Comment un village éthiopien abandonné par les Juifs est devenu une grande attraction touristique
Le village Wollega Falashas, qui accueille les Juifs éthiopiens connus pour leur savoir-faire artisanal, est maintenant un lieu touristique kitsch mais les habitants préservent fièrement leur héritage juif
GONDAR, Éthiopie – Sur la route entre Gondar et les montagnes du Simien, au détour d’un virage à la sortie de cette ville du nord de l’Éthiopie, l’étoile de David peinte dans une couleur éclatante surprend. Le panneau manuscrit annonce : « Village juif falasha de Wolleka ».
Bienvenue dans un village juif abandonné, l’un des dix sites touristiques recommandés de Gondar.
Une petite centaine de Juifs ont habité le village pendant des générations, avant de le quitter dans les années 80 et début 90. Après avoir rejoint le Soudan à pied, certains ont été évacués en Israël par pont aérien lors de l’opération Moïse de 1984. D’autres ont rallié Addis Abeba, la capitale éthiopienne, pour se rendre en Israël.
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Il ne reste plus aucun Juif à Wolleka. Mais aujourd’hui, cet ancien village juif constitue une halte shopping kitsch pour les touristes en randonnée dans les montagnes du Simien.
Traditionnellement, les Juifs d’Éthiopie, autrement appelés « Falashas » ou « étrangers », n’avaient pas le droit de posséder un terrain ou une propriété. En conséquence, nombre d’entre eux se sont tournés vers l’artisanat : poterie, forgerie, broderie et tissage d’étoffes et de paniers.
Wolleka s’est ainsi appuyé sur sa réputation de centre artisanal pour établir un marché à destination des touristes. Étonnamment, ses habitants actuels ont décidé d’honorer les racines juives du village plutôt que de les laisser disparaître.
C’est une famille qui conserve les clés de la vieille synagogue, un petit bâtiment circulaire situé à dix minutes à pied de la route.
Les étoiles de David turquoise peintes sur les murs extérieurs en terre boueuse commencent à s’effacer, mais les peintures complexes de l’intérieur de l’édifice, constituées d’une mosaïque de teintes naturelles réalisées à partir de terre rouge, de cendre et d’eau, sont encore bien conservées.
« On s’en sert de mémorial », explique Ethiopia Berihe, 40 ans, la matriarche de la famille gardienne des clés. « C’est un peu un lieu historique. Leurs enfants viendront peut-être le visiter aussi. »
Des enfants portant des plateaux remplis de babioles et autres objets artisanaux rôdent autour de la porte d’entrée, tentant d’amadouer les visiteurs d’acheter ci, d’aller dans leur boutique, d’acheter chez eux, d’acheter chez eux.
« On a des touristes de partout : des Américains, des Australiens, des Espagnols, des Israéliens », raconte Ethiopia Berihe. « Parfois, ils achètent, parfois ils viennent juste visiter. La plupart ignorent le contexte historique juif, sauf les Juifs eux-même. »
Le développement des infrastructures révèle la croissance exponentielle du tourisme en Éthiopie. De plus en plus de voyageurs venus du monde entier se rendent ainsi à Gondar, voie d’accès à un panorama exceptionnel des montagnes du Simien, le Grand Canyon africain.
D’après Lonely Planet, Wolleka est l’attraction numéro cinq de Gondar, après un restaurant traditionnel, des châteaux royaux et un trek dans les montagnes.
« Des recherches laissent à penser que les Falashas ont pu servir de main d’œuvre à la construction et à la décoration des châteaux de Gondar », explique Lonely Planet dans son descriptif de Wolleka.
« Malheureusement, la poterie qui faisait autrefois la réputation du village s’est majoritairement réduite à un artisanat sans âme ou presque, même si les babioles font office de souvenirs sympas. »
Un cimetière juif est également présent à Wolleka. Il renferme un mémorial de l’Agence Juive, érigé en l’honneur des Juifs éthiopiens ayant perdu la vie sur la route semée d’embûches vers le Soudan. Les tombes peintes dans des couleurs vives sont toutes ornées d’étoiles de David.
Peu de Juifs vivant actuellement à Gondar ont visité Wolleka, bien qu’ils soient fiers que le site ait su conserver son identité juive. « J’aime bien quand on a des touristes de passage, ils peuvent toujours voir la synagogue et le cimetière », déclare Atenkut Setataw, chantre de la synagogue HaTikva destinée à la population juive de Gondar.
« J’espère que quand tous les Juifs seront partis, ceux qui ont des proches enterrés ici continueront de nous aider à entretenir les tombes », dit Gashaw Abinet, un autre chantre de la synagogue, qui s’est rendu pour la première fois à Wolleka avec un journaliste en reportage. Il habite à Gondar depuis 17 ans, dans l’attente d’emménager en Israël.
« Mais j’ai parfois l’impression qu’on est une carcasse abandonnée », ajoute-t-il alors qu’il se fraye un chemin à travers un grave. « Nos pères oublient déjà leurs frères. »
Les habitants de Wolleka ont saisi l’opportunité du tourisme juif et ont commencé à exiger 15 birrs éthiopiens (environ 3 NIS, ou 75 cents) pour la visite du cimetière et de la synagogue, cela afin de « préserver » les sites.
Parmi les résidents restants de Wolleka, la plupart sont issus de la tribu Qemant, d’après Gashaw Abinet.
L’histoire transmise oralement raconte que la tribu est originaire du nord de l’Afrique, probablement d’Égypte, mais est arrivée en Israël avec Beta Israël, la population juive.
D’après la légende, les Qemant ont suivi les Beta Israël après avoir appris que ces derniers avaient subtilisé l’Arche d’alliance à Jérusalem pour l’amener en Éthiopie environ 2 500 ans plus tôt.
Les Qemant étaient auparavant adeptes d’une religion distincte, présentant de nombreuses similitudes avec le judaïsme. La plupart sont aujourd’hui convertis au christianisme orthodoxe éthiopien.
Ethiopia Berihe, qui a passé toute sa vie à Wolleka, explique que peu de choses ont changé depuis le départ des Juifs, même si ses anciens voisins juifs lui manquent. De nombreuses maisons du village arborent toujours fièrement une étoile de David.
« Nos points forts sont l’artisanat et le travail du métal », poursuit-elle. « Les Juifs nous ont enseigné la poterie et le métal. On a continué malgré leur départ. »
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