COVID-19 : Les probables conséquences dans le milieu haredi, selon un expert
Les orthodoxes continueront de respecter leurs chefs rabbiniques malgré une réponse tardive au virus, mais pour Gilad Malach, beaucoup "vont se mettre à décider par eux-mêmes"
La pandémie de coronavirus pourrait amener les Haredim à moins s’appuyer sur les sages rabbiniques et à penser davantage par eux-mêmes lorsqu’il s’agit de questions sans rapport avec la religion, selon un éminent expert de la communauté.
Gilad Malach, qui dirige le programme des ultra-orthodoxes en Israël à l’Institut israélien de la démocratie, ne prévoit pas de révolution concernant le respect des Haredi pour leurs modèles religieux. Mais il estime que la crise actuelle, qui voit des milliers de membres de la communauté très soudée être contaminés – en partie à cause de décisions erronées de leurs dirigeants – pourrait accélérer une tendance existante vers plus d’individualisme.
Le mois dernier, le rabbin Chaim Kanievsky – probablement le leader rabbinique le plus vénéré du monde ultra-orthodoxe aujourd’hui – s’est vu demander si ses centaines de milliers d’adeptes de la fameuse branche lituanienne de la communauté devaient obéir ou défier les ordres de fermeture des établissements d’enseignement émis par le ministère de la Santé en raison du coronavirus. Il a brièvement répondu que, bien entendu, ils devraient rester ouverts.
Du fait de sa décision, d’innombrables jardins d’enfants, écoles et académies talmudiques sont restés ouverts à Beni Brak, une banlieue Haredi de Tel Aviv, ce qui, selon les experts, a inévitablement provoqué la contamination de milliers de personnes par le virus.
Mais le rav Kanievsky (qui est ensuite revenu sur sa position) et ceux qui parlent en son nom ne sont pas les seuls à blâmer pour la crise actuelle.
Le gouvernement, en particulier le ministre de la Santé Yaakov Litzman, n’a pas non plus réussi à préparer correctement la communauté ultra-orthodoxe, dont beaucoup ne consultent pas les médias traditionnels, a-t-il déclaré.
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De nombreux Israéliens laïcs ou moins religieux sont en colère contre la communauté Haredi pour son mépris initial des règles liées à la pandémie, qui pourrait conduire à une discrimination contre les demandeurs d’emploi Haredi et à une accentuation de la division entre les deux groupes, a déclaré M. Malach. Cela pourrait à son tour mettre les ultra-orthodoxes sur la défensive, amenant la communauté à se tourner vers l’intérieur plutôt que vers l’extérieur.
Cependant, les deux communautés finiront par réaliser qu’il est dans l’intérêt de tous de coopérer, a estimé M. Malach.
Vous trouverez ci-dessous une transcription de notre conversation, remaniée pour des raisons de longueur et de clarté.
Le Times of Israel : Commençons par un aperçu général de la ville de Bnei Brak. Qui y habite ?
Gilad Malach : Bnei Brak est la ville la plus densément peuplée d’Israël. Plus de 20 000 personnes y vivent au kilomètre carré. Au total, quelque 200 000 personnes y vivent – presque toutes ultra-orthodoxes. Il y a aussi quelques orthodoxes et quelques juifs traditionnels, mais mon estimation est que 90 % d’entre eux appartiennent à la communauté ultra-orthodoxe.
Il existe différents sous-groupes : les Hassidim et les Lituaniens, les Ashkénazes et les Séfarades, et d’autres groupes. Qui donne le ton dans ce domaine ?
Oui, dans l’ensemble, c’est une ville diversifiée où tous les groupes susmentionnés coexistent. Les deux plus grands groupes ashkénazes – les Hassidim et les Lituaniens – se sont toujours présentés ensemble sur une même liste aux élections municipales.
Il est donc difficile de savoir quelle est l’ampleur du pouvoir de chaque groupe. Et environ un tiers sont des Séfarades, donc je suppose qu’il est juste de dire que la division générale de la communauté ultra-orthodoxe dans tout Israël – un tiers de Hassidim, un tiers de Lituaniens et un tiers de Séfarades – s’applique également à Bnei Brak.
Le rabbin Kanievsky, qui a demandé à ses disciples de laisser les établissements d’enseignement ouverts alors que le reste de la société les fermait, est-il considéré comme une autorité par tous ?
Il est le chef des Lituaniens, mais il a une certaine autorité dans la mesure où ses décisions peuvent avoir une certaine influence sur tout le monde. Même les autres groupes écoutent ce qu’il a à dire. Les Lituaniens ont en fait deux leaders, lui et le rabbin Gershon Edelstein, le chef de la yeshiva de Ponevezh.
