strict. Il est présenté par le gouvernement comme un ensemble de
« recommandations pratiques » aux acteurs de divers domaines, tels que les établissements scolaires, les milieux de travail et le système judiciaire.
Michael Bueckert, qui estime qu’il s’agit d’un guide « pro-censure », enfonce le clou : « Je pense que nous assisterons à de nombreux cas où des personnes seront visées par des enquêtes, suspendues ou licenciées, et où des organisations se verront priver de financement en raison de plaintes concernant leurs discours sur Israël, basées sur ce manuel ».
Le CJPMO a rassemblé dimanche dernier plus 14 250 signatures sur une lettre adressée au gouvernement fédéral pour réclamer le retrait du guide publié.
Il demande également le retrait de Deborah Lyons de ses fonctions d’envoyée spéciale du Canada pour la préservation de la mémoire de l’Holocauste et la lutte contre l’antisémitisme, l’accusant notamment d’avoir diffusé « des affirmations fausses et malveillantes sur les militants pro-palestiniens ».
Un autre détracteur du nouveau guide parle d’un « risque de l’instrumentalisation de cette définition, menaçant ainsi la liberté d’expression et l’échange constructif d’idées ». Dans un communiqué publié sur son site samedi 2 novembre dernier, le Nouveau Parti démocratique (NPD) explique que si « l’antisémitisme est un mal à combattre résolument », le gouvernement ne doit pas prendre le risque d’affaiblir « même involontairement, les valeurs de liberté d’expression et les efforts contre d’autres formes de haine, y compris le racisme anti-palestinien ».
Le parti considère que l’adoption d’une telle définition de l’antisémitisme sert à « réduire au silence des critiques légitimes à l’égard des institutions étatiques [israéliennes] et de leurs actions ».
Le 4 novembre, l’organisation Bnai Brith Canada a à son tour publié un communiqué sur son site, en réponse à celui du Nouveau Parti démocratique.
Son directeur des relations gouvernementales, David Granovsky, explique
« qu’en accusant l’IHRA ‘d’instrumentaliser’ l’antisémitisme, le NPD sape notre capacité collective à protéger les Canadiens juifs contre la haine et dénature l’objectif de l’IHRA ».
« L’accusation selon laquelle l’IHRA limite la liberté d’expression n’est pas fondée et dénature l’intention de cette définition », précise-t-il.
En conséquence, Bnai Brith « exhorte le NPD et tous les dirigeants politiques canadiens à soutenir l’IHRA en tant que norme canadienne de lutte contre l’antisémitisme ».
En mai dernier, Bnai Brith Canada recensait 5 791 actes de violence, de harcèlement et de vandalisme visant des Juifs en 2023, soit plus du double du total enregistré en 2022.
Depuis, la situation ne s’est pas arrangée puisque des actes antisémites font régulièrement la une des journaux, sur fond de guerre au Proche-Orient.
La guerre à Gaza a éclaté lorsque le Hamas a envoyé 3 000 terroristes armés en Israël, le 7 octobre, pour mener une attaque brutale au cours de laquelle ils ont tué près de 1 200 personnes. Les terroristes ont également pris en otage 251 personnes, pour la plupart des civils, et les ont emmenées à Gaza. Israël a réagi en lançant une campagne militaire dont l’objectif vise à détruire le Hamas, à l’écarter du pouvoir à Gaza et à libérer les otages.
Le ministère de la santé de Gaza, contrôlé par le Hamas, affirme que plus de 41 000 personnes ont été tuées ou sont présumées mortes dans les combats jusqu’à présent. Ce bilan, qui ne peut être vérifié et qui ne fait pas la distinction entre terroristes et civils, inclut les quelque 17 000 terroristes qu’Israël affirme avoir tués au combat et les civils tués par les centaines de roquettes tirées par les groupes terroristes qui retombent à l’intérieur de la bande de Gaza.
Le Hamas est accusé de gonfler le nombre des victimes civiles et d’y inclure les Palestiniens tués par les roquettes tirées par les factions terroristes qui retombent dans la bande. Le Hamas ne fait pas non plus de distinction, dans ce bilan, entre les civils et les terroristes.
On estime que 97 des 251 otages enlevés par le Hamas le 7 octobre se trouvent toujours à Gaza. 105 civils ont été libérés au cours d’une trêve d’une semaine à la fin du mois de novembre, et quatre otages ont été remis en liberté avant la trêve. Huit otages, dont une soldate, ont été secourus vivants par les forces israéliennes, et les corps de 37 otages ont également été récupérés, dont au moins trois ont été tués par erreur par l’armée lors d’un incident tragique en décembre.