Cisjordanie: Un père palestinien, blessé et arrêté, à l’origine d’une confrontation avec des résidents d’implantation ?
Said Rabae, qui a perdu sa jambe lors d'une altercation avec le chef de la sécurité d'une implantation voisine, affirme que c'est lui et son fils qui ont été attaqués et non l'inverse, comme l'affirme Tsahal - des vidéos pourraient le confirmer
Nurit Yohanan est la correspondante du Times of Israel pour le monde arabe et palestinien.

Les coups de feu tirés par le responsable de la sécurité d’une implantation du sud de la Cisjordanie en direction d’un Palestinien, la semaine dernière, ont entraîné des interrogations après que des vidéos et les récits de témoins oculaires ont semblé contredire les affirmations faites par Israël – qui avait fait savoir que l’homme et son fils avaient agressé des résidents d’implantation.
Said Rabae, un sexagénaire résidant dans le village de Khirbet al-Rakiz, dans les collines du sud d’Hébron, et son fils Elias Rabae, 17 ans, ont été libérés dimanche par un tribunal militaire israélien en dépit des graves accusations qui ont été lancées à leur encontre. Ils doivent notamment répondre de coups et blessures et de tentative de vol d’une arme à un soldat, selon leurs avocats.
Rabae, dont la jambe a été amputée suite à la blessure par balle qui a résulté des tirs, raconte que lui et plusieurs de ses enfants étaient allés travailler une parcelle de terre dans l’après-midi de jeudi – parcelle qui, selon la famille, est une propriété privée, a rappelé l’avocat du Palestinien, Shahada Ibn Bari.
Selon Rabae, lorsqu’ils sont arrivés sur le terrain, des Israéliens étaient en train d’installer des bâches aux endroits où la famille avait déjà disposé les siennes au préalable, a noté Ibn Bari.
La fille de Rabae, Asya Elias, confie pour sa part au Times of Israel que quelques jours avant l’incident, des attaquants non-identifiés avaient détruit les bâches qui avaient été posées sur le sol par la famille palestinienne.
Asya, qui a filmé la scène, indique s’être précipitée sur les lieux, avec les autres membres de sa famille, alors que l’altercation était en train de se dérouler. Elle précise avoir été alertée par ses jeunes frères et sœurs des événements en cours alors que son père avait quitté la maison peu de temps auparavant.
« Quand nous sommes arrivés là-bas, j’ai vu un résident d’implantation saisir mon frère Elias par derrière et le jeter à terre », se souvient Asya. « Mon père est allé voir comment allait Elias. Le résident d’implantation a tiré deux coups de feu en l’air. Lorsque mon père s’est approché d’Elias, il a frappé mon père, puis il lui a tiré une balle dans la jambe ».
Deux courtes vidéos filmées par Asya montrent un homme – il s’agirait du coordinateur de la sécurité civile de l’implantation voisine d’Avigayil – sortir une arme pendant l’altercation, même si les visages restent peu visibles en raison de la lueur du soleil couchant.
תיעוד מאירוע הירי בפלסטיני: ישראלי ירה באוויר ולאחר מכן ברגלו, בשעה שישראלי אחר מכה פלסטיני (ככה"נ מי שנורה) כשהוא על הרצפה. פלסטינים אמרו לי כי האירוע התחיל כשישראלים תקעו ברזנט על האדמה הפרטית של הפצוע, הוא ומשפחתו דרשו שיעזבו, אז התחילו דחיפות הדדיות ובמהלכן נורה –> pic.twitter.com/saNBsnooZv
— Nurit Yohanan (@nurityohanan) April 17, 2025
Dans l’une des séquences, Elias est allongé sur le sol tandis que son père tente d’arriver jusqu’à lui. À ce moment-là, le coordinateur tire deux coups de feu en l’air. Pendant ce temps, un deuxième Israélien donne des coups de pied à l’adolescent qui gît sur le sol.
La deuxième vidéo, filmée quelques instants plus tard, semble montrer Elias toujours à terre. Son père se retourne vers les Israéliens et le bruit d’un coup de feu se fait entendre. La balle touche apparemment le père à la jambe.
Après ces tirs, l’armée et la police israéliennes sont arrivées sur les lieux et elles ont arrêté les deux Palestiniens.
Dans un communiqué diffusé après l’incident, Tsahal a affirmé que les coups de feu avaient été tirés par le coordinateur civil en charge de la sécurité alors qu’il tentait d’arrêter des Palestiniens qui avaient agressé des résidents d’implantation.

