Complaisance avec l’antisémitisme ? Les jurés du Goncourt répondent à Israël
La polémique a démarré après que le ministre libanais de la Culture a accusé de "sionisme" des auteurs; l'envoyée d'Israël en France a condamné la venue de certains jurés à Beyrouth
Le 8 octobre, Mohammed Mortada, ministre libanais de la Culture, proche du Hezbollah et du mouvement chiite Amal, écrivait les propos suivants sur ses comptes Facebook et Twitter : « Le ministère de la Culture ne peut permettre que la porte soit ouverte pour la culture sioniste, serait-elle masquée, ni que le Liban soit un tremplin de propagande pour la littérature sioniste et les contenus littéraires aux objectifs et à l’inspiration sionistes. » Il avait également affirmé qu’il « ne permettrait pas à des sionistes de venir parmi nous et de répandre le venin du sionisme au Liban ».
Par ce message, posté à l’occasion de la tenue du festival littéraire « Beyrouth Livres », le responsable accusait certains auteurs français qui devaient participer au festival, sans les nommer, de soutenir « le sionisme ». Il a ensuite retiré son communiqué des réseaux sociaux, désavoué par son gouvernement.
Le message avait été posté après que, comme le rapporte L’Express, le ministère aurait demandé aux organisateurs au dernier moment d’être associé à l’événement. La requête n’avait pas abouti, et le ministre aurait ainsi écrit son message en vengeance.
Après ces propos, quatre auteurs français de renom, aussi jurés du prix Goncourt, Eric-Emmanuel Schmitt, Tahar Ben Jelloun, Pascal Bruckner et Pierre Assouline, avaient alors décidé de ne pas se rendre au festival.
L’écrivain français d’origine libanaise Sélim Nassib avait lui aussi annoncé dans un communiqué qu’il renonçait également à participer au festival, affirmant que les propos du ministre l’avaient « profondément dégoûté ».
De nombreux écrivains, intellectuels libanais et journalistes ont eux publié par la suite un manifeste intitulé « Résistance contre tous les obscurantismes », condamnant fermement la position du ministre de la Culture. Ils assuraient aussi leur solidarité aux auteurs ayant choisi de se désister.
« Nous réaffirmons que nous participerons d’autant mieux à cette manifestation littéraire qu’elle prend désormais le caractère d’une forme de résistance contre les obscurantismes, d’où qu’ils viennent », ont-ils écrit.
Le 25 octobre, les quatre finalistes du prix Goncourt étaient annoncés depuis Beyrouth. Suite à la polémique déclenchée par le ministre, seuls quatre sur les dix membres du jury avaient ainsi fait le voyage : le président Didier Decoin, le secrétaire Philippe Claudel, et deux jurées, Camille Laurens et Paule Constant.
En France, alors que la polémique a pris de l’ampleur, plusieurs personnalités ont condamné ceux qui se sont rendus à Beyrouth. Philippe Val a ainsi prononcé sur Europe 1 un édito au vitriol intitulé « Quand le Hezbollah décerne le Goncourt », et Dov Alfon, directeur de la publication de Libération, a lui aussi critiqué la venue des quatre jurés. Abnousse Shalmani, chroniqueuse à L’Express, a elle critiqué la « lâcheté et la capitulation honteuse devant l’antisémitisme redevenu fréquentable au nom de la peur ».
Au même moment, Yaël German, ambassadrice d’Israël en France, a publié un communiqué de presse dans lequel elle s’est émue que les propos du ministre n’aient pas été « fermement condamnés par la direction de l’académie Goncourt ».
Selon elle, ce silence a représenté « un terrible affront aux valeurs de liberté, de tolérance et d’ouverture qui caractérisent la république française ». « L’histoire nous enseigne que ceux qui détournent le regard face à la bête immonde sont les complices directs de l’antisémitisme », a-t-elle ajouté.
S’ils ont décidé de ne pas se rendre au Liban, les jurés du Goncourt restants en France se sont montrés plus modérés, mais ne se sont pas sentis soutenus par ceux qui sont partis et auraient voulu davantage de solidarité de la part de ceux voyageant au Liban.
Ces derniers ont vivement rejeté le communiqué et les accusations de Yaël German, et lui ont envoyé, lundi 7 novembre, une lettre consultée par L’Express.
Dans la missive, ils ont rappelé le caractère « odieux et menaçant du post du ministre de la Culture libanais », mais que l’académie Goncourt avait néanmoins décidé, après un vote à la majorité, « de mépriser la menace et d’honorer les engagements pris ».
L’académie a ainsi tenu, selon elle, « à prouver son attachement à la liberté de pensée et d’expression en tous lieux et toutes circonstances, et à rappeler que reculer devant la menace ne peut que renforcer l’agresseur ». « ’Ne venez pas’, nous intime M. Mohammed Mortada ? Raison de plus pour refuser de faire le jeu du Hezbollah, et donc y aller malgré ses injonctions inacceptables », ont écrit les jurés. « Comme pour tous les voyages de l’Académie à l’étranger, la participation de chaque académicien a été laissée à sa libre appréciation en fonction de son état de santé, de sa disponibilité et du jugement qu’il pouvait porter sur les conditions de sa sécurité », ont-ils ajouté, expliquant également « espérer vivement que ces précisions apaiseront les inquiétudes » de l’ambassadrice.