Mais c’est déjà une question de « tribunaux » et le « tribunal » du rabbin Kanievsky a une position plus centrale et plus importante depuis que le précédent « leader de la génération » – le rabbin Aharon Yehudah Leib Steinman – est décédé [en 2017].
Parlons de ce qui a poussé le rabbin Kanievsky à décider que les établissements d’enseignement devaient rester ouverts, alors qu’ils étaient fermés dans le reste du pays. Quelqu’un lui a chuchoté à l’oreille que l’État voulait fermer les jardins d’enfants, et il a dit qu’il n’en était pas question.
Cet homme était son petit-fils Yanki. C’est lui qui mène la barque. C’est lui qui décide de tout. Il a présenté l’affaire à son grand-père de manière très brève et tendancieuse, sans lui donner toutes les informations [sur les dangers de la pandémie], ce qui l’a conduit à prendre la décision scandaleuse de ne pas fermer les institutions, alors que le gouvernement avait déjà décidé de les fermer. Les résultats sont durs.
Serait-il justifié de dire que ce Yanki est responsable de la situation actuelle ?
Trois raisons principales expliquent la situation actuelle. Premièrement, la direction – le petit-fils du rabbin Kanievsky, mais aussi lui-même. Le fait qu’il n’ait pas demandé plus d’informations est également une erreur. Il comprend qu’il y a une pandémie, alors pourquoi ne s’y intéresse-t-il pas davantage ? Dire seulement que la Torah va aider n’est pas sérieux. Tous les rabbins n’auraient pas agi de la sorte.
Avec tout le respect dû au rabbin Kanievsky, certains affirment qu’à 92 ans, il est devenu sénile et dit oui et amen à tout ce que les gens autour de lui suggèrent – qu’il ne comprend pas vraiment la situation.
Je ne sais pas s’il est sénile ou non. Mais un dirigeant est censé savoir s’il comprend quelque chose ou non. S’il se rend compte qu’il n’est pas en mesure de juger de telles choses, il doit le dire. Une partie de la responsabilité incombe aux dirigeants – cela inclut les rabbins et leurs « tribunaux », qui n’ont pas suivi les instructions du gouvernement. Son petit-fils en fait partie.
Le deuxième facteur est le gouvernement. Il est vrai qu’il n’est pas facile de communiquer des choses au public haredi, mais vous avez un ministre de la Santé ultra-orthodoxe qui a de bonnes relations avec cette communauté. Si seulement il était allé voir les chefs rabbiniques, les chefs communaux et les autorités municipales, qui ont une grande influence…
Soixante pour cent des ultra-orthodoxes vivent dans des villes ultra-orthodoxes ou à Jérusalem. Les dirigeants municipaux ont beaucoup de pouvoir. [Litzman] jouit d’une grande confiance, mais il ne l’a pas utilisée. Son ministère aussi aurait dû en faire plus.
Troisièmement, il y a le facteur objectif, si vous voulez – la grande densité dans les villes ultra-orthodoxes, et le fait qu’elles ne sont pas connectées à la technologie moderne. Ils n’ont pas vu les images que nous avons tous vues, sur le désastre en Italie et le sentiment d’urgence dans les conférences de presse [du Premier ministre Benjamin Netanyahu] et des choses comme ça.
Combien d’ultra-orthodoxes ignorent encore les instructions du gouvernement, ou tout le monde s’y conforme-t-il maintenant ?
Dans l’ensemble, la grande majorité des gens écoutent maintenant les instructions, ne quittent pas leur maison sans raison et ne vont même pas à la synagogue. Le grand défi maintenant, qui n’est pas exclusif aux ultra-orthodoxes, est la fête de Pessah, car c’est un jour férié où les gens ont l’habitude de rendre visite à leur famille, et il est difficile pour eux de ne pas le faire.
Il est difficile pour les ultra-orthodoxes de ne pas aller à la synagogue jusqu’à ce qu’ils se rendent compte qu’ils n’ont pas d’autre choix. Maintenant, il est également difficile pour eux de ne pas aller rendre visite à leurs parents âgés. C’est difficile, mais c’est vrai pour tous les Israéliens, pas seulement pour eux. Il peut donc être nécessaire de décréter une sorte de confinement la veille de Pessah pour tout le monde.
Mais je pense qu’il y a une grande inquiétude [au sujet du coronavirus], même au sein de la communauté ultra-orthodoxe. La combinaison d’une interdiction claire du gouvernement de sortir, du fait que les rabbins ont maintenant rejoint cet appel, et de l’application de la loi par la police, aidera.
