Comment rester 15 mois dans le doute ? L’incertitude infernale des familles d’otages
La première phase de la trêve, qui doit durer six semaines, est censée permettre la libération de 33 otages retenus à Gaza contre des prisonniers palestiniens détenus par Israël

Ne pas savoir si un proche est vivant ou mort, s’il sera libéré ou pas ? Et si oui, quand ? Pour les familles des otages israéliens encore à Gaza, c’est le doute tous les jours depuis le 7 octobre.
Et il est encore exacerbé, deux jours avant la deuxième série de libérations attendue samedi, dans le cadre de l’accord de trêve entre Israël et les terroristes palestiniens du Hamas.
« Cet accord doit tenir mais nous sommes profondément inquiets pour la suite et je veux espérer que ça va continuer et qu’on les voit tous de retour à la maison », explique à l’AFP Sharon Sharabi, qui a deux frères à Gaza : Eli, présumé vivant et Yossi, annoncé mort par l’armée israélienne en janvier 2024.
La première phase de la trêve, qui doit durer six semaines, est censée permettre la libération de 33 otages retenus à Gaza contre des prisonniers palestiniens détenus par Israël.
Trois jeunes femmes ont été libérées dimanche dernier et quatre otages doivent l’être samedi.
« Nous n’avons pour le moment reçu aucune confirmation qu’Eli est vivant mais je veux rester optimiste et prier qu’on le voie bientôt sur ses pieds », dit Sharon Sharabi.

Yossi et Eli Sharabi ont été capturés au kibboutz Beeri. L’épouse et les deux filles adolescentes du second ont été retrouvées mortes dans leur maison et identifiées une semaine après l’attaque.
« Je continue de me battre »
Emu, il se laisse aller à imaginer la rencontre entre sa mère, presque octogénaire, et son frère. Mais avoue son inquiétude de devoir annoncer à Eli qu’il a perdu sa femme et ses deux filles, et que son grand frère Yossi est mort.

Dans la liste des 30 encore libérables, on trouve sept femmes, les deux enfants Bibas – Kfir, un an et son frère Ariel, 5 ans – donnés pour mort par le Hamas, ainsi que les otages de plus de 50 ans, les malades et les blessés.
Sur toutes les personnes enlevées le 7 octobre 2023, 91 sont toujours à Gaza, dont 34 déclarées mortes par l’armée israélienne.
Silvia Cunio, Israélo-argentine du kibboutz Nir Oz, a pour sa part deux fils en captivité. L’un a été capturé avec sa compagne Arbel Yehud, qui est sur la liste des 33. Mais pas les deux garçons, de 33 et 26 ans au moment de leur enlèvement.
Venue devant le bureau du Premier ministre Benjamin Netanyahu cette semaine, elle exige que l’accord se poursuive afin de les revoir.

« Je suis venue ici dire que je continue de me battre pour mes enfants (…), exiger qu’ils arrêtent la guerre et se battent pour mes enfants », dit la sexagénaire, portant un tee-shirt avec les photos de ses fils et d’Arbel Yehud.
Incorrigible optimiste, elle affirme que ses fils reviendront. « C’est mon espoir et c’est ce qui me fait tenir ».
Elle s’adresse à eux à chaque intervention télévisée, au cas où ils puissent l’entendre, mélangeant hébreu et espagnol, sa langue maternelle.
« David mon chéri, Ariel mon papito, je suis là, je me bats (…), on vous aime, soyez forts (…) il y a de la lumière au bout du tunnel et on vous y attend ».
Egalement Israélo-argentin, Itzik Horn, 72 ans, est confronté à ce même dilemme, entre l’espoir de revoir son premier fils Yaïr, 46 ans, libérable car diabétique, et avoir perdu le second Eitan, 38 ans, qui devra attendre la suite des négociations.

« On m’a coupé en deux. C’est une situation impossible, un fils doit être libéré et l’autre non. Et on ne sait même pas qui est en vie et qui ne l’est pas », confie-t-il.
Eitan était venu rendre visite à Nir Oz à son grand frère. Ils ont été tous deux enlevés dans ce kibboutz tout proche de la bande de Gaza, qui a déploré une trentaine de morts et plus de 70 otages, dont plus de 25 sont encore en captivité, certains déjà morts.
Itzik Horn est en colère, et comme les autres, exige que « tous doivent sortir, y compris les corps ».
Il confie que l’humour noir l’aide à surmonter cette épreuve. « Yaïr a hérité de moi du diabète et il était toujours fâché contre moi. Maintenant, s’il sort en premier à cause de cette maladie, il pourra me remercier ».
Mais si après la première phase de l’accord, la guerre reprend et met en péril la libération de son second fils, il affirme qu’il « brûlera le pays car ça serait un verdict de mort » pour les otages restants.