Israël en guerre - Jour 433

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Les femmes faisaient ce qu’elles avaient à faire pour survivre. A chaque fois que j’ai interrogé une femme, elle commençait par répondre : 'c’était compliqué'

Ces Parisiennes qui ont « fait ce qu’elles devaient faire » pour survivre pendant la Seconde Guerre mondiale

L’écrivain Anne Sebba retrace le parcours des femmes pendant la guerre en France à travers une série de portraits dans son nouveau livre Les Parisiennes

Geneviève de Gaulle (la nièce de Charles de Gaulle) et Odette Fabius (au centre), amies depuis leur incarcération au camp de concentration nazi de Ravensbrück, après la remise de la Légion d'Honneur à Odette Fabius en 1971. (Crédit : autorisation)
Geneviève de Gaulle (la nièce de Charles de Gaulle) et Odette Fabius (au centre), amies depuis leur incarcération au camp de concentration nazi de Ravensbrück, après la remise de la Légion d'Honneur à Odette Fabius en 1971. (Crédit : autorisation)

LONDRES – « Ne vous inquiétez pas » dit le fourreur Abraham Reiman à ses filles Madeleine, 11 ans et Arlette, 9 ans. « Ne vous inquiétez pas, c’est là la terre de la liberté, celle de Voltaire et de Rousseau. »

Nous sommes en juillet 1942, l’une des périodes les plus sombres pour les Juifs de France.

Arlette Reiman, sa sœur et sa mère Malka se sont retrouvées enfermées, parmi 13 000 juifs dont 4000 enfants, au tristement célèbre Vélodrome parisien, le Vel d’Hiv, pendant deux longues journées, encadrées par la police française.

Plus de 70 ans après, Arlette raconte à nouveau ces sentiments de peur et angoisse éprouvés par toutes les familles présentes dans ce stade.

« La puanteur était épouvantable, inimaginable. Vous pouviez à peine respirer. Il n’y avait rien à boire ni à manger… Je me suis accrochée à ma mère, et lui demandais, en colère : ‘Où est Zola maintenant ? Et Rousseau ?’ Je croyais qu’il s’agissait d’amis de mon père et qu’ils viendraient nous chercher et nous aider. Mais les adultes m’avaient menti. Et c’est tout ce que j’avais en tête alors », raconte Arlette.

Le témoignage d’Arlette Raiman, aujourd’hui Arlette Testyler, n’est qu’un parmi tant d’autres histoires d’agonies, principalement de juifs. Il est rapporté dans un nouveau livre remarquable, Les Parisiennes, écrit par la journaliste et historienne Anne Sebba. Il contribue à reconstituer l’histoire de cette période de guerre en France et plus particulièrement à Paris, l’un de ces moments où les femmes ont joué un rôle capital comme elles ne l’avaient jamais fait avant.

« Paris était une ville féminine », raconte Sebba. Ses hommes avaient été appelés ou emprisonnés ou encore tués lors de la défaite de la France en 1940.

Les seuls hommes qui restaient à Paris étaient trop jeunes ou trop âgés pour servir dans l’armée, ou étaient des occupants allemands.

Anne Sebba, auteur des Parisiennes, publié par les éditions Orion Books. (Crédit : autorisation)
Anne Sebba, auteur des Parisiennes, publié par les éditions Orion Books. (Crédit : autorisation)

Alors ces femmes, comme le démontre Sebba dans une recherche méticuleuse à travers ces portraits, se sont retrouvées confrontées à des choix complexes.

« Les femmes faisaient ce qu’elles avaient à faire pour survivre. A chaque fois que j’ai interrogé une femme, elle commençait par répondre : ‘c’était compliqué’ », raconte Sebba.

Les choix en question allaient de la pleine collaboration, suite à quoi virent le jour entre 100 000 et 200 000 enfants, tous nés de ces histoires d’amour illicites, jusqu’aux petits compromis, comme acheter à manger au marché noir pour les enfants, dit Sebba.

Certains actes étaient réellement héroïques, comme les actions des femmes de Paris et celles de la brigade des Opérations spéciales, parachutées en France depuis la Grande-Bretagne, par le biais de missions extrêmement périlleuses qui se terminaient la plupart du temps par la captivité, la torture et la mort.

Il y a eu par ailleurs des choix à faire beaucoup plus difficiles comme par exemple, ceux auxquels Rosa Liwarek, aujourd’hui Lady Lipworth, qui vit à Londres, s’est confrontée. Sa mère a trouvé la mort en lui donnant le jour en 1933. Alors âgée de 10 ans, elle et ses sœurs ainées, enfants cachées dont le père avait été arrêté, ont été placées dans une famille catholique très croyante. Elles ont été converties au catholicisme et baptisées. Beaucoup de femmes à l’époque avaient dû faire ce choix impossible de se séparer de leurs enfants en les envoyant dans des familles, désespérées mais pensant leur sauver la vie.

Le livre précédent de Sebba, une histoire vraie, Cette femme : La vie de Wallis Simpson, Duchesse de Windsor, publié en 2011, avait alors éveillé la curiosité de l’auteur sur le fait que pendant la guerre, beaucoup de Parisiennes, Simpson comprise bien évidemment, n’avaient jamais cessé d’être passionnées par la mode et les bijoux.

Le mariage d'Odette et Robert Fabius, en 1929. (Crédit : autorisation)
Le mariage d’Odette et Robert Fabius, en 1929. (Crédit : autorisation)

Quand Sebba a commencé ses recherches, elle a découvert que plusieurs boutiques de bijoutiers de luxe comme Boucheron avaient été dirigés par des femmes, les hommes ayant été déportés ou arrêtés.

L’histoire de la prestigieuse maison, Van Cleef & Arpels est une pitoyable fable emplie de vanité et de désillusion. Rennée Puissant, fille de parents juifs Alfred van Cleef et Esther Arpels, se retrouva sous le régime nazi de Vichy dans le sud de la France pour y tenir la boutique Van Cleef & Arpels pour finir par se défenestrer du haut du 3è étage, lorsqu’elle apprit qu’elle aussi, en tant que Juive et d’après la loi en vigueur elle devrait porter l’étoile jaune. Aucun contact haut-placés de sa famille n’a réussi à la sauver.

Pas plus que les contacts haut-placés n’ont réussi à épargner l’aristocrate Elizabeth de Rothschild, qui bien qu’originaire d’une vieille famille catholique, ne s’étant jamais convertie au judaïsme même au moment de son mariage avec Philippe de Rothschild et qui termina sa vie dans le célèbre camp de concentration Ravensbrück.

Selon la résistante Odette Fabius, une vieille connaissance d’avant-guerre d’Elizabeth, « elle était à genoux à Ravensbrück, répétant et protestant à tout va qu’elle n’était pas juive même si son ex-mari l’était. »

Elle a été , d’après Sebba, le seul membre de la famille Rothschild à être exécutée pendant l’Holocauste.

« Jusqu’à ce que les nazis viennent la chercher le matin de son arrestation, sa vie coulait paisiblement comme sur de la soie et un tapis de roses »
Philippe de Rothschild, à propos de son ex-femme

Philippe, après avoir appris la manière dont elle termina sa vie par les femmes libérées de Ravensbrück, a eu ce commentaire : « pauvre jolie femme, jusqu’à ce que les nazis viennent la chercher le matin de son arrestation, sa vie coulait paisiblement comme sur de la soie et un tapis de roses. »

Les Parisiennes étaient créatives, a estimé Sebba. Elle écrit que beaucoup d’entre elles avaient leur propre tailleur leur cousant des copies de tenues de haute-couture.

L’un d’entre eux était celui d’Elizabeth Meynard, 21 ans. Son couturier juif polonais préféré lui avait cousu, au noir et bien payé, un tailleur en flanelle brun-chocolat. Peut-être bien que ce fut son allure élégante et à la mode qui attira alors le regard du grand et beau Ivan du Maurier, un sergent de l’Armée Britannique qui entra dans Paris à la Libération. Six mois après, le couple se mariait.