Le rabbin Kanievsky a d’abord déclaré que les établissements d’enseignement devaient rester ouverts, ce qui, selon les experts, a inévitablement provoqué la contamination de milliers de personnes par le virus. Son mauvais jugement aura-t-il un impact durable sur la société ultra-orthodoxe ? La communauté contestera-t-elle l’autorité des sages âgés ou continuera-t-elle à régner en maître ?
D’une manière générale, lorsqu’un dirigeant échoue, il ressent très vite les contrecoups. Je me souviens de la deuxième guerre du Liban, il y a près de 15 ans. [Ehud] Olmert a commencé la guerre avec une très grande popularité ; son taux d’approbation était de 80 à 90 %. Mais à mesure que la guerre progressait et que le public avait l’impression qu’elle était menée de façon horrible, sa cote a chuté, et il n’a jamais pu s’en remettre.
Contrairement au passé, de nombreux ultra-orthodoxes ont regardé la vidéo [montrant le rabbin Kanievsky disant à son petit-fils de garder les établissements d’enseignement ouverts]. Ils ont vu qu’il ne comprenait pas vraiment le problème.
Un très grand pourcentage de la communauté se connecte à l’Internet, malgré l’interdiction des rabbins
Mais cette dépendance à l’égard de leurs chefs religieux est l’ancre de la communauté, elle est si profondément ancrée dans la société ultra-orthodoxe qu’il faut obéir au chef de la génération. Il est donc très difficile de faire le changement et de dire qu’il est peut-être moins pertinent dans certains domaines. Je ne prévois donc pas de révolution à cet égard.
Ce que je vois, c’est que beaucoup de gens vont commencer à prendre des décisions pour eux-mêmes pour certaines choses. Cette tendance, que nous constatons depuis un certain temps déjà, pourrait certainement être renforcée. Ces dernières années, nous avons vu plus de 10 000 ultra-orthodoxes fréquenter les institutions universitaires, malgré l’opposition des rabbins. Un très grand pourcentage de la communauté se connecte à l’Internet, malgré l’interdiction des rabbins.
Les gens disent donc : je respecte les chefs rabbiniques, je les apprécie, je vais même voter pour le parti qu’ils soutiennent. Mais dans mes choix personnels, je n’obéirai pas nécessairement. [La pandémie de coronavirus] pourrait certainement approfondir ces processus – qu’on appelle individualisme – concernant la prise de décision.
Il y a toujours eu des tensions entre les Israéliens laïcs et la communauté ultra-orthodoxe. Dans quelle mesure les événements de ces derniers jours vont-ils encore les exacerber ? Que se passerait-il si, Dieu nous en préserve, nous voyions le système de santé s’effondrer dans deux semaines parce que des milliers de personnes de Bnei Brak tomberaient malades ?
Le niveau d’hostilité est vraiment très élevé. Il y a beaucoup de colère contre les ultra-orthodoxes, à cause de la façon dont ils ont répondu aux instructions du gouvernement. Cela se traduit parfois par des commentaires très durs sur les réseaux sociaux et dans la presse. Cela existe, bien que je ne pense pas que cela puisse devenir violent.
Mais je pense que cela pourrait avoir des répercussions sur les lieux de travail. Nous sommes en pleine crise économique, avec un taux de chômage très élevé. Cela pourrait donc avoir un impact sur les employeurs qui pourraient dire : « Je ne veux pas me rapprocher des ultra-orthodoxes, ou je ne veux pas les laisser participer à mon entreprise.
D’autre part, lorsque la société ultra-orthodoxe est exposée à de telles choses, elle devient immédiatement défensive, comme un troupeau qui est attaqué et se rassemble.
La crise économique pourrait accélérer le processus d’intégration des ultra-orthodoxes dans la population active et leur ouverture aux études universitaires et à la technologie. Mais si le sentiment est que « à chaque génération, ils se lèvent pour nous détruire », et que ceux qui se lèvent pour les détruire sont maintenant les laïcs, cela va en fait ralentir ce processus, car cela renforce le sentiment d’appartenance au groupe.
En résumé, à votre avis, à quoi ressembleront les relations laïques-ultra-orthodoxes d’ici la fin de l’année ?
Je suis généralement optimiste. Je pense que la critique sévère des ultra-orthodoxes ne restera pas au centre de l’attention, mais plutôt la vie elle-même. Après tout, la plupart des personnes qui ne sont pas ultra-orthodoxes veulent leur intégration.
Et la volonté d’intégration prévaudra également du côté ultra-orthodoxe de l’équation – il n’y a pas d’alternative, étant donné la situation économique. Ces choses seront plus fortes, à terme, que les émotions fortes qui existent aujourd’hui.
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