Cannes : Marco Bellochio et l’enfant juif volé sur ordre du pape
Marco Bellochio rouvre une page sombre de l'antisémitisme de l'Eglise avec un film sur l'enlèvement d'un enfant juif de Bologne, sur ordre du pape antisémite Pie IX
Spielberg s’est intéressé à l’affaire, c’est finalement Marco Bellochio qui en fait un film : l’Italien rouvre une page sombre de l’antisémitisme de l’Eglise avec un film en compétition à Cannes sur l’enlèvement d’un enfant juif de Bologne, sur ordre papal.
« L’enlèvement » revient sur l’affaire Edgardo Mortara, né au milieu du XIXe siècle dans une famille de la communauté juive de Bologne.
Cet enfant a été baptisé en secret par une domestique, puis soutiré en 1858, à l’âge de sept ans, à ses parents. Un rapt sur ordre des autorités du pape antisémite et obscurantiste Pie IX, pour être éduqué dans la religion catholique à Rome.
Après les Brigades rouges, encore récemment dans la mini-série « Esterno Notte », ou la lutte anti-mafia (« Le traître »), Bellochio se penche cette fois sur une affaire qui a défrayé la chronique en son temps, puis est tombée dans un relatif oubli.
« C’est un épisode important de l’histoire italienne car c’est l’un des tout derniers enlèvements opérés au nom de l’Eglise en Italie », à l’époque où le pape était également roi et le pays en train de s’unifier, retrace Marco Bellochio, dont le film dénonce à la fois le dogme et le prosélytisme.
« Les forces libérales, progressistes, ont interprété cet événement comme barbare, et ce petit fait a suscité un grand scandale dans le monde entier », poursuit le cinéaste sélectionné plus d’une dizaine de fois à Cannes et qui fut membre du jury en 2007.
https://youtu.be/mMuqhIEc7bk
Sous forme de fresque historique, le film retrace le combat de la famille Mortara contre les forces de l’Eglise pour récupérer le petit Edgardo, jusqu’à un procès intenté par les nouvelles autorités laïques à l’ancien inquisiteur de la ville, maitre d’œuvre de l’enlèvement.
A l’enjeu politique s’ajoute une dimension intime, dans une famille percutée par l’histoire de l’Italie en train de s’écrire, à l’époque du Risorgimento, l’unification du pays.
Edgardo, lui-même, semble pris dans un « syndrome de Stockholm » : écartelé entre la fidélité à sa famille et au catholicisme. Il deviendra prêtre, ne quittera jamais les ordres et tentera jusqu’au bout de convertir sa mère.
L’histoire, qui montre aussi l’antisémitisme du pape Pie IX, a intéressé Steven Spielberg, le réalisateur de « La Liste de Schindler », qui envisageait de faire tourner Mark Rylance dans le rôle du pape.
Marco Bellochio relève d’ailleurs que dans le dernier Spielberg, « The Fabelmans« , très autobiographique, celui-ci met en scène un adolescent juif harcelé par ses camarades qui l’accusent d’avoir « tué le Christ ».
Une attaque antisémite classique, qui a inspiré à Bellochio – éduqué dans le catholicisme avant de s’en émanciper – l’une des séquences les plus fortes de « l’Enlèvement », où l’on voit Edgardo retirer les clous des mains et pieds d’un Jésus sur la croix.
Le réalisateur de 83 ans, l’un des plus grands noms du cinéma italien contemporain, s’est inlassablement attaqué aux institutions et à l’Eglise, pilier de la société italienne, notamment en 2002 avec « Le sourire de ma mère », présenté à Cannes.
« Parle de l’Eglise catholique était plus difficile dans les années 1950 ou 1960, quand la démocratie chrétienne avait un important pouvoir, fort et rigide », et il régnait alors « une sorte de censure préventive », explique-t-il. Aujourd’hui, « le pouvoir de l’Eglise s’est réduit énormément, il est dans une phase de recul, du moins dans la société civile ».
Interrogé par l’AFP sur les résonances entre le rapt raconté dans le film, et ceux d’enfants ukrainiens en Russie depuis l’invasion, Bellochio souligne avoir été « très frappé », même s’il a imaginé « L’enlèvement » bien avant cette guerre. « C’est soit de la politique, soit la religion, mais, dans les deux cas, il y a une violence objective ».
Le film sort le 25 octobre en France.