Du Maurier, né Jan Hoch et se surnommant lui-même capitaine Robert Maxwell, MC était un juif tchèque qui avait perdu quasiment toute sa famille dans les camps. Il devint plus tard un magnat de la presse mondialement connu puis fut membre du Parlement anglais, terminant sa vie dans des circonstances mystérieuses en 1991. Elizabeth, décédée en France en 2013, devint elle une experte de l’Holocauste.

Le mariage d'Elizabeth et Robert Maxwell. (Crédit : autorisation)
Le mariage d’Elizabeth et Robert Maxwell. (Crédit : autorisation)

Dans un autre registre, loin des frivolités de la mode, de l’art et de la musique, et il y eut beaucoup d’artistes qui collaborèrent avec les Nazis, Sebba découvrit « le côté terriblement sombre » de cette période de guerre à Paris. Aujourd’hui encore, plus de 70 ans après la guerre, elle a eu un mal fou à convaincre certaines personnes de lui accorder un entretien et pour cause, en faisant des recherches autour de l’histoire d’amour d’un des couples qu’elle étudiait, elle du leur donner des pseudonymes (Lisette et Johann) tant la famille de cette femme avait du mal à évoquer avec elle les relations de leur parente avec ce soldat allemand.

Les recherches de Sebba l’ont conduite à séjourner à plusieurs reprises à Paris pendant quelques jours chaque mois. « Ce n’était pas compliqué de trouver des gens qui parleraient et raconteraient leur histoire pendant la guerre mais j’ai été confrontée à certains barrages. »

Une des femmes, âgée aujourd’hui de 90 ans avait été poussée par son prêtre, catholique, à faire le tour de Paris à bicyclette pour distribuer des tracts contre les allemands. C’était extrêmement risqué et dangereux lui faisant prendre des risques inouïs alors. Elle supplia Sebba de garder l’anonymat de son nom.

« Pourquoi ? » demanda Sebba. « Oh, eh bien, je n’ai rien fait d’extraordinaire », répondit-elle.

On retrouve beaucoup de noms célèbres, dans le livre de Sebba, tels que Catherine Dior, la sœur du célèbre couturier, Geneviève De Gaulle, la nièce du général. Toutes ont fait un travail contre le Nazisme absolument remarquable. Mais on trouvera également les histoires de femmes plus ordinaires, racontées ici pour la première fois. Puis Sebba posera son regard désabusé sur les vies de Coco Chanel et d’Edith Piaf pendant la guerre, toutes deux impliquées dans des histoires peu réjouissantes avec l’occupant.

« Je pensais avoir beaucoup de mal à trouver un éditeur Français, confie Sebba. Les histoires que je rapporte sont parfois des épisodes douloureux de l’histoire de France pendant cette période, pensant que les français n’aimeraient pas remuer tout cela. Puis j’ai trouvé un traducteur, un jeune homme qui me confia n’avoir aucune idée de ce à quoi les Parisiennes ont dû être confrontées pendant la guerre.

Elle ne souhaite porter aucun jugement sur le comportement des françaises pendant ces années de guerre. Cependant, Sebba est persuadée qu’aujourd’hui encore, il subsiste « un antisémitisme en France assez conséquent. Pendant la guerre, cet antisémitisme a permis à Vichy d’éclater au grand jour. Aujourd’hui, il y a une vraie crainte parmi la communauté juive française et je l’ai bien ressentie ».

Le livre de Sebba commence par une citation emblématique tirée du film « Casablanca ». Illsa, interprétée par Ingrid Bergman dit : « Eh bien, Rick, nous aurons toujours Paris. Te souviens-tu de Paris ? » à quoi répond, blasé, Humphrey Bogart, dans le rôle de Rick : « Je me souviens de chaque détail. Tu portais du bleu. Les Allemands portaient du gris ».

Le Paris de Sebba est truffé de détails, de tenues, de bijoux, de nourriture de de famine, d’actes désespérés et de bravoure inimaginable.

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