« Plusieurs suspects palestiniens ont attaqué des civils israéliens à proximité d’Avigayil », a fait savoir l’armée. « Le coordinateur de la sécurité qui était présent sur place a procédé à l’arrestation des suspects en effectuant des tirs de sommation en l’air et en visant le bas du corps des suspects ».
D’après ce que Rabae a déclaré à son avocat, les Israéliens les ont d’abord étranglés, lui et son fils, avant d’ouvrir le feu.
Saïd Rabae a été hospitalisé sous le statut de prisonnier à l’hôpital Soroka de Beer Sheva, où les médecins ont été placés dans l’obligation d’amputer sa jambe. Les membres de sa famille n’ont pas été autorisés à lui rendre visite en raison de son arrestation.
Des images filmées par Ibn Bari – qui a pu se rendre auprès de son client, samedi – montrent Rabae menotté par les deux mains et par le pied qui lui reste, une procédure habituelle pour les détenus pris en charge dans les hôpitaux.
« Il n’allait pas bien », confie Ibn Bari au Times of Israel. « Il était assis et il pleurait son fils et sa jambe ».
La police a déclaré au Times of Israel que les deux Palestiniens étaient soupçonnés de « mise en danger de la sécurité régionale, d’agression et de jets de pierres ».

Cependant, l’avocat Rihan Nasra a expliqué au Times of Israel que lors d’une audience qui a eu lieu dans la journée de dimanche, les forces de l’ordre ont établi que les deux hommes étaient également soupçonnés « d’agression aggravée contre un soldat » et qu’Elias Rabae était accusé d’avoir tenté de s’emparer de l’arme du militaire.
Les deux séquences ne montrent aucun jet de pierre ni aucune tentative de s’emparer d’une arme – même si elles n’ont pas capturé le début de l’incident.
Malgré l’aggravation des charges, la Cour militaire a ordonné dimanche la libération des deux hommes moyennant le dépôt d’une caution de 5 000 shekels chacun. Elle a déterminé qu’il n’y avait aucun soupçon d’obstruction à la justice et que les deux suspects ne posaient pas de danger susceptible de justifier leur maintien en détention.
Ils ont tous les deux été relâchés depuis. Rabae a été transféré dans un hôpital palestinien.
Alors qu’il lui était demandé si le coordinateur en charge de la sécurité présent lors de l’incident avait été interrogé et s’il était toujours en service, l’armée – qui supervise directement ce dernier – n’a pas apporté de réponse, se contentant de dire que « l’incident fait l’objet d’une enquête ».

Asya Elias raconte qu’après avoir ouvert le feu sur son père, le coordinateur de la sécurité a également menacé la famille, lui criant de ne pas s’approcher. « Il nous a dit de partir et nous a prévenus qu’il nous tirerait dessus si nous nous approchions », indique-t-elle.
Des résidents d’implantation ont été aperçus en train de travailler dans le même secteur, le lendemain, érigeant des clôtures. Ils étaient accompagnés de soldats.
Asya note que sa famille a tenté de retourner sur les lieux dans la journée de vendredi – ajoutant que des soldats et des résidents d’implantation lui ont alors dit qu’elle n’avait pas le droit de s’y trouver parce qu’il s’agissait d’un terrain appartenant à l’État.
« Il vaut mieux que vous restiez chez vous si vous voulez éviter les problèmes », a déclaré un homme en uniforme à ce moment-là.
L’Administration civile, au sein du ministère de la Défense, a fait savoir au Times of Israel que la zone était enregistrée comme terre d’État – même si Rabae, de son côté, a soutenu que cette désignation ne s’appliquait qu’aux terres adjacentes. Il a affirmé que des résidents d’implantation avaient néanmoins tenté à plusieurs reprises d’empiéter sur sa propriété. Il a déposé plusieurs plaintes auprès de la police, ces derniers mois, accusant les résidents d’implantation d’intrusions répétées sur sa parcelle.
Israël s’est attiré des critiques en utilisant la désignation de terres appartenant à l’État dans certains secteurs de la Cisjordanie où le pays construit des routes destinées aux résidents d’implantation ou aux forces de sécurité, empêchant les Palestiniens d’accéder à ces terrains.

Ces derniers mois, la région des collines du sud d’Hébron a été le théâtre de nombreux incidents violents entre partisans du mouvement pro-implantation et Palestiniens, ainsi que d’actes de violence impliquant des soldats.
Fin mars, des soldats avaient été filmés en train de vandaliser des biens palestiniens dans le village de Jinba dans le sillage d’une attaque commise par des résidents d’implantation masqués. Une enquête militaire avait ultérieurement qualifié l’incident « d’incident grave qui entre en contradiction avec les normes professionnelles et éthiques qui sont attendues des soldats de Tsahal, en particulier au cours d’opérations en Cisjordanie ».
Suite à l’attaque de Jinba, plusieurs officiers et soldats avaient été réprimandés et un certain nombre de militaires avaient été emprisonnés pendant sept